Comme un œuf poché qui a été ouvert, la classe politique coule. Petit à petit. Durant les quatre dernières années, plus d’un millier d’affaires impliquant des élus de la nation ont été instruites par la justice. Les accusations à leur encontre sont graves, et mènent régulièrement à des condamnations.
Détournements de fonds, tentatives d’achats de voix, exonérations illégales d’impôts, abus d’autorité, trafic de stupéfiants, viol, dilapidation des deniers publics… la liste est (malheureusement) encore longue. Ces poursuites en série ne sont pas le fruit du hasard. Elles sont en partie le résultat de la modernisation de l’appareil judiciaire, ainsi que d’une mobilisation inédite d’associations citoyennes. Mais pas que.
“Quand un État commence à se former au sein de l’État, les autorités ne peuvent que sévir”
L’État est dans une logique d’assainissement de la classe politique. Car les choses menaçaient de déraper. La régularité et la fréquence de certaines pratiques délictueuses a créé des habitudes, des familiarités et des alliances. Quand un État commence à se former au sein de l’État, les autorités ne peuvent que sévir en utilisant tous les outils à leur disposition (rapports de l’inspection générale du ministère de l’Intérieur et de la Cour des comptes, poursuites en justice…). L’application stricte de la loi a été privilégiée. Et pour cause.
Notre pays a des besoins urgents. La “redistribution parallèle des ressources”, que le chercheur Mohamed Tozy évoque dans son livre Tisser le temps politique au Maroc (avec Béatrice Hibou), ne convient plus à l’État, qui a des chantiers structurants à mener. Notre pays doit généraliser l’accès à l’Assurance maladie obligatoire, reconstruire et moderniser le Haouz, et se donner les moyens d’organiser la CAN 2025 et le Mondial 2030.
Le tout, en posant les bases lui permettant de devenir un leader mondial dans le domaine des énergies vertes. Et il ne s’agit que de la partie émergée de l’iceberg. Tous ces chantiers coûtent cher à un pays qui ne possède que très peu de ressources naturelles. Il était donc urgent pour l’Etat de mettre un terme à l’hémorragie en s’attaquant à certaines poches de corruption.
Cette série d’affaires judiciaires justifie davantage la discrète reprise en main des affaires publiques par l’administration centrale. La gestion des villes, ainsi que celle des grands dossiers politiques, sont lentement retirées aux élus, dont la probité est remise en cause de plus en plus fréquemment. Les réalisations de certains walis et dirigeants d’entreprises et établissements publics (EEP) durant ces dernières années dépassent largement celles des élus de la nation, à quelques rares exceptions. Et il serait tout à fait logique de voir cette tendance s’accentuer davantage à l’avenir.
Le panorama reste toutefois incomplet. Car d’autres poches de corruption sont présentes, profitant des failles d’un pays dont la marche s’est soudainement accélérée. Le royaume avance à vitesse grand V. Et les chantiers doivent suivre la cadence. Un bakchich peut accélérer un chantier en garantissant l’obtention d’une autorisation ou encore la formulation d’un appel d’offres clé en main. BTP, infrastructures… aucun secteur ne semble échapper à une corruption qui se généralise de plus en plus selon les observateurs. Le paysage politique s’assainit peut-être, mais il reste l’arbre qui cache une immense forêt.