On a vécu une semaine d’escalade, qui s’est traduite par un retour des marchés sur les niveaux d’avril dernier”, avant une accalmie mardi en l’absence de nouveaux bombardements russes, constate Gautier le Molgat, analyste au cabinet Agritel (Argus Media France).
À la Bourse de Chicago, le blé d’hiver américain de variété SRW (Soft Red Winter Wheat) a clôturé mardi à 7,6025 dollars le boisseau (environ 27 kg), après être monté en séance à plus de 7,77 dollars, son plus haut niveau depuis cinq mois.
De moindre ampleur, la hausse sur le marché européen a propulsé le blé tendre à près de 262 euros la tonne pour une livraison en septembre, grimpant de 12% en une semaine. Le maïs a suivi, dans une moindre proportion, clôturant mardi à 254 euros la tonne sur l’échéance d’août, en hausse de 7% sur la même période.
La flambée des cours a été surtout notable vendredi, après des bombardements sur le port ukrainien de Réni, sur le Danube, à 300 km à l’ouest du port maritime d’Odessa mais à moins de 300 mètres de la Roumanie, pays membre de l’OTAN, qui a mis en garde contre “les graves risques pour la sécurité en mer Noire”.
L’inquiétude des marchés est totalement pilotée par la situation géopolitique, estiment les analystes : elle n’est pas lié à un manque de blé, disponible et peu cher en provenance de Russie, ni de maïs, en abondance avec la récolte record brésilienne, elle est due à “la peur de futures pénuries”, souligne Arlan Suderman, de la plateforme StoneX.
“Ce qui explique la hausse des cours des derniers jours, ce n’est pas la fermeture du corridor maritime — actée le 17 juillet, et qui avait permis de sortir 33 millions de grains d’Ukraine en un an —, c’est le fait que la Russie bombarde des installations portuaires, que l’Ukraine soit aussi à l’offensive, avec notamment l’attaque de drones en Crimée dans le détroit de Kertch samedi”, pour Gautier Le Molgat.
“Si les bombardements s’intensifient, cela posera la question de la sécurité du trafic dans la zone, de la mer d’Azov à la mer Noire, et donc de la capacité d’export des Russes. Personne n’y gagnera”, souligne-t-il. Pour le moment, le marché n’a pas “intégré” le risque d’une riposte de l’Ukraine qui bloquerait la circulation dans le détroit de Kertch, par lequel transite 40% des céréales russes exportées, mais ce risque existe, et “c’est un point de vulnérabilité pour la Russie”, estime Suderman.
En Ukraine, le bombardement de Réni n’a pas interrompu le trafic fluvial et “les terminaux continuent à fonctionner”, selon Andreï Sizov, du cabinet d’analyse SovEcon.
Il estime probable “d’autres attaques russes sur le Danube ou des infrastructures qui lui sont connectées”, jugeant que “la cible la plus logique serait le pont de Zatoka”, qui relie Odessa au sud-ouest du pays, car “c’est la seule manière de rejoindre Izmaïl”, sur le Danube.
Cette voie fluviale, où des dizaines de cargos transitent ces derniers jours, permet à la fois de rallier Constanta (Roumanie) au sud, pour regagner la traditionnelle route du Bosphore, et le réseau ferré roumain, vers l’ouest.
Déterminée à maintenir les exportations agricoles ukrainiennes, l’Union européenne a dit mardi vouloir renforcer ces voies alternatives au corridor maritime, qui ont permis d’exporter plus de 41 millions de tonnes de céréales à travers la Roumanie et la Pologne.
“La question porte sur le coût supplémentaire” de ces itinéraires, qui visent des exportations de 4 à 4,5 millions de tonnes par mois, et “sur la possibilité de les faire transiter par des pays est-européens qui ne veulent pas que ces céréales fassent baisser leurs propres prix”, souligne Michael Zuzolo de Global Commodities Analytics ans Consulting, qui s’interroge par ailleurs sur “la faisabilité d’un tel projet dans un délai relativement court” alors que la Russie vise les infrastructures céréalières elles-mêmes.
Autre crainte : le devenir même de l’agriculture ukrainienne. Pour Arlan Suderman, “la vraie inquiétude, c’est que les fermiers ukrainiens ne sèment pas s’ils ne peuvent pas exporter. Cela donnerait des pénuries l’an prochain”.