Il y a certes un momentum pour le développement de la RSE au Maroc”, estime Hassan Bouchachia, PDG de Disklosure, une entreprise spécialisée dans le développement de solutions digitales liées aux critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG).
On pourrait estimer que ce momentum émerge véritablement en 2005, après le message du roi Mohammed VI adressé lors de la troisième édition des Intégrales de l’Investissement : “La responsabilité sociale des investisseurs a pour pendant et pour condition la responsabilité sociale des entreprises. A cet égard, nous suivons avec intérêt et satisfaction l’action des entreprises marocaines qui se sont volontairement engagées dans cette voie”.
En 2006, la CGEM adopte sa toute première charte RSE, élaborée à partir d’initiatives internationales similaires, comme la charte OCDE
Près d’un an plus tard, en 2006, la CGEM adopte sa toute première charte RSE, élaborée à partir d’initiatives internationales similaires, comme la charte OCDE, et qui s’articule autour de neuf axes, dont la protection de l’environnement, le développement des communautés locales et les droits humains. En 2007, le label RSE de la CGEM est également mis en place à l’issue d’un conseil d’administration.
En 2010, la mise en place de la norme ISO 26.000 par l’Organisation Internationale de Normalisation a également constitué un tournant. Pensée comme un cadre de prise en compte et de gestion de l’impact social, environnemental et économique des entreprises, elle leur permet d’intégrer les préoccupations nécessaires à l’adoption d’une stratégie RSE.
Dès 2011, des programmes de sensibilisation sont organisés auprès d’organisations marocaines afin d’œuvrer à l’adoption de l’ISO 26.000 au Maroc. L’introduction de cette norme permet, entre autres, d’élargir progressivement le prisme sous lequel a d’abord été perçue la RSE au Maroc.
En effet, les entreprises marocaines précurseurs en matière de RSE se sont, dans un premier temps, particulièrement penchées sur le segment ressources humaines, conditions de travail et bien-être, négligeant en partie l’aspect environnemental, tout aussi fondamental du développement durable.
Des progrès
Plusieurs facteurs externes au royaume permettent de remettre les pendules à l’heure. Le renforcement du cadre de régulation européen en matière de RSE, les engagements pris par le Maroc lors de la COP22 en 2016 à Marrakech, en plus d’une préoccupation internationale grandissante concernant les changements climatiques… tant de circonstances qui contribuent progressivement à un changement de paradigme.
Si bien qu’en 2016, une auto-saisine du Conseil Economique, Social et Environnemental, intitulée “Responsabilité sociétale des organisations : mécanismes de transition vers un développement durable”, fait part de sa satisfaction quant au “niveau de prise de conscience généralisé et constant par les différentes organisations, de la pertinence d’intégrer ce concept (la RSE/RSO, ndlr) dans leur périmètre d’activité et leur politique de développement”.
Cela étant, pour une meilleure intégration de la RSE à l’économie nationale, le CESE avait également émis un ensemble de recommandations transversales, dont l’accélération d’une stratégie nationale de développement durable, qui a finalement été adoptée en juin 2017. Celle-ci fait actuellement l’objet d’une révision à l’horizon 2030.
Concernant le rôle de l’État, le CESE avait notamment préconisé de “faire de l’État le promoteur de la RSO (…) au moyen de mesures destinées à renforcer le cadre légal de prévention”, ainsi que la mise en place d’un “Forum National du Développement Durable et de la Responsabilité Sociétale”.
A ce jour, cette dernière recommandation n’a pas connu de mise en application. Désormais, la RSE va aussi de pair avec l’ESG, les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance. Hassan Bouchachia l’explique en ces termes : “Disons que si la RSE formalise l’engagement, l’ESG le traduit en actions concrètes grâce à des critères spécifiques. L’ESG, adossé au développement des initiatives propres aux investisseurs, est basé sur une quantification spécifique de chaque critère. L’investisseur, quand il scrute la feuille de route relative à la protection de l’environnement, se préoccupe d’abord de la réduction physique des émissions de gaz à effet de serre. Nous sommes dans une perspective de résultats”.
En ce sens, les critères ESG peuvent également constituer