Edito. Les leçons d’Al Hoceïma

Par Aicha Akalay

Il y a un peu plus de cinq ans à Al Hoceïma, Jamal, Nabil, Jaouad, Sami et Imad sont retrouvés morts dans une agence bancaire. Ils avaient entre 17 et 26 ans. A cette époque, la rue marocaine était en ébullition, et un mouvement de contestation soufflait un vent de révolte sur le royaume. Ces cinq cadavres calcinés, découverts le lendemain du 20-Février 2011, ont vivement ému les habitants d’Al Hoceïma. Dans la rue, occupée par les forces de l’ordre après les débordements et la casse, l’injustice était dénoncée. Les familles des victimes réclamaient la vérité. Ils l’attendent encore. Pire, beaucoup d’informations sur la mort de leur fils, mari et frère leur ont été distillées via les médias, jamais par une autorité soucieuse de leur peine. Dans ce bout du Rif fier et combatif, la méfiance vis-à-vis du Makhzen n’est pas nouvelle, elle est légitime. 

Le vendredi 28 octobre, lorsque Mouhcine Fikri, commerçant de poisson, est broyé par une benne à ordures, les blessures du passé surgissent immanquablement. Car il y en a marre de l’impunité, des enquêtes qui n’aboutissent à aucune conclusion, et des autorités qui ne se sentent pas concernées par les drames qui touchent les Marocains. Cette fois-ci, les Hoceïmis nous préviennent : ça suffit ! Des milliers d’autres Marocains aux quatre coins du royaume ont donné de l’écho à cette mise en garde. Et comme chacun semble apprendre des erreurs du passé, la mobilisation se fait cette fois-ci dans le calme, sans le moindre débordement, même minime, nous assure le ministre de l’Intérieur. Notre envoyée spéciale à Al Hoceïma décrit des moments de mobilisation sincères, pacifiques, chargés d’émotion. En face, jamais les autorités n’ont été aussi à l’écoute et au service des citoyens. La révolte contre la “hogra” d’un côté, et la peur d’un soulèvement incontrôlable de l’autre, ont donné un grand moment de civisme et d’espoir. Des gens libres d’exprimer leur colère et des autorités à l’écoute. Ce nouveau rapport de force est une avancée pour le Maroc, et les deux parties, citoyens et autorité, en ont le mérite. 

La gestion par l’Etat de cet incident, conséquence du manquement d’agents de l’autorité, s’est faite essentiellement sur le volet administratif et légal, et c’est ce que les Marocains attendent. Les obsèques aux frais de la princesse et les démonstrations d’empathie ne suffisent pas. L’heure est à la gestion rationnelle des affaires qui touchent les citoyens. Après les inquiétudes des premières heures – le pays va-t-il basculer dans le chaos ? – il convient de tirer les bonnes conclusions. L’Etat a appris à mieux gérer les crises, mais il y a encore un long chemin à parcourir pour préparer l’avenir. Autant d’inquiétude à voir la rue défiler, c’est le révélateur d’un système aux assises peu solides.