Zakaria Boualem a suivi avec une passion intense l’événement du siècle : l’inauguration de Morocco Mall. Passons rapidement sur le fait étrange que, chez nous, un centre commercial reçoive les honneurs d’un monument national ou d’un équipement de service public. Passons aussi sur les écarts sociaux sidéraux dans lesquels notre pays excelle, et passons enfin sur notre “j’vais vous éclater”, attitude merveilleusement décrite par le visionnaire Gad El maleh dans Coco. Intéressons-nous à l’essentiel : le mode opératoire choisi pour l’inauguration. Vous le savez sans doute, cher lecteur, à moins d’avoir passé les derniers jours terrés dans une zaouia austère : l’accès au nirvana a été réservé pendant trois jours aux porteurs d’une invitation. Dans un premier temps, Zakaria Boualem a trouvé ce concept un peu étrange pour un centre commercial : depuis quand faut-il être élu pour dépenser son argent ?… Pourquoi pas un visa pour les supermarchés, un videur pour filtrer l’entrée dans les poissonneries ou des barbelés électriques pour protéger les magasins de bricolage. Bref, un coup de gueule superficiel et convenu… Puis il s’est dit que cette histoire d’invitation était une création collective de la société marocaine et qu’elle méritait une analyse plus poussée. Il faut en effet se souvenir que la drogue dure la plus courante au Maroc, c’est le statut. Proposer trois jours d’entrée sur invitation, c’est donc une idée brillante. Outre l’aspect ludique d’une chasse au trésor organisée à l’échelle d’une ville, cette procédure permet de satisfaire un nombre considérable de personnes qui se sentiront importantes. Tous les Marocains aiment se sentir importants et exigent d’être traités en conséquence, c’est une sorte de maladie nationale. Zakaria Boualem, par exemple, a un “ami à la RAM”. Un obscur tâcheron de l’informatique aéronautique dont la fréquentation ne donne droit à aucun tarif préférentiel, encore moins à des places cachées dans leur système ténébreux. Malgré ce fait avéré, le Guercifi ne réservera jamais un billet d’avion sans lui donner un coup de fil – c’est un réflexe rassurant. A quasiment chaque étape de sa vie de consommateur ou de locataire marocain, Zakaria Boualem commence par se demander “s’il connaît quelqu’un” dans l’organisme qu’il doit affronter. Mais notre haine de l’anonymat, phénomène parallèle à la passion du statut ne s’arrête pas là. Savez-vous, par exemple, qu’il existe de petits événements (conférences, concerts, etc.) où une poignée d’organisateurs dépense une énergie folle à confectionner deux types de badges. Il y a tout d’abord les badges “organisation”, qu’ils accrochent à leur cou toute la journée – un objet profondément inutile puisqu’ils se connaissent tous entre eux et qu’ils sont huit. Qu’importe, ils se sentent heureux avec. Ils sont importants. Et il y a les badges “VIP”, parce qu’ils se sentiront encore plus importants en les distribuant. Rien de plus valorisant que d’être sollicité pour une valorisation. Il est même possible que la distribution de ces badges et le cinéma qui va avec soit le véritable objectif de ces événements. La preuve, il arrive régulièrement que les techniciens, pourtant nombreux, n’en soient pas pourvus : on les oublie, ils ne sont là que pour travailler, pas pour se pavaner. Précisons en passant que ces héros de l’organisation badgée aiment se plaindre d’être interpellés par des quidams sur des points d’organisation justement. Ils sont surpris, ils se demandent pourquoi on les embête. Il faut savoir que chez nous, le badge ne donne pas lieu à une responsabilité. C’est un statut valorisant, point. Revenons à l’inauguration du Louvre, pardon de Morocco Mall. Cet ouvrage exponentiel devrait nous précipiter avec élan dans un futur brillant. Voilà, c’est écrit. Zakaria Boualem attend maintenant son badge pour la prochaine inauguration, et merci.