Voici pourquoi Saad Eddine El Otmani, ex-chef du gouvernement et ex-ministre des Affaires étrangères, se trompe lourdement sur notre dossier UA

Dans un commentaire adressé à TelQuel, l’ancien chef du gouvernement Saad Eddine El Otmani a soutenu que notre dossier de couverture consacré à l'Union africaine (TelQuel n°1121) contenait une erreur factuelle majeure. Fact-checking de son propos.

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Rachid Tniouni / TelQuel

Notre dernière couverture consacrée à la stratégie déployée par le Maroc dans le cadre de la course à des fonctions clés de l’Union africaine (UA) a fait réagir. Dans ce dossier (consultable en cliquant sur la couverture ci-dessous), nous abordions notamment l’échec du Maroc dans sa candidature à l’obtention d’un siège au Conseil de paix et de sécurité (CPS) de l’UA.

Cette vérité est toutefois contestée par l’ancien ministre des Affaires étrangères et chef du gouvernement, Saad Eddine El Otmani, qui a publié le commentaire suivant sur son compte X :

Une affirmation dont la quasi-totalité est fausse et que nous allons débunker. Penchons nous point par point sur l’affirmation de Saad Eddine El Otmani. 

1. Les deux mandats du Maroc au CPS sont distincts

Dans sa réponse à notre dossier, l’ex chef du gouvernement affirme que le Maroc n’a pas le droit de se représenter car il a déjà siégé à deux reprises au sein du CPS. Son tweet semble également suggérer que ces deux mandats sont successifs. C’est la preuve d’un manque de connaissance de l’actualité diplomatique du royaume de la part d’une personne qui a pourtant dirigé le ministère des Affaires étrangères pendant près de deux ans.

Le Maroc a été élu pour un premier mandat en 2018, un an après son retour à l’Union africaine. Nous avions d’ailleurs révélé les détails de la stratégie qui avait alors permis au royaume de siéger au sein de l’instance dans cet article. Par souci d’objectivité, nous renvoyons les lecteurs vers cette publication de nos confrères de Médias24 qui avaient également annoncé cette élection.

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Le royaume a ensuite été élu pour un deuxième mandat. Mais cette fois-ci, l’élection a eu lieu en 2022 pour un mandat dont l’échéance est en mars 2025. Ce scrutin que nous avions annoncé ici est également documenté par cette publication de la diplomatie marocaine. 

On notera bien que le Maroc ne fait pas mention d’un deuxième mandat successif. Pour infirmer les propos de Saad Eddine El Othmani une bonne fois pour toutes, référons nous à la dépêche de la MAP, agence de presse de l’Etat marocain, publiée sur le site Maroc.ma, annonçant l’élection du Maroc au CPS en 2022.

Le Maroc n’a donc pas obtenu deux mandats successifs pour siéger au sein du CPS. 

2. Les règles de l’UA n’interdisent pas à un candidat sortant de se représenter 

Reprenons le premier point évoqué par Saad Eddine El Otmani dans son tweet. Il évoque le “droit” du Maroc à se représenter. La référence en la matière est le protocole relatif au Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine. 

L’article 5 relatif à la composition du CPS contient le point suivant dans son alinéa 3 : “Un membre sortant du Conseil de paix et de sécurité est immédiatement rééligible.” La phrase se veut sans équivoque surtout qu’AUCUNE  mention n’est faite d’une “limite” concernant les mandats. On notera que le protocole du CPS invite au respect du principe de rotation sans en faire toutefois une loi ou une règle. 

Par souci de vérité, nous allons compléter notre argumentaire par la description de l’instance figurant sur le site officiel de l’UA. “Bien qu’il n’y ait pas de membres permanents, le Protocole relatif au CPS n’empêche aucun État membre de se présenter pour une réélection immédiate”, indique-t-on. On semble même suggérer qu’un pays peut briguer à chaque élection un siège au CPS.

Les règles de l’UA n’interdisent donc pas à un candidat sortant de se représenter. Mieux, elles n’interdisent pas à un membre de l’UA de se représenter indéfiniment.  

  1. Le Maroc s’est bel et bien présenté au Conseil de paix et de sécurité

Le tweet erroné de Saad Eddine El Otmani a provoqué un déferlement de haine via des commentaires affirmant que le Maroc ne s’est jamais présenté aux élections. 

Le Maroc a bel et bien candidaté au mandat nord-africain du CPS. Et il a échoué à obtenir ce siège, tout en parvenant à bloquer la candidature de l’Algérie. Cette information nous a été confirmée par plusieurs sources diplomatiques et médiatiques présentes sur place. 

Nous pouvons également mettre en évidence cette photo prise dans l’auditorium de l’UA. On peut y voir sur l’écran situé en haut à gauche que le Maroc, la Libye et l’Algérie se sont portés candidats au siège… comme nous l’avons écrit dans notre article.

Nous pouvons aussi mentionner cet article écrit par nos confrères de RFI, qui suivent de près les événements du continent. 

Le Maroc a donc bien candidaté au CPS de l’Union africaine malgré ses deux mandats précédents. 

Conclusion : un ex-chef de gouvernement contribue à la désinformation

Nous avons été surpris par les propos de Saad Eddine El Otmani. En tant qu’ancien ministre des Affaires étrangères, il a été un acteur de la politique qui a mené à un retour de notre pays au sein de l’Union africaine.

En tant que chef du gouvernement, il a siégé à plusieurs reprises au Sommet des chefs d’Etat et de gouvernement de l’UA pour y représenter le Maroc et devrait donc connaître les règles de l’instance. 

Une telle méconnaissance a de quoi étonner venant d’un ancien haut responsable de notre gouvernement. Voire choquer. C’est d’autant plus désolant lorsque de tels propos contribuent à la désinformation dans une période où il existe une réelle crise de confiance envers les médias.