L’essor de la RSE au Maroc remonte aux années 2000, sous l’impulsion des filiales de multinationales qui ont introduit les premières pratiques formalisées en la matière. Un tournant majeur a été marqué en 2006 avec l’adoption par la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM) d’une charte RSE inspirée des normes internationales, notamment le Pacte mondial des Nations Unies et les principes directeurs de l’OCDE. Cette charte repose sur neuf engagements clés, couvrant des thématiques telles que le respect des droits humains, la protection de l’environnement, la prévention de la corruption et la gouvernance d’entreprise.
En février 2024, seules 124 entreprises avaient obtenu le label RSE de la CGEM, dont 37 PME. Le secteur industriel représente 36% des entreprises labellisées, tandis que les services en constituent 64%, en plus de 23 entreprises cotées en Bourse
Malgré cette initiative structurante, son adoption reste limitée. En février 2024, seules 124 entreprises avaient obtenu le label RSE de la CGEM, dont 37 PME. Le secteur industriel représente 36% des entreprises labellisées, tandis que les services en constituent 64%, en plus de 23 entreprises cotées en Bourse.
Parallèlement, l’État a renforcé son cadre législatif en intégrant la RSE dans plusieurs stratégies nationales. La Stratégie nationale de développement durable (SNDD), adoptée en 2017, vise ainsi à ancrer des pratiques responsables dans l’ensemble des secteurs économiques. D’autres textes législatifs, tels que la loi n°19-12 sur la protection des travailleurs domestiques ou l’obligation de reporting environnemental, social et de gouvernance (ESG) pour les entreprises cotées en Bourse depuis 2019, témoignent de la volonté du législateur d’encadrer cette transition.
Malgré ces avancées, l’application effective des engagements RSE reste inégale. Comme l’explique Omar Benaicha, chercheur et vice-président de l’Observatoire de la RSE au Maroc (ORSEM), « l’État met en place le cadre institutionnel de la RSE, mais ne l’anime pas », soulignant ainsi l’absence d’actions incitatives et de mécanismes de suivi des engagements pris par les entreprises.
Une adoption contrastée
« Pour de nombreuses PME, investir dans des initiatives responsables est perçu comme un coût supplémentaire, alors même qu’il pourrait générer des gains en productivité et en compétitivité à long terme », souligne Adil Cherkaoui
Si les grandes entreprises disposent des ressources nécessaires pour intégrer la RSE dans leur stratégie globale, son adoption demeure plus complexe pour les TPE/PME. Adil Cherkaoui, enseignant-chercheur à l’Université Hassan II de Casablanca et spécialiste du sujet, met en lumière cette disparité. Selon lui, les TPE perçoivent la responsabilité sociale sous un prisme purement économique, axé sur la rentabilité et la pérennité de l’activité. Les petites entreprises, quant à elles, considèrent souvent que le respect des obligations légales en matière de droit du travail constitue un engagement suffisant.
À l’inverse, les entreprises de taille intermédiaire sont davantage enclines à intégrer la RSE dans une perspective de développement durable, en s’efforçant de réduire leur impact environnemental et d’adopter des pratiques plus responsables. Un des freins majeurs réside dans le manque d’incitations financières et fiscales. « Pour de nombreuses PME, investir dans des initiatives responsables est perçu comme un coût supplémentaire, alors même qu’il pourrait générer des gains en productivité et en compétitivité à long terme« , souligne Adil Cherkaoui.
Quels leviers pour accélérer la transition RSE au Maroc ?
Pour faire de la RSE un véritable moteur de croissance, plusieurs leviers doivent être activés. Pour Adil Cherkaoui, l’État est appelé à jouer un rôle plus actif, notamment en renforçant les incitations fiscales et financières afin d’encourager les entreprises à adopter des pratiques responsables. L’intégration de critères RSE dans les marchés publics constitue également un levier stratégique. En imposant des exigences claires aux entreprises candidates, l’administration enverrait un signal fort et inciterait davantage d’acteurs à structurer leur démarche sociétale.
L’accompagnement des PME apparaît également comme une nécessité. Actuellement, peu d’initiatives sont mises en place pour aider ces entreprises à structurer leur engagement RSE. Le développement de programmes de formation, de financements dédiés et d’incubateurs spécialisés permettrait d’accélérer cette transition. Enfin, la création d’un indice de notation RSE national pourrait stimuler une dynamique plus vertueuse. Ce type de dispositif, déjà existant dans certains pays, permettrait de valoriser les entreprises les plus engagées, tout en améliorant la transparence et la crédibilité des engagements pris.
Un vecteur de développement territorial
Au-delà des enjeux économiques et environnementaux, la RSE joue un rôle essentiel dans le développement des territoires. En investissant dans des programmes de formation, de santé et d’éducation, certaines entreprises contribuent directement à l’amélioration des conditions de vie des communautés locales, notamment dans les petites localités. « Pour garantir un engagement efficace des entreprises en faveur du développement local, il est essentiel d’intégrer des actions durables et à long terme dans leur modèle économique, tout en évitant les initiatives ponctuelles de communication« , explique Adil Cherkaoui.
L’adoption d’une approche inclusive, axée sur l’emploi local et le soutien à la formation professionnelle adaptée aux besoins des territoires, est un facteur clé de succès. Qui plus est, la mise en place de partenariats entre entreprises, autorités locales et ONG permettrait d’optimiser ces démarches, en développant des projets concrets répondant aux besoins spécifiques des populations locales, tels que la construction d’infrastructures, l’amélioration des services de santé et d’éducation, ou encore la création d’emplois locaux, conclut l’enseignant-chercheur.