Conso. Les enfants de la frime

Par Basma El Hijri

La dernière tendance des Marocains “branchés” consiste à habiller les tout-petits dans les boutiques haut de gamme. Voyage au cœur d’un univers où les parents, esclaves des apparences, font de leur progéniture l’ultime accessoire de mode.

Les bras chargés de sachets griffés, Hind, 35 ans, mariée à un richissime entrepreneur, retrouve son loft après une longue matinée de shopping. Direction le dressing de Lilia, sa fille de 4 ans, à qui elle vient d’acheter une robe Dior couleur fuchsia, une parka Burberry beige et deux boléros Armani. Le tout pour la coquette somme de 13 000 dirhams. La jeune maman ne lésine pas sur les moyens pour que son enfant soit à la pointe de la mode. “Mes amies me reprochent souvent d’acheter des vêtements hors de prix à ma fille, mais je ne peux pas m’en empêcher. Quand elle les porte, ma Lilia est à croquer. Et ça me rend fière”, commente Hind, visiblement peu encline à écouter ses pairs. A l’image de Katie Holmes qui a transformé sa fille de 5 ans, Suri Cruise, en fashion victim miniature dont la garde robe en ferait pâlir plus d’une, de nombreuses mères choisissent le haut de gamme pour leurs bambins. “Le luxe est un gage de qualité”, argumente Hind.

Ceux qui pensent encore que les petits sont à l’écart du circuit des grands créateurs sont dans l’erreur. Aujourd’hui, les marques de prêt-à-porter haut de gamme voient dans la vente de vêtements pour juniors un nouvel eldorado. Désormais, il existe des boutiques multimarques Baby qui proposent toute une panoplie de luxe. “Vous pouvez acheter des vêtements pour enfants chez Burberry, Paul Smith, Bonpoint, Dior et bien d’autres. Les mamans préfèrent les magasins multimarques car elles peuvent avoir un maximum de choix dans une seule enseigne”, atteste une vendeuse du magasin Aux Enfants D’abord à Casablanca.

Bling-bling attitude

Plus besoin d’aller faire ses emplettes à l’étranger, tous les grands noms de la mode s’implantent au Maroc. La dernière en date, l’Atelier de Courcelles —franchise de renom dont le réseau compte 19 points de vente en France, au Royaume-Uni, en Belgique, en Russie, à Hong-Kong et à Dubaï— a ouvert ses portes en juillet 2011 à Casablanca, proposant des collections de 0 à 16 ans des marques Boss, Chloé, DKNY, Burberry et Timbaland.  Des prix mirobolants et une offre limitée, de surcroît, font de ces achats un plaisir de privilégiés. “L’industrie du luxe est en pleine expansion au Maroc, mais s’adresse à une catégorie de niche. C’est pour cette raison que les boutiques multimarques sont situées dans les grandes villes, et plus particulièrement à Casablanca, où les gens sont beaucoup plus bling-bling et donc plus aptes à acheter du luxe pour leurs enfants”, précise Karim Tazi, vice-président de l’Association marocaine des industries du textile et de l’habillement. Dans l’univers du haut de gamme, tout le monde n’est pas logé à la même enseigne. De nombreux parents n’ont pas les moyens de leurs exigences.

Acheter du rêve

Au risque de confondre le bon goût et l’ostentatoire, certains parents investissent des sommes colossales pour habiller leur progéniture de ces signes d’opulence et prétendre à un rang social qui n’est pas forcément le leur. “Dans l’esprit des consommateurs, le produit de luxe contient une part de subjectif. L’image associée à l’objet compte parfois beaucoup plus que l’objet lui-même. Le nom de la marque a un effet magique”, précise Bouazza Kherrati, président de l’Association de protection et d’orientation des consommateurs.

Tous types de profils peuvent être sensibles au luxe. En bas de la pyramide, on trouve des acheteurs occasionnels, qui profitent des articles en solde ou en promotion. Viennent ensuite les clients réguliers — ou status seekers pour les initiés —, qui font partie d’une catégorie sociale aisée, vouant un véritable culte aux apparences. Et enfin, il y a ceux qu’on surnomme les “gardiens du temple”, très riches et connaisseurs, qui sont la cible de prédilection des boutiques haut de gamme. “Les clients qui achètent très souvent sont les chouchous, toutes les boutiques se les arrachent”, confie une gérante de magasin multimarques.

Des must-have en culottes courtes

Pendant que les nantis dépensent sans compter, d’autres peinent à acheter, la croissance ultra-rapide des bambins n’encourageant pas à faire des folies. “Quand j’achète un article cher pour mes enfants, j’éprouve un pincement au cœur, car dans 6 mois ils n’entreront plus dedans”, atteste Touria, la trentaine. D’où la méfiance de certains clients à l’égard du luxe. “La plupart des vêtements de grandes marques de ma petite sont des cadeaux de mes proches. Moi, je ne peux pas lui acheter des tenues dont le prix est à 5 chiffres”, atteste Amine, heureux papa d’une fillette de 6 ans. D’ailleurs, les enfants ont souvent un mode de vie inadapté à ce genre d’habits sophistiqués. “Le souci, avec le luxe, c’est que ce n’est pas pratique, surtout pour mes petits monstres. Impossible de les empêcher de se salir. Lavage après lavage, certaines taches ne partent pas”, réplique Touria.

Le vêtement haut de gamme est souvent assimilé à du gaspillage et la différence de prix avec un produit bon marché remplissant le même rôle, n’est pas pour arranger les choses. Cependant, cela n’empêche pas les puristes de pousser le raisonnement beaucoup plus loin et de considérer que pour être vraiment luxueux, un produit doit être inutile, futile ou, du moins, ne pas assoir sa valeur sur sa seule fonctionnalité. “Acheter du luxe pour ses enfants relève d’un besoin de reconnaissance. D’ailleurs, ce sont les vêtements du ‘dessus’, c’est-à-dire ceux qui sont vus par tous, qui sont les plus vendus. Le comportement de ces parents répond à une motivation d’ordre ostentatoire, pour marquer une appartenance à un milieu”, ajoute Bouazza Kherrati.

Un argument qui n’est pas sans rappeler l’importance pour certains de conduire une voiture de luxe ou de s’afficher dans des restaurants hors de prix. La recrudescence de magasins n’est donc qu’un symptôme de plus, témoin d’une société malade, esclave des apparences, qui n’hésite pas à faire de ses propres enfants de simples accessoires de frime.

 

Marché. Le nouvel eldorado des commerçants

Poussés par un monde en pleine ébullition, les enfants grandissent plus rapidement qu’avant. Des scientifiques américains ont même donné un nom à ces bouts de chou qui poussent plus vite que la musique, celui de KGOY (kids getting older younger). Et cette donnée n’est pas tombée dans l’oreille d’un sourd. L’enfant est devenu la cible privilégiée des fabricants et distributeurs en tout genre. Car en l’atteignant, on peut toucher toute la famille. Et pour cause, les bambins ont un pouvoir prescripteur indéniable sur les motivations d’achat de leurs parents et participent de près ou de loin à 50% des dépenses d’un ménage. Par ailleurs, les enfants, consommateurs finaux, investissent le marché des vêtements pour adultes de plus en plus tôt. Avec des besoins et un mode de vie qui leur sont propres, les 6-12 ans constituent une opportunité de marché encore sous-exploitée. Les parents cherchent à dorloter leur progéniture en lui offrant le meilleur, pour le plus grand bonheur des commerçants.