Étrange coïncidence : à Agadir, au moment même où la jeunesse du RNI acclamait Aziz Akhannouch, président du parti et Chef du gouvernement, aux mélodies dansantes de la chanson “Mehboul Ana, ghadi fl’autoroute” (je suis fou, je suis sur l’autoroute), venu leur parler de “la révolution sociale au Maroc, sans précédent en Afrique” selon ses propos, d’autres jeunes prenaient la route du Nord, dans une folle aventure, pour forcer le passage vers la ville de Sebta.
Le Maroc est un pays de paradoxes, mais aussi de coïncidences qui parfois se télescopent et se confondent. Les images du week-end dernier, où l’on a vu des centaines de jeunes courir dans les rues de la ville de Fnideq et prendre d’assaut le poste-frontière séparant l’enclave espagnole du Maroc, ne sont pas étonnantes. Elles ne sont pas les premières, et elles ne seront malheureusement pas les dernières. Elles sont le résultat de plusieurs facteurs.
“Ces jeunes se sentent comme un surplus inutile. Autant se jeter dans les flots de la Méditerranée pour espérer une vie meilleure”
Il y a tout d’abord la situation sociale et économique. Selon des chiffres officiels, un jeune Marocain sur quatre, entre 15 et 24 ans, n’est ni en emploi, ni en études, ni en formation (les fameux NEET). Quand on élargit la tranche d’âge, le nombre de ces NEET, entre 15 et 35 ans, atteint les 4,3 millions de personnes. Des jeunes qui se consument dans le chômage et l’oisiveté, vivant aux crochets de leurs parents, tournant en rond, avec l’énergie de la jeunesse contenue dans le ressentiment et le désespoir. Les jeunes que l’on a vus dans les images de Fnideq sont probablement les mêmes que l’on aperçoit dans les scènes de violence qui suivent certains matchs du championnat national. Ils bondissent par groupes, cassent, vocifèrent, jettent des pierres sans aucun motif compréhensible.
Un nihilisme total qui ne se rattache à rien, et aucune forme d’encadrement n’est capable de le canaliser ni d’exploiter son énergie. Ces jeunes se sentent comme un surplus inutile pour leurs familles, pour leur pays et pour eux-mêmes. Autant se jeter dans les flots de la Méditerranée pour espérer une vie meilleure. Une situation dont sont responsables les différentes politiques publiques, menées par des gouvernements successifs, en matière d’emploi et d’éducation, qui ont abouti à cet état de désespoir.
Il y a aussi l’univers digital de ces jeunes générations, nourries aux réseaux sociaux et à leur contenu. TikTok et Instagram sont pour eux l’ultime source d’information, leur fenêtre sur le monde, mais aussi un formidable outil d’organisation et de mobilisation. L’afflux des candidats à l’immigration clandestine, avec une frappante concomitance, a été provoqué par des appels et des messages lancés sur les réseaux sociaux.
Mais l’imaginaire de ces jeunes a été façonné par des centaines de vidéos, produites par des personnes de leur âge installées en Europe, vantant la vie hors du Maroc. Ils savent aussi, grâce aux réseaux sociaux, que la justice espagnole ne permet pas l’extradition des mineurs clandestins vers leur pays. Les villes de Sebta et Melilia sont devenues deux phares qui attirent des milliers de jeunes et de mineurs, convaincus qu’une nouvelle vie les attend là-bas. Chimère et miroir aux alouettes !
Face aux images du week-end dernier, on a assisté, encore une fois, au spectacle de la disparition du gouvernement et à la faible réaction de l’opposition. Le porte-parole du gouvernement était probablement en congé prolongé et aucune réaction officielle n’est venue expliquer, commenter, parler aux Marocains pour comprendre ce qui s’est passé ce week-end. Au lieu de cela, on a lu dans la presse des déclarations et des insinuations de responsables de la majorité gouvernementale évoquant “une main étrangère” derrière ces événements. Insulte à l’intelligence des Marocains, mais aussi au travail des autorités qui veillent sur la sécurité du pays. Les jeunes Marocains mériteraient mieux que cela !