Visas pour Sebta et Melilia : le nouveau dilemme des travailleurs tranfrontaliers

Les travailleurs transfrontaliers des provinces de Nador et de Tétouan dans l’impasse ? Les autorités espagnoles viennent d’annoncer l’obligation de visa pour se rendre dans les enclaves de Sebta et Melilia, même pour ces travailleurs auparavant privilégiés.

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Le poste-frontière de Sebta. Crédit: Yassine Toumi / TelQuel

Ce qui a été annoncé : Le ministère espagnol des Affaires étrangères a publié une mise à jour concernant les conditions d’accès aux deux enclaves. Le document publié sur le site du consulat général d’Espagne à Tétouan indique que les travailleurs transfrontaliers issus des provinces du nord (M’diq-Fnideq, Tétouan et Nador) auront besoin d’un visa pour se rendre à Sebta et à Melilia. Cette nouvelle exigence entrera en vigueur à partir du mardi 31 mai.

Désormais, les travailleurs détenant un contrat de travail et ceux qui en disposent mais sont toujours en attente d’inscription auprès des agences de sécurité sociale doivent répondre à plusieurs critères pour pouvoir accéder aux deux enclaves. Ainsi, ils doivent demander un rendez-vous dans les bureaux de ce consulat.

Seuls 40 rendez-vous par jour sont organisés. Outre le formulaire de demande de visa, ces travailleurs auront besoin de présenter plusieurs pièces et documents, dont un contrat de travail et un document prouvant leur adhésion à un régime de sécurité sociale espagnol.

Pourquoi cela compte ? Exonérés de visa depuis plusieurs années, les travailleurs transfrontaliers, résidant dans les villes limitrophes des deux enclaves, voient se compliquer leur accès à Sebta et à Melilia. Il s’agit d’une exigence qui pourrait nuire aux intérêts d’environ 3000 Marocains qui traversaient, quotidiennement, les postes de Tarajal et de Beni Ensar pour rejoindre leur lieu de travail.

Par ailleurs, cette nouvelle décision du gouvernement de Madrid met fin au statut exceptionnel de ces deux villes, considérées autonomes par l’Espagne (depuis 1995) et revendiquées par le Maroc. Pour nos voisins du nord, il s’agit de la première étape d’un processus d’intégration totale des deux enclaves dans l’espace Schengen. Le royaume ibérique dit vouloir rendre claires les frontières sud de l’Union européenne (UE)”.

Le contexte : La décision espagnole intervient dans le cadre de la deuxième phase de la réouverture des postes frontaliers entre les deux enclaves et le reste du Maroc. Rabat et Madrid avaient convenu de rouvrir ces points de passage, fermés depuis plus de deux ans.

Malgré la réouverture, les autorités marocaines ont maintenu la politique de tolérance zéro face à la contrebande en provenance de ces deux villes. Quelques jours plus tard, les autorités espagnoles ont mis fin à l’exclusion des travailleurs transfrontaliers de l’obligation de visas pour accéder à Sebta et Melilia.

Selon des médias espagnols, il faudra attendre jusqu’au 15 juin avant de connaître la décision du ministère espagnol de l’Intérieur concernant le rétablissement du statut particulier appliqué aux deux enclaves.

La situation avant : Malgré l’adhésion de l’Espagne aux accords de Schengen, en 1991, un statut de particularité avait été attribué aux deux villes de Sebta et de Melilia. En vertu de cette exception, les ressortissants marocains issus des provinces limitrophes des deux enclaves étaient exonérés de visas pour s’y rendre. De coutume, ces Marocains pouvaient y entrer avec leur passeport ou un document de résidence.

Ce qui a été dit à ce sujet : Principaux concernés par cette décision, les travailleurs transfrontaliers ont dénoncé une “restriction” de leur accès aux deux villes. Ainsi, le bureau régional de l’Union marocaine du travail à Nador a rejeté une situation “malsaine” dans laquelle vivent les transfrontaliers, considérant que le processus de réouverture des frontières “n’a pas pris en considération les intérêts des transfrontaliers, qui ont ouvert des droits dans les enclaves (ancienneté de travail, épargnes, dossiers médicaux…)”.

Face à des “mesures abusives”, ce bureau syndical de l’UMT n’a pas écarté de revendiquer, auprès de la justice internationale, une indemnité de 100 millions d’euros en faveur de ces travailleurs, souligne un communiqué dont TelQuel détient copie.

De son côté, le secrétaire régional de l’UMT à Nador, Rabii Mazid, a considéré que la régularisation de la situation de ces travailleurs aurait dû être discutée, avant la reprise des relations, lors des négociations entre les deux pays. “Juste après le discours de la Révolution du roi et du peuple, nous avons contacté le ministre des Affaires étrangères, M. Nasser Bourita, afin d’inclure le dossier des travailleurs transfrontaliers dans l’ordre du jour des négociations avec les Espagnols”, nous a-t-il déclaré. Pour ce syndicaliste, “Melilia est une extension de Nador”. “Il s’agit d’un seul peuple, mais qui a été séparé”, ajoute-t-il.

Quant à la situation de ces travailleurs, Mazid a confirmé que la majorité d’entre eux ont été licenciés par leurs employés, ou ne bénéficient plus des allocations de la sécurité sociale. “Juste après la fermeture des frontières, plusieurs de ces personnes ont reçu des avis d’abandon de poste de leurs employeurs”, précise-t-il. Selon Mazid, les autorités espagnoles auraient anticipé la crise que pourrait engendrer le retour de ces travailleurs, “dont la majorité compte recourir à la justice en vue de régler leur situation”.

À noter que ce syndicat a écrit de nouveau au ministère des Affaires étrangères, en vue d’intervenir en faveur des transfrontaliers, mais n’a reçu aucun retour jusqu’à l’écriture de ces lignes. Le même organisme a demandé de se réunir avec le consul général de l’Espagne à Nador, avant que sa demande ne soit refusée par les Espagnols. La justification étant que le consul était en congés.

Pour en savoir plus : Entamée le 17 mai, la réouverture des postes frontaliers entre les deux villes et le reste du Maroc était très attendue dans les provinces du nord après plus de deux ans d’inactivité et de crise. Or, il s’est avéré que ce “ouf” de soulagement n’était pas pour tout le monde. Depuis plusieurs décennies, le dossier sensible de Sebta et Melilia, qui oppose le Maroc et l’Espagne, est devenu une bombe pour les dirigeants des deux royaumes.