Le PJD a-t-il encore un avenir ?

Par Abdellah Tourabi

En juin 1996, une centaine de jeunes islamistes affluent vers la demeure du Dr Abdelkrim Khatib à Rabat, pour animer le congrès d’un vieux parti en jachère, le MPDC (Mouvement populaire démocratique et constitutionnel). Après avoir tenté en vain de créer leur propre parti et après avoir tenté, vainement aussi, d’intégrer l’Istiqlal, les amis de Abdelilah Benkirane et de Saâd-Eddine El Othmani ont réussi à convaincre le patriarche nationaliste de les intégrer au sein de sa formation politique. Après des années de militantisme radical, d’influence par des idées extrémistes, d’emprisonnement pour certains d’entre eux, les jeunes islamistes ont enfin mis un pied dans la vie politique légale et officielle du pays. Deux ans plus tard, le MPDC change de nom pour devenir le PJD, et la suite, tout le monde la connaît : une douzaine d’années dans l’opposition, une décennie de gloire et de pouvoir et une chute vertigineuse aux élections de 2021.

“À moins de croire aux théories de l’éternel retour et de la réincarnation, on ne peut imaginer que le PJD retrouve de sitôt sa gloire d’antan et sa puissance”

Abdellah Tourabi

Au moment de l’écriture de ces lignes, le PJD s’apprête à organiser son congrès, dans des conditions particulières. Le parti est divisé, des figures historiques ont pris leurs distances (Mustapha Ramid, par exemple), de jeunes cadres s’impatientent et demandent du changement, les débats internes sur la place de Abdelilah Benkirane s’enflamment, et les finances du parti sont désastreuses : au point d’organiser une quête pour organiser le congrès !

On est loin de l’esprit conquérant et dominant qui a marqué le PJD depuis sa création. À moins de croire aux théories de l’éternel retour et de la réincarnation, on ne peut imaginer que le PJD retrouve de sitôt sa gloire d’antan et sa puissance, et cela pour de multiples raisons.

Tout d’abord, il y a le reflux de l’islam politique dans l’ensemble du monde arabe. Après avoir dominé les cœurs et les esprits pendant plus d’un demi-siècle, représentant l’horizon intellectuel et politique pour des générations d’Arabes, l’islamisme est entré dans une phase de déclin général.

Il n’y a que les médias et les politiques en France pour continuer à le brandir en épouvantail. Les expériences décevantes des islamistes au pouvoir (Égypte, Tunisie, Maroc…), l’étonnant retournement idéologique et culturel de certains pays du Golfe (notamment l’Arabie saoudite), la disparition et le vieillissement de leurs figures historiques et intellectuelles, et évidemment le retour de la répression et de la violence contre ces mouvements dans certains pays, ont créé un climat d’effondrement de l’islam politique dans le monde arabe. Et si la situation à Gaza a ranimé la flamme islamiste, elle n’est pas suffisante pour lui offrir une nouvelle vie.

Ensuite, le PJD doit également gérer les effets d’une décennie au gouvernement et aux mairies des grandes villes. Son électorat lui reproche, pêle-mêle, d’avoir échoué à combattre Al Fassad (la corruption et la collusion entre l’argent et la politique) présenté pourtant comme la grande cause du PJD, d’avoir adopté des mesures contre le pouvoir d’achat des Marocains (la libéralisation des hydrocarbures…) et d’avoir signé les accords d’Abraham et avalisé la normalisation avec Israël. Ce dernier point a fait éclater le parti en morceaux et il peine encore à le justifier auprès de ses membres et sympathisants.

Enfin, le PJD vit une situation d’abattement et de dislocation générale. Les idées du parti sont en fin de cycle, la cohésion et la discipline qui l’ont marqué pendant des décennies se sont évaporées et ses cadres et dirigeants n’ont plus la même rage de vaincre et de dominer qu’avant. Abdelilah Benkirane tente de maintenir, à sa manière, le navire à flot, mais les vents sont contraires.

Le PJD connaît ainsi le même sort que d’autres partis avant lui, comme l’USFP, passant de la gloire au déclin, et entamant une longue traversée du désert politique. Il lui faudrait du temps, un renouveau idéologique et organisationnel, pour espérer enfin retrouver sa place d’avant. Mais en politique comme dans la vie, on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve !