Un sursaut nécessaire

Par Yassine Majdi

En un après-midi, Fouzi Lekjaâ a fait, publiquement et sans ménagement, ce que peu de responsables publics ont fait ces dernières années : pointer les pratiques douteuses du secteur pharmaceutique et interpeller directement ses acteurs.

“L’État juge que les marges pratiquées par les entreprises pharmaceutiques marocaines sont “inadmissibles”

Yassine Majdi

Le 22 janvier, dans le fief même du patronat, le ministre délégué au Budget a mis les pieds dans le plat. Le message est désormais “clair et net”, pour reprendre la formule du ministre. L’État juge que les marges pratiquées par les entreprises pharmaceutiques marocaines sont “inadmissibles”. Au-delà de la pression exercée sur les citoyens, cette situation impacte également la viabilité financière de l’Assurance maladie obligatoire (AMO).

Selon le ministre, les dépenses liées aux médicaments absorbent actuellement plus de 30% des ressources financières de l’AMO. Une véritable ponction, fruit de pratiques commerciales excessives, qui met en péril un projet royal qui devait être une avancée historique pour nos droits sociaux.

D’autres chiffres avancés par le ministre dépeignent une réalité alarmante. Selon les données croisées entre douanes, prix affichés et déclarations fiscales, les marges commerciales de certains importateurs de médicaments frisent les 300%. Il est donc nécessaire “de mettre de l’ordre dans le secteur” du médicament, comme l’a assené le ministre devant le patronat. Pour y parvenir, il a adressé quelques mains tendues aux responsables du secteur : la priorité sera donnée à la protection de la production nationale, sans chercher à augmenter la fiscalité sur les médicaments. En retour, suggère le ministre, l’État attend une révision à la baisse et importante des marges.

Mais la responsabilité ne peut pas être laissée à la seule initiative des industriels. L’Agence du médicament, créée en 2022, reste à ce jour une coquille vide. Son premier directeur général, nommé en octobre dernier, ne peut encore agir faute d’un conseil d’administration opérationnel (même si l’on évoque une réunion à venir la semaine prochaine). Il en va de même pour la Haute autorité de la santé (HAS), dont le conseil d’administration n’a pas encore été nommé, et dont le rôle est encore plus important puisqu’elle sera la garante de l’équilibre financier de l’AMO. Ces blocages institutionnels, si rien n’est fait, risquent de compromettre des avancées pourtant éminemment stratégiques.

L’intervention de Fouzi Lekjaâ devant la CGEM ne se réduit pas à un simple état des lieux. Elle semble refléter une réelle volonté de l’État de sauvegarder la viabilité financière d’un projet social ambitieux. Comme l’a souligné le ministre délégué au Budget, le Maroc souhaite éviter de reproduire les fautes commises par d’autres systèmes de santé, en Espagne ou en France par exemple, qui sont actuellement au cœur d’une crise profonde. Reste désormais à traduire cette volonté en actes concrets. Pour le bien de tous les Marocains.

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