Depuis plus de vingt ans qu’il s’exprime dans les pages de cet estimable magazine, le Boualem a eu le loisir d’aborder une quantité phénoménale de sujets en tous genres. Sans complexes, il a livré ses analyses, ses émois, ses impressions, chaque semaine, avec abnégation et constance. Et malgré ses gémissements fréquents, il a toujours pensé que les choses allaient s’améliorer, presque mécaniquement. Oui, lui qui a été traité un temps de nihiliste, est en réalité un véritable optimiste, qui critique ce qu’il voit parce qu’il est convaincu que c’est dans cette attitude que se tapissent les germes du progrès.
“Parfois, Zakaria Boualem se demande comment on réussit, collectivement, à garder la tête hors de l’eau, puis il s’arrête au feu rouge, regarde les véhicules autour de lui, et se dit qu’il y a quelque chose qui lui échappe dans la structure de notre économie”
Hélas, depuis quelques semaines, le bougre perd un peu espoir. Ce qui se passe autour de lui le plonge dans une sorte de sidération dont il ne s’extrait qu’avec peine, uniquement les soirs de Champions League. Même sa chère Botola est désormais incapable de le réconforter : elle a été massacrée par ses propres organisateurs. La cause de cet état d’esprit négatif n’est pas nationale. Certes, comme beaucoup de ses compatriotes, il a plongé soudain dans une insécurité financière inquiétante. Il a vu tous les prix s’envoler autour de lui sans que ses revenus ne progressent d’un seul centime. Il s’est mis à tout calculer, le bougre, car tout est devenu, soudain, presque inaccessible. Parfois, Zakaria Boualem se demande comment on réussit, collectivement, à garder la tête hors de l’eau, puis il s’arrête au feu rouge, regarde les véhicules autour de lui, et se dit qu’il y a quelque chose qui lui échappe dans la structure de notre économie. Mais ce n’est pas ce qui le chagrine, figurez-vous.
“On avait expliqué au Boualem que Donald avait pour principale qualité, contrairement à ses prédécesseurs, de n’avoir déclenché aucune guerre. Or, il est maintenant sur le point d’en démarrer une, et mondiale, s’il vous plaît”
Non, l’affaire est mondiale. Depuis que l’agent orange est au pouvoir, nous avons basculé dans quelque chose de très inquiétant. Le niveau de mépris affiché par l’Empire envers le reste de la planète est devenu stratosphérique. Pourtant, le Boualem s’en souvient, on lui avait expliqué que Donald avait pour principale qualité, contrairement à ses prédécesseurs qui présentent mieux, de n’avoir déclenché aucune guerre. Il fallait se méfier des apparences, lui martelait-on… Mais ce dernier est maintenant sur le point d’en démarrer une, et mondiale, s’il vous plaît.
Sa dernière lubie, c’est de s’emparer de la bande de Gaza pour en faire une sorte de Côte d’Azur. Vous comprenez, c’est devenu invivable, alors il se dévoue pour tout reconstruire, en mieux. En attendant, on va trouver un coin où caser les miséreux qui traînent encore par là-bas. Avec ce genre de proposition, il nie le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, il propose une déportation, il valide une agression… Il explique que l’endroit est devenu dangereux sans préciser la source du danger, un peu comme si la zone était frappée régulièrement par des ouragans.
Et devant ce délire puissant, les commentateurs de l’Empire ne s’indignent pas. Non, ils s’intéressent à la faisabilité du projet immobilier, ils invitent des hôteliers pour donner leur avis sur les plateaux télé, tel est le débat qui les intéresse. Zakaria Boualem est formel : nous sommes dans un cauchemar et tout peut très vite mal tourner. Car il pense que la stabilité de la planète est inversement proportionnelle à la quantité d’injustice qui y est produite. En décidant tout seul, comme un grand, qu’il allait se passer de toute notion de droit international, l’Empire a fait de la planète entière un endroit dangereux, comme ils disent. Et merci.