Sourires de façade

Par Fatym Layachi

Il est 19h, tu as une coupe de champagne à la main, un chemisier vert sur les épaules et un sourire plaqué sur ton visage. Tu es dans une boutique de fringues pour une petite soirée vente privée. C’est les soldes. Ça se fête. Au moins un peu. De toute façon, dans ton monde, toute occasion est bonne pour dépenser de l’argent ou boire un verre. Alors si en plus tu peux faire les deux en même temps, tu ne vas sûrement pas t’en priver. Tu es avec Zee. C’est d’ailleurs elle qui t’a traînée ici. Elle t’a traînée avec un argument imparable : “Ça va nous faire du bien de décompresser un peu”.

Tu ne vois pas du tout comment tu pourrais refuser de décompresser. Même si tu n’es pas exactement sous pression, et Zee non plus d’ailleurs, on ne peut pas dire que vous crouliez sous le boulot ni même que vous soyez particulièrement tourmentées par les grandes agitations du monde. Toi, tu vis dans ta bulle et ta bulle est plutôt douce et confortable. Mais quand Zee te propose de décompresser, évidemment que tu dis oui. On n’est jamais trop détendu dans la vie. De la même manière que les vacances ne durent jamais trop longtemps. Et là, tu es clairement détendue. Comme toutes celles qui sont autour de toi.

Tu es entourée de visages familiers et de sourires polis. Tout ce petit monde semble ravi d’essayer des robes à fleurs ou des hauts en couleurs. La meuf de la boutique est, elle aussi, absolument ravie. Elle balance des “ma chérie”, des “ça fait plaisir” et des “tu es magnifique” à toutes ses clientes qu’elle considère ce soir comme ses meilleures amies pour la vie. Ou du moins pour la soirée.

Toi, tu fais quelques bises tout en regardant des robes sur un portant.Et toi comment ça va ?” “Super hamdoullah…” “Trop sympa de se voir, faut qu’on se fasse un truc.” “Oui carrément, on se fait un drink avant les vacances.” Bien sûr, ni toi la fille à qui tu parles ne va appeler l’autre pour ce fameux drink qui n’aura évidemment jamais lieu. D’ailleurs, le but de cette discussion n’était pas vraiment d’organiser un drink, ni même de savoir comment on allait.

“Tu souris, c’est inné : vous n’avez rien à vous dire, vous ne vous supportez pas, vous vous souriez”

Fatym Layachi

Et puis de toute façon, qui demande à quelqu’un comment ça va en se demandant vraiment comment va la personne ? Qui s’intéresse sincèrement à l’état de l’autre ? Probablement pas grand monde, pas toi en tout cas. Bref, tu continues de faire des sourires et des politesses enthousiastes. Tu souris, c’est inné : vous n’avez rien à vous dire, vous ne vous supportez pas, vous vous souriez. Dans cette boutique, comme ailleurs, la forme est bien plus importante que le fond. Un plateau de petites verrines te passe devant. Tu chopes une cuillère de hoummous de betterave avec des graines qui croustillent. C’est fou de voir que même la bouffe subit la mode et l’air du temps.

Tu essaies une jupe bleu ciel en tulle. Elle est absolument immettable. Totalement transparente. Flanquée de broderies absolument farfelues. Et bien évidemment hors de prix. Tu l’adores. Tu vas l’acheter. C’est complètement inutile et indécent. Une allégorie de la manière dont tu dépenses ton fric en ce moment. Zee sort d’une cabine d’essayage les bras chargés de fringues. Elle soupire, trouve que rien ne lui va et ne prend rien finalement. Elle semble profondément agacée. Elle veut savoir ce que vous faites après.

“Le vrai problème, il est là. Ce n’est pas tant que tu aimes sortir, c’est que tu ne sais pas rentrer”

Fatym Layachi

Car bien évidemment, vous allez faire un truc après. Rejoindre des potes qui boivent un verre dans ce bar qui vient d’ouvrir et dont tout le monde parle ? Aller se faire un resto en tête à tête histoire de vous raconter vos vies ? Retrouver des copines qui se font une soirée cocktails à domicile ? N’importe quoi plutôt que de rentrer chez toi. Parce que le vrai problème, il est là. Ce n’est pas tant que tu aimes sortir, c’est que tu ne sais pas rentrer.