Presse. Anouzla est libre... ou presque

Après 39 jours de détention, le journaliste Ali Anouzla, poursuivi dans le cadre de la loi antiterroriste, a été remis en liberté provisoire. Un rebondissement qui laisse présager du dénouement d’une affaire qui a fait couler beaucoup d’encre.

Il est midi passé ce vendredi 25 octobre devant la prison de Salé. Ali Anouzla, directeur du site Lakome, quitte le pénitencier par une petite porte de service, un sac plastique à la main contenant ses effets personnels. Il est aussitôt repéré par une foule d’amis qui se ruent sur lui pour le féliciter. Le journaliste qui recouvre sa liberté, après 39 jours derrière les barreaux, paraît physiquement atteint. Il garde le sourire devant le crépitement des flashs, il remercie la foule et les médias venus l’accueillir, mais son esprit est ailleurs. Ali n’a qu’une seule idée en tête : se rendre au plus vite à Harhoura, auprès de sa mère dont l’état de santé s’est dangereusement détérioré depuis son incarcération. Pour l’heure, il ne fait aucune déclaration, c’est à son avocat de s’y coller. “Il a été remis en liberté provisoire, sans aucune condition ou restriction. Ali est un journaliste et pas un terroriste”, se félicite Maître Hassan Semlali, un ancien détenu politique qui s’est reconverti en avocat d’affaires et qui a joué un rôle crucial dans les dernières évolutions de ce dossier.

“Un signal positif”

Poursuivi pour avoir “fourni délibérément de l’aide à qui veut commettre des actes terroristes, les moyens d’exécution d’un crime terroriste” et avoir fait “l’apologie d’actes constituant un crime terroriste”, le cas Ali Anouzla était mal engagé. Il doit toujours répondre de ces chefs d’accusation qui peuvent lui valoir jusqu’à 30 ans de prison. Néanmoins, sa relaxe est aujourd’hui accueillie comme un signal positif : “On n’accorde jamais la liberté provisoire à quelqu’un sur lequel pèsent des charges aussi lourdes”, commente un avocat du barreau de Rabat habitué aux procès pour terrorisme. D’ailleurs, Me Semlali ne cache pas son optimisme quant à la suite de l’affaire. Le ténor du barreau de Kénitra a obtenu que l’audience devant le juge d’instruction, prévue le 30 octobre, soit reportée au 23 décembre, pour pouvoir mieux étudier le dossier et permettre à Ali Anouzla de souffler. “La deuxième étape consistera à demander l’abandon des charges retenues contre mon client ou, du moins, demander au juge d’instruction antiterroriste de se déclarer incompétent et de renvoyer l’affaire devant le Tribunal de première instance de Rabat”, confie Me Semlali. Dans ce dernier cas de figure, Ali Anouzla serait ainsi poursuivi en vertu du Code de la presse et non plus dans le cadre de la loi anti-terrorisme. Mais si l’affaire semble se diriger vers cette sorte de happy-end, c’est qu’elle a connu un rebondissement spectaculaire il y a deux semaines. Un rebondissement que certains ont vu comme le signe d’un deal passé avec le pouvoir.

Le communiqué surprise

Une dizaine de jours avant sa libération, plus précisément le 14 octobre, Ali Anouzla prend tout le monde de court en publiant un communiqué de quelques lignes où il s’exprime pour la première fois depuis son arrestation. Il prend ses distances avec la vidéo attribuée à AQMI (Al Qaïda au Maghreb islamique) dont il avait publié le lien et qui lui a valu cette détention. Plus qu’une clarification de position, Anouzla annonce également sa décision de suspendre provisoirement Lakome. Le site devient alors inaccessible à partir du Maroc (voir p.18). Ali Anouzla aurait-il donc accepté de faire des concessions pour pouvoir sortir de prison ? Une question que son avocat balaie d’un revers de main. “Ali n’a subi aucune pression pour publier son communiqué, affirme Hassan Semlali. C’est à sa demande que j’ai transmis son communiqué, d’abord au Parquet, puis au service juridique de l’ANRT (Agence nationale de réglementation des télécommunications, ndlr)”. Quoi qu’il en soit, le communiqué d’Anouzla a, semble-t-il, produit l’effet escompté. Sa deuxième audience devant le juge d’instruction, le 22 octobre, se déroule dans de meilleures conditions. Me Semlali présente une requête de liberté provisoire qui recevra même un avis favorable du Parquet. Dès lors, la libération d’Anouzla paraît quasiment acquise.

