Mes bons amis, cette année a été terrible. Zakaria Boualem est sur les genoux, terrassé par cette avalanche invraisemblable d’évènements. Sans un sursaut d’orgueil, il a toutefois trouvé l’énergie de dresser un petit bilan de l’année. Voici donc les Zakaria Boualem Awards, sans autre forme de présentation, c’est parti.
Matériau de l’année : le graphène
Selon les informations de Zakaria Boualem, il s’agit du matériau le plus dur du monde. Il entre donc dans la composition de la figure de nos responsables, c’est incontestable. Cette année, nous avons eu un ministre qui, dans l’enceinte sacrée du parlement, nous a expliqué que le pain que nous mangions, préparé avec de la farine subventionnée, était la cause de notre mauvaise santé. Il n’a pas poussé la sollicitude jusqu’à nous annoncer les mesures pour nous sauver de la perdition diététique. Un autre, plus tard, a annoncé fièrement que la presse marocaine était à la solde d’une mystérieuse cinquième colonne. Pareil, il s’est abstenu de pousser le raisonnement plus loin, en nous disant par exemple ce qu’il comptait faire pour démanteler cette secte dangereuse.
Entreprise de l’année : Daech
L’irruption soudaine des spectaculaires illuminés de Daech sur le marché très concurrentiel du terrorisme mondial a été remarquable. En quelques mois à peine, ils ont réussi à faire passer Al Qaïda pour de braves types. Daech, oui, c’est un autre niveau les amis. Surgis du néant, ils ont occupé une partie de deux pays, rien de moins, mis en place leur identité visuelle, créé leur gouvernement, leur monnaie, et développé une cellule de recrutement puissante qui enrôle par wagons entiers dans une bonne douzaine de pays. Une telle efficacité, dans une zone du monde qui ne s’était pas distinguée, jusque-là, dans son histoire par une grande compétence dans la gestion de projets complexes, est un peu suspecte. Il faut y ajouter une maîtrise prodigieuse de la communication d’entreprise. Et voilà qu’on écrit à Blatter pendant la Coupe du monde, et on circoncit quelques chrétiens, avant d’asservir quelques nubiles pour les besoins des soldats. Il y a là le déploiement d’une créativité impressionnante, la garantie d’une présence permanente au top de la grande machine à buzz mondialisée.
La promesse de l’année : 10 milliards de dirhams pour Casablanca
Ça a été annoncé en début d’année, et nos cerveaux saturés de promesses en tout genre ont un peu oublié cette affaire. Oui, on nous promet pour 2020 une ville moderne, propre, qui sert ses citoyens, les comble dans leurs aspirations les plus diverses. Des transports en commun, des musées, des stades, des parcs, des salles de spectacles, et seule la fatigue me retient d’aller plus loin dans cette liste phénoménale. Une promesse colossale, encore plus forte que la démocratie populaire, sociale, capitaliste, berbère et andalouse de 2011. Zakaria Boualem vous prévient, il n’oubliera pas ça. Il attend, vigilant.
Geste technique de l’année : la disparition
Il s’agit là d’un geste très compliqué, qui requiert une technicité poussée, c’est en fait presque un art. Cette année, il a été porté à des sommets inégalés. Il y a eu bien sûr la disparition d’un Boeing entier, en mars dernier. Ce n’est pas rien. Mais il y a eu mieux : celle de notre équipe nationale. Finie, envolée, elle n’est plus là. C’est un prodige. Après des années de prestations transparentes, on est passé à l’étape supérieure, donc, la disparition totale. A ce sujet, Zakaria Boualem a une petite théorie qu’il souhaite vous présenter. Il pense que la plongée dans les ténèbres de notre équipe nationale est le résultat d’un plan mûrement réfléchi. Les responsables du Maroc Moderne sont conscients de la passion qui entoure le ballon rond. Ils savent bien entendu qu’un mountakhab qui marche est une bénédiction, mais aussi qu’une série de défaites plombe le moral de la nation. Plutôt que de se fixer le premier objectif, ils ont préféré s’éviter les risques induits par la seconde possibilité. D’où cette histoire absurde d’Ebola. On ne joue plus, on ne perd plus, on supporte le Real Madrid dans un grand mouvement national de h’rig footballistique, et merci.
Prix spécial de l’année : la France
Cette noble contrée, autrefois berceau de la pensée, a consacré une bonne partie de son énergie à lutter contre une quenelle. Lorsqu’elle est enfin parvenue à terrasser cet ennemi puissant (au prix de la mobilisation extraordinaire de ses forces vives), elle s’est aussitôt posé la question essentielle suivante : la barbe de Benzema est-elle islamiste ? Puis celle-ci : pourquoi ne chante-t-il donc pas la Marseillaise ? Aujourd’hui, c’est un philosophe cathodique à tête de fouine qui occupe le centre du débat, tout cela est fascinant à observer. Et un peu rassurant aussi : nous ne sommes pas les seuls à sombrer.
Gentil de l’année : Zakaria Boualem
Cet homme est un citoyen modèle. Pardon, un locataire modèle. Il s’acquitte sans geindre de ses impôts prélevés à la source, ne réclame aucun service public en retour. Il risque de voir un pont se dérober sous ses pieds ou un immeuble s’effondrer sur sa tronche. Il risque de se trouver racketté par un policier un peu fatigué ou un juge indélicat. Il paye pour sa santé, l’éducation de sa famille, pour obtenir des papiers auxquels il a droit et aussi pour les faire légaliser dans la foulée. Il paye aussi pour l’utilisation de routes défoncées et le ramassage des ordures qui ne sont pas ramassées. De temps en temps, il grogne un peu mais cette grogne ne se transforme jamais en action concrète. Parce que c’est très compliqué. Nous affrontons un existant puissant, granitique, complexe, qui semble impossible à modifier en profondeur. Donc il accepte. La seule forme de protestation qu’il envisage sérieusement serait de mettre les voiles, mais là encore, c’est un projet fatigant. Oui, il est bien le gentil héros de l’année, il s’auto-attribue ce prix. Ça peut paraître surprenant, ou carrément immodeste, mais on ne voit pas très bien au nom de quoi il faudrait rester raisonnable dans un contexte aussi délirant.
Méchant de l’année : la pluie
Inutile d’insister, vous avez compris. Prix incontestable.
Bonne année. Et restez souples sur vos appuis, c’est important.