Aires de repos. Un business qui roule

La toile autoroutière marocaine se développe, donnant naissance à un commerce lucratif et très convoité. Arrêt sur le négoce du bitume.

ça y est, c’est l’été ! Le temps est venu de prendre la route, ou plutôt l’autoroute, puisque, désormais, quasiment toutes les destinations estivales du royaume sont desservies par le réseau autoroutier. Avec ses 1000 kilomètres de tronçons déjà en service, le ruban noir marocain est de plus en plus fréquenté : chaque année le trafic y augmente de 17% et les recettes de péage de 16%, selon les statistiques d’Autoroutes du Maroc (ADM). Mais il n’y a pas que les gares de péage qui remplissent leurs caisses, il y a aussi les aires de services. Avec un passage de plus de 200 000 véhicules par jour, c’est autant de clients potentiels qui pourraient prendre une pause dans les stations-services d’autoroute. Et c’est indéniable, le comportement du chauffeur marocain commence à évoluer : désormais, il s’arrête régulièrement et passe de plus en plus de temps dans ces espaces aménagés.

A celui qui paie le plus…

Il existe actuellement une cinquantaine d’aires de repos éparpillées tout au long du réseau autoroutier. Contrairement à l’idée reçue, il n’y a pas une norme qui spécifie la distance minimale à respecter entre deux aires d’autoroute (alors que la loi sur le secteur pétrolier prévoit au moins 500 m de distance en zone urbaine et 30 km en interurbain entre chaque station service). C’est donc ADM qui fixe le nombre de ces aires de service, leurs superficies ainsi que leurs emplacements. Sur la carte autoroutière actuelle, elles sont disposées en moyenne tous les 40 à 70 km. La société publique s’occupe également de l’achat de terrains ou de leur expropriation pour les mettre à disposition de l’exploitant. Elle prend en charge par ailleurs les frais de terrassement, la voirie, les parkings, l’aménagement des accès, l’éclairage public ainsi que le raccordement au réseau électrique et d’eau potable. L’adjudicataire se voit donc attribuer une plateforme viabilisée, prête à accueillir les installations et les équipements. A sa charge d’aménager ces espaces en respectant un cahier des charges qui prévoit des infrastructures incontournables : station essence, restaurant, bloc sanitaire ou encore salle de prière. La société exploitante peut néanmoins financer la construction d’autres installations : commerces, aires de jeux et, depuis peu, même des hôtels. Mieux encore, l’exploitant d’une aire de repos peut décider d’étendre ses activités. Dans ce cas, l’acquisition de nouveaux terrains et les travaux de voierie lui sont facturés, même si les nouvelles installations sont incorporées dans la concession initiale et appartiendront à ADM au terme du contrat (généralement d’une durée de 20 ans renouvelables).

Mais, surtout, la société exploitante est tenue de verser une redevance annuelle à ADM. Calculé généralement sur la base d’un forfait majoré d’un intéressement sur le chiffre d’affaires, ce taux de redevance est fixé dans le cadre d’un appel d’offres où tout se joue justement sur cette offre financière. Car sur les 100 points attribués à la notation des dossiers dans les appels d’offres d’ADM, 60 sont liés à la proposition financière et 40 seulement à l’offre technique. Autrement dit, celui qui peut payer le plus est quasiment certain de remporter le marché. Surtout quand on sait que “l’offre technique est généralement classique et qu’elle ne diffère pas trop d’un exploitant à un autre”, comme nous l’explique un responsable au sein d’ADM. Il n’empêche que les sociétés sont souvent prêtes à miser gros pour s’adjuger une part de marché. Et pour cause, le business peut être très juteux.

Vers la rentabilité

D’ailleurs, ce n’est pas un hasard si seuls les grands distributeurs pétroliers peuvent se permettre de s’implanter sur les aires d’autoroutes. Et ce sont les deux mastodontes, Afriquia et Shell, qui s’octroient la part du lion avec plus de 60% de parts de marché. Sur les trois tronçons qui réalisent 50% du trafic total (à savoir Casablanca-Rabat, Casablanca-Settat et Rabat-Kénitra), seules les bannières des trois premiers groupes pétroliers —Afriquia, Shell et Total— flottent. Par contre, dans la zone sud Marrakech-Agadir, ce sont plutôt Petrom ou Ziz qui se démarquent. A croire que chaque opérateur a sa zone de prédilection. “Les stations autoroutières représentent pour le moment un investissement en termes d’image. Elles nous permettent de marquer notre territoire, explique ce responsable du groupe pétrolier CMH. Quant à la rentabilité, c’est une affaire à long terme, qui viendra avec le développement du parc automobile et le trafic interurbain”.

En effet, le business des autoroutes en est encore à ses débuts. Surtout que la fréquentation de ces axes routiers reste saisonnière. C’est pendant les vacances d’été —les mois de juillet et août— que les commerces autoroutiers réalisent le tiers de leur chiffre d’affaires annuel. Un chiffre d’affaires plus que confortable, vu les marges stratosphériques pratiquées dans ces aires de repos. En effet, mis à part le carburant dont le prix est fixé par l’Etat, les produits proposés par les commerces annexes de ces stations, comme les shops ou les restaurants (gérés en direct par les exploitants), sont parfois jusqu’à 40% plus chers que les prix dans les grandes surfaces. Les gérants justifient cette tarification par les contraintes liées au contrat, comme l’obligation de rester ouvert 24h/24 et l’importance de la redevance versée à l’ADM. Mais tous les opérateurs le jurent, le business en est à peine à ses balbutiements. D’ailleurs, les concessionnaires essaient la plupart du temps de retarder l’ouverture d’une aire de repos jusqu’à ce que le trafic atteigne un niveau intéressant. Pourtant, le délai d’exécution pour la mise en service de ces stations est fixé à 9 mois et, théoriquement, l’aire de repos doit être opérationnelle le jour de la mise en circulation de l’autoroute. Or des retards ont été par exemple constatés sur les axes Casablanca- Marrakech et Marrakech-Agadir. Dans ces cas, des pénalités assez dissuasives sont prévues dans les contrats de concession (500 dirhams par jour pour les 30 premiers jours et 1000 dirhams pour les jours suivants). Sauf que, jusqu’à présent, elles ont rarement été mises à exécution…

 

Remorquage. Et si on tombait en panne ?

L’autre business qui carbure bien sur l’asphalte est celui du dépannage et du remorquage des véhicules en panne ou accidentés. En effet, le réseau autoroutier national ne cesse de s’élargir et, avec lui, le nombre des usagers. Et qui dit plus de trafic, dit plus de pannes et d’accidents. 11 dépanneurs principaux, privés et agréés par ADM, se partagent l’ensemble de la toile autoroutière. Et comme pour les aires de services, l’octroi des autorisations d’exploitation se fait par appel d’offres. Les dispositions prévues par les cahiers des charges doivent être à portée de main des usagers, soit dans les locaux du dépanneur soit dans les gares de péage. Quant aux tarifs appliqués, ils sont fixés par arrêté du ministère de l’Economie et des Finances, et le dépanneur est tenu de les afficher dans la cabine de son véhicule et à l’entrée de ses locaux. Par exemple, pour le remorquage d’un véhicule léger, type voiture de tourisme, il faut compter 150 dirhams de forfait d’intervention, auxquels s’ajoutent 6 dirhams par kilomètre parcouru. Vous voilà prévenus !

 

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