L’avocat providence ?

La veille de cette audience, les quatre avocats (Abderrahim Jamaï, Abderrahmane Benameur, Khalid Soufiani et Naïma El Guellaf) qui constituaient le comité de défense d’Anouzla s’indignaient contre la décision de leur client. Dans un communiqué, ils ont annoncé leur retrait de l’affaire et ont protesté contre l’arrivée d’un nouvel avocat sans en avoir été avertis au préalable, conformément aux usages de la profession. “C’est archifaux ! rétorque Me Semlali. Je représente Anouzla depuis le 1er octobre. Je le défends à sa demande et à la demande de sa famille”. L’avocat – connu pour avoir été membre d’Ilal Amam et avoir purgé 15 ans de prison – est en fait un ami de longue date de Ali Anouzla et a même été l’un de ses actionnaires quand il avait créé le quotidien Al Jareeda Al Oula. Un membre de la famille Anouzla nous le confirme : “Maître Semlali est un ami de la famille. C’est en grande partie grâce à lui que Ali est libre”.

Il n’empêche que cela n’exclut pas la version des membres du comité de défense, qui reprochent à leur confrère d’avoir voulu conduire en solo, et à sa manière, cette affaire. “J’ai contacté les quatre avocats pour coordonner la défense, sans jamais recevoir de réponses”, nous explique Hassan Semlali, qui n’hésite pas à lancer : “Ces avocats allaient demander un report de l’audience devant le juge d’instruction pour attendre le retour de Khalid Soufiani de La Mecque. Moi, je me soucie d’abord des intérêts de mon client”. Alors, pour défendre au mieux les intérêts de son client, Me Semlali aurait-il fait jouer ses connexions et sa proximité avec quelques influentes personnalités, notamment Ilyas El Omari, un des dirigeants les plus en vue du PAM ? A cela, l’avocat nous rétorque : “Je ne vois pas où est le mal d’avoir des amis. Mais la libération d’Anouzla est d’abord le fruit de l’extraordinaire pression nationale et internationale”. Et de conclure : “Aujourd’hui, ma mission est accomplie à 50%”

Ali Anouzla est aujourd’hui libre. Il se refuse néanmoins à tout commentaire dans les médias. Il s’est contenté d’adresser une lettre émouvante aux participants à un colloque de solidarité avec lui où il espère que cette affaire soit close. Il ne se prononce à aucun moment sur le sort du site Lakome et ne fait aucune allusion à son éventuel reprise d’activité. Selon un de ses proches, “c’est une question à laquelle il répondra quand tout sera fini”. Ça se comprend…

Lakome. Qui détient quoi ?

La version arabophone de Lakome a été lancée en décembre 2010 par Ali Anouzla. Quelques mois plus tard, Aboubakr Jamaï le rejoint en lançant la version francophone. Faute de moyens, le projet est dans un premier temps abandonné. Mais en septembre 2011, Mourad Ettaieb, un homme d’affaires installé en France, apporte un capital de 100 000 dirhams pour créer la société Lakome Media et relancer la version francophone du site. “Ettaieb est un ami d’enfance de Aboubakr Jamaï et connaît également Ali Anouzla”, nous confie un ancien collaborateur de Lakome. Le capital reste néanmoins insuffisant pour faire tourner une entreprise de presse. D’ailleurs, lors d’une récente conférence, Aboubakr Jamaï a affirmé que 80% des ressources de Lakome proviennent de l’ONG danoise International media support (IMS) sans pour autant préciser le montant de la contribution de cette association. Contactée par TelQuel, Virginie Jouan, chargée des programmes IMS pour le Maroc et la Tunisie, n’a pas jugé utile de répondre à nos questions.

 

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