On ne le répétera jamais assez : la Constitution de 2011 a été un habit trop large et sophistiqué pour les forces politiques en place au Maroc. Le calife Ali disait, il y a 14 siècles, à propos du Coran, qu’il était juste “des lignes écrites dans un livre et ce sont les hommes qui lui donnent sens”.
Cette assertion est également valable pour la Constitution de notre pays. Ce texte fondamental, considéré comme le plus avancé de l’histoire du royaume, avait besoin d’hommes et de femmes capables de l’assimiler et de lui donner sens et vie. Le roi Mohammed VI a fourni, depuis 2011, un modèle positif d’une application rigoureuse du texte constitutionnel qui permet de l’ancrer dans la pratique politique et institutionnelle du Maroc.
La nomination du Chef du gouvernement au sein du parti vainqueur aux élections législatives est un exemple de cette mise en pratique par le souverain, qui s’en tient à l’article 47 de la Constitution, alors qu’une autre interprétation aurait pu être possible et a même été suggérée, notamment en 2016. Mais, malheureusement, ce n’est pas le cas de toutes les dispositions de la Constitution et des institutions qui y sont mentionnées.
Prenons par exemple les instances de bonne gouvernance et de régulation. Au moment de l’élaboration de la Constitution de 2011, ces institutions revêtaient une importance particulière. Elles étaient conçues comme des garde-fous, des outils de protection des individus et de la société contre le pouvoir démesuré de l’argent et la connivence possible entre les autorités publiques et les acteurs économiques. Elles incarnaient les garants de la transparence, du pluralisme et de la liberté saine et responsable.
Leur inscription dans la Constitution répondait aux demandes populaires de l’époque en termes de bonne gouvernance et de lutte contre “Al Fassad”. Des personnalités (dont la compétence et l’intégrité ne peuvent faire l’objet d’aucun doute) se sont succédé depuis 2011 à la tête de ces institutions, et nous pensons que c’est encore le cas des personnes nommées cette semaine par le roi à la tête de trois de ces institutions.
“Le nuage de suspicion qui plane désormais au-dessus des instances constitutionnelles de régulation et de bonne gouvernance est le résultat de l’absence d’un mur de séparation entre le politique et l’économique chez Akhannouch”
Mais pourquoi alors cet air de doute et de suspicion qui flotte autour de certaines nominations et le sens du départ d’autres personnalités ? Pourquoi des interprétations pullulent-elles dans l’espace public pour voir la main du Chef du gouvernement derrière tout cela ? Est-ce que Aziz Akhannouch est devenu si puissant pour obtenir une telle nomination ou un tel départ au sein d’institutions constitutionnelles et indépendantes du pouvoir exécutif ? À titre personnel, je ne souscris pas à une telle lecture, du moment que l’on ne dispose pas d’informations claires et fiables. Nous sommes plutôt dans le domaine de l’interprétation et même de l’extrapolation.
Le nuage de doute et de suspicion qui plane désormais au-dessus des instances constitutionnelles de régulation et de bonne gouvernance est le résultat du comportement du pouvoir exécutif à leur égard, ainsi que de l’absence d’un mur de séparation entre le politique et l’économique chez Aziz Akhannouch. Ainsi, en multipliant les attaques contre les rapports de ces instances, le gouvernement a participé à leur fragilisation. Tout changement à leur tête, même quand il est légal car il ne s’agit pas de mandats à vie, devient alors suspect et interprété comme un règlement de comptes.
Le départ de Bachir Rachdi de l’Instance chargée de la lutte contre la corruption (INPPLC) a été perçu comme le résultat d’une vindicte du pouvoir exécutif et de son chef. Les attaques indignes et répétées du gouvernement contre les rapports émis par l’INPPLC ont créé les conditions favorables pour rendre ces interprétations plausibles au sein de l’opinion publique.
Le fait que Aziz Akhannouch soit Chef de gouvernement, mais aussi un acteur économique de premier plan dans des secteurs stratégiques, ajoute également du doute à la confusion. Les activités économiques du patron d’Akwa se télescopent avec la nature du mandat du Chef de gouvernement et se retrouvent inévitablement devant ces instances de régulation et de bonne gouvernance. L’entente autour des prix des hydrocarbures traitée par le Conseil de la concurrence est un exemple de ce malaise institutionnel, car toute décision du régulateur, même si elle est juste et pertinente, sera reçue avec méfiance et circonspection. Hélas pour des institutions si importantes pour le pays !