Selon l’Agence du Bassin hydraulique, la demande en eau potable et industrielle actuelle, à l’intérieur de sa zone d’action, est évaluée à près de 260 millions de mètres cubes par an, et autour de 170 millions de mètres cubes par an à l’extérieur de cette zone (demande en partie soulagée par le transfert à partir de l’oued Sebou).
Si on se limite à l’eau potable et industrielle, on se rend compte qu’à présent, le bassin de l’Oum Er Rbia dispose à peine de suffisamment d’eau pour couvrir la demande d’une année, même en supposant que la contribution des eaux souterraines à cette demande, qui était autour de 50 millions de mètres cubes par an dans le passé, resterait encore possible, en dépit de la surexploitation et la pollution auxquelles les nappes du bassin ont été assujetties depuis longtemps, et surtout durant les dernières années de sécheresse (déstockage de 300 millions de mètres cubes par an, selon l’Agence elle-même).
Comment en est-on arrivé à cette situation à ce moment de l’année ? Seules les parties concernées directement doivent avoir la réponse. En particulier, y a-t-il eu une mauvaise gestion des stocks d’eau depuis le début de la crise de l’eau actuelle ?
Cette eau potable est destinée à une population de plus de 10 millions d’habitants, soit autour de 30% de la population du pays. D’où l’importance capitale de la directive royale de procéder à un transfert d’eau vers le bassin d’Oum Er Rbia à partir du nord du pays (Oued Laou et Oued Loukkos). Encore faut-il que ce transfert ait lieu rapidement.
Les six grands barrages additionnels qui sont en cours de construction au sein du bassin d’Oum Er Rbia ne le sauveront pas de la pénurie d’eau. Des barrages “justifiés” entre autres par l’extension de l’irrigation (la mise en irrigation de terres bour) dans un périmètre hydrauliquement clos (pas une goutte ne va vers la mer), où il y a déjà plus d’une quinzaine de grands barrages d’une capacité totale de plus de 5 milliards de mètres cubes, mais quasi-vides, et où plus de 330.000 hectares irrigués manquent d’eau, et dont l’arboriculture asséchée est en train d’être vendue aux fours et hammams des villes avoisinantes. Comment qualifier l’extension de la superficie irriguée dans de telles conditions ? Je ne trouve pas le terme.
À noter que le transfert d’eau à partir du bassin de l’Oum Er Rbia permettait de satisfaire notamment la demande d’eau potable et industrielle des villes de Casablanca, Settat, Berrechid et Marrakech, ainsi que presque 300 millions de mètres cubes par an comme contribution à la satisfaction de la demande d’eau d’irrigation dans les bassins voisins.
Au début du siècle, le réseau des canaux de transfert à partir du bassin s’étendait sur presque 650 kilomètres vers la Tassaout aval, Casablanca, Safi, El Jadia, le Haouz et la région de Marrakech, avec un potentiel de transfert de plus de 1,6 milliard de mètres cubes par an. C’est dire à quel point le Bassin de l’Oum Er Rbia était solidaire avec les bassins avoisinants.
Ce même périmètre est aujourd’hui dans le besoin de solidarité, tant qu’il y a encore de l’eau à partager, car bientôt il n’y en aura plus.
La métamorphose qu’a connue le bassin d’Oum Er Rbia au cours des 30 dernières années doit donner lieu à réfléchir très sérieusement aux perspectives de la sécurité hydrique du pays. Son évolution illustre bien la matérialisation des impacts des changements climatiques depuis les années 1990, qui étaient très évidents depuis le début du siècle, mais que malheureusement les gouvernements qui se sont succédé depuis 2007 n’ont pas pu reconnaître et traiter à sa juste valeur. Et les conséquences risquent fort bien d’être désastreuses, beaucoup plus tôt que l’on puisse le prévoir, et encore moins le prévenir.