En politique, comme au football, il faut savoir partir au bon moment, quitter la compétition sous les applaudissements et avec le respect de ses adversaires, et non sous les sifflets et les quolibets. Éviter la saison de trop, le match qui risque de faire oublier les victoires et la gloire d’antan et d’altérer l’image positive du footballeur ou du politicien auprès de ses supporteurs.
Pour rester dans la métaphore sportive, le modèle serait Tony Kroos, annonçant son départ avec un titre de champion d’Espagne dans une main et une Ligue des Champions dans l’autre, au lieu de finir sa carrière sur le banc de touche ou dans un championnat de seconde zone.
Au Maroc, de nombreux dirigeants politiques ont eu l’intelligence ou la conviction de devoir s’éclipser au bon moment, de passer le relais à d’autres générations quand il le fallait. Ils ont transformé leur présence politique en autorité morale, vers laquelle on s’oriente pour demander conseil ou une intermédiation en cas de besoin. On peut citer à cet égard des personnalités comme Abderrahmane Youssoufi, M’hamed Boucetta, Moulay Ismaïl Alaoui, etc. Le dirigeant islamiste Abdelilah Benkirane aurait pu faire partie de ce cercle d’hommes politiques, mais malheureusement pour lui, il joue la saison et le match de trop.
En toute objectivité, Abdelilah Benkirane est un véritable phénomène politique. En ses années de gloire, il a éclipsé tous ses concurrents et même les dirigeants de son propre parti. Orateur exceptionnel, il a fait gagner au PJD deux élections successives et ses meetings étaient de vrais shows politiques. Il était le “Leo Messi” de la vie politique marocaine.
“Les temps ont changé, le pays a changé, les Marocains ont changé, mais Abdelilah Benkirane n’a pas voulu changer”
Il aurait dû en rester là. Abdelilah Benkirane a commis l’erreur de vouloir revenir sur la scène politique, reprenant les rênes du PJD après la défaite humiliante du parti aux élections de 2021. Il a imaginé qu’il allait en être le sauveur, mais, depuis Marx, on sait tous que l’Histoire se répète deux fois : la première comme tragédie et la seconde comme farce. Les temps ont changé, le pays a changé, les Marocains ont changé, mais Abdelilah Benkirane n’a pas voulu changer. Il a pensé qu’en reprenant les vieux discours du parti islamiste, en exhumant les thèmes qui ont été derrière le succès du PJD durant des années, et en attaquant de nouveau ses adversaires sur le terrain des valeurs morales, il allait revigorer le PJD et lui donner une seconde vie.
On pourrait très bien comprendre les motivations de Abdelilah Benkirane et les raisons de son retour. Il ne souhaite pas voir dépérir et mourir le parti qu’il a créé et transformé, la petite association islamiste étant devenue, en un demi-siècle, une puissante machine de guerre politique. Le PJD est l’œuvre d’une vie pour lui. Mais en s’accrochant à la direction de son parti, il devient un obstacle à l’adaptation de ce dernier aux mutations du pays et de la région.
L’islamisme est en reflux, au Maroc et dans le monde arabe, car son logiciel est désuet et les expériences de gouvernement des partis islamistes (Tunisie, Égypte, Maroc…) ont entamé leur crédit politique : ces formations ne disposent plus de l’effet de nouveauté dont elles se sont prévalues au moment du Printemps arabe. La renaissance des partis qui se réclament de cette idéologie, comme pour la gauche d’ailleurs, demande un travail long et patient de renouvellement des idées, du discours, mais aussi du personnel politique.
Benkirane devrait songer à raccrocher les crampons, passer le témoin à une autre génération et laisser le PJD entamer un nouveau cycle de sa vie. La politique, comme le foot, est un sport d’équipe : les vedettes quittent le terrain, mais le jeu continue.