Cet article rentre dans le cadre d’un projet de fact-checking (vérification des faits) propulsé par l’association Cap Démocratie Maroc et mené par l’équipe de Telquel.ma. Un site exclusivement dédié au projet verra bientôt le jour. Le projet s’appelle L’Arbitre.
Le 27 février, le ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement Mustapha El Khalfi a déclaré au micro de la radio française RFI : « Il y a une politique systématique nationale pour lutter contre la torture ». Des actes de torture sont toujours commis dans le royaume, même le roi l’a reconnu l’an dernier lors d’un entretien avec la Haut-commissaire aux droits de l’Homme, Navy Pillay. En revanche, une politique est-elle réellement mise en œuvre pour éradiquer le fléau ? Hormis les belles déclarations des différents ministres concernés, dans les faits, le Maroc s’attaque-t-il concrètement à la torture ? Bref, est-ce que Mustapha El Khalfi dit vrai ? Telquel.ma fait le point.
De quoi parle-t-on ?
On retiendra ici la définition du Larousse selon laquelle la politique est « les moyens mis en œuvre dans certains domaines par le gouvernement ». Donc la politique concerne les lois en vigueur mais aussi les pratiques. Qui dit systématique dit automatique, régulière, donc, non épisodique.
La torture est définie par les Nations unies comme « tout acte par lequel une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou mentales, sont intentionnellement infligées à une personne aux fins notamment d’obtenir d’elle ou d’une tierce personne des renseignements ou des aveux […] lorsqu’une telle douleur ou de telles souffrances sont infligées par un agent de la fonction publique ou toute autre personne agissant à titre officiel ».
La torture ne se résume donc pas seulement aux actes commis par les services secrets pour pousser les détenus à donner des informations, mais elle comprend aussi les violences infligées par la police à des personnes arrêtées afin d’obtenir des aveux.
Ce qui pousse à penser que le Maroc mène une politique contre la torture
• La loi marocaine condamne la torture
L’article 231 du Code pénal condamne tout acte de torture. Les peines encourues vont jusqu’à la perpétuité.
• Nos responsables s’intéressent au sujet
Le Maroc a accepté la venue en 2012 de Juan E. Mendez, rapporteur spécial sur la torture du Conseil des droits de l’Homme. Il a d’ailleurs rendu un rapport accablant.
• Des traités ont été ratifiés
Trois ans après avoir signé la convention internationale de lutte contre la torture ou traitements inhumains dégradants, le Maroc a déposé les instruments de ratification du protocole facultatif en novembre 2014. Des visites régulières sur les lieux de détention pourront ainsi avoir lieu.
• Reconnaissance d’aveux obtenus sous la torture
En août 2014, pour la première fois, un condamné a été relaxé par la Cour d’appel d’Agadir parce que le juge a admis que ses aveux avaient été extorqués sous la contrainte de la torture.
• Annonce d’ouvertures d’enquêtes sur les fonctionnaires accusés
Trois annonces d’ouverture d’enquête pour allégation de torture ont été faites. En mai 2014, le procureur de Rabat s’est saisi de l’affaire Ali Aarrass, après qu’Amnesty International a pointé du doigt le Maroc. En septembre 2014, suspectés d’actes de torture, des policiers de Guelmim ont été interrogés. En janvier dernier, le ministre de la Justice Mustapha Ramid a ordonné à la BNPJ de Casablanca d’enquêter sur une plainte de torture d’un détenu de la prison de Fès.
Tout ce qui montre qu’il ne s’agit pas d’une politique systématique
• Des présumées victimes de torture poursuivies
La militante Wafaa Charaf a été condamnée en août 2014 pour dénonciation calomnieuse à un an de prison ferme. Elle prétend avoir été torturée. Sans se prononcer sur la véracité de ces accusations, une peine si importante intimide inévitablement les victimes de tortures, et les dissuade de mener des poursuites. Reconnaître ses victimes est toujours un moyen de lutter contre un fléau.
Eric Goldstein, responsable de l’ONG Human Rights Watch, déclarait en janvier dernier à Telquel.ma, justement à propos de Wafaa Charaf :
Quel signe est donné par la condamnation d’une femme à deux ans de prison pour une plainte rejetée ? Est-ce une manière de dissuader les personnes victimes de torture ? Ou celles qui critiquent la police ? Même s’il s’agit d’un tribunal, nous considérons que c’est grave. Cela n’encourage pas les gens à s’exprimer et à déposer des plaintes.
• Une loi imparfaite
D’après l’article 225 du Code pénal, si le fonctionnaire qui a torturé « justifie que c’était sous l’ordre de ses supérieurs hiérarchiques, il bénéficie d’une excuse absolutoire ». Les exécutants peuvent donc se cacher derrière leurs supérieurs.
De son côté, l’article 231 du Code pénal condamne la torture si elle est conduite « sans motif légitime ». Ce qui laisse une interprétation très large quant aux justifications de tels actes.
• Aucune condamnation
Politique systématique de lutte contre la torture rime forcément avec condamnation de ses auteurs. Mais jusqu’à présent, personne n’a encore été condamné pour acte de torture. Les ONG pointent d’ailleurs souvent du doigt l’impunité dont font l’objet les fonctionnaires mis en cause. Pour le moment, aucune des « enquêtes » n’a abouti. A Fès, les deux policiers ont été interrogés mais d’après les informations que nous avons, l’expertise est toujours en cours.
Jugement de l’Arbitre
Carton rouge. Si la question était de savoir si la Maroc lutte effectivement contre la torture, l’arbitre aurait donné un carton jaune. Mais s’il se concentre sur la déclaration de Mustapha El Khalfi, selon laquelle le Maroc mène une politique systématique de lutte contre la torture, alors, il lui avance un carton rouge. Il réside un décalage entre les déclarations et l’application de la loi, cette politique est incomplète et non systématique.
A lire certains les victimes d’actes ignoble ne comptent pas et méritent ce qui leurs arrivent comme terrorisme et agression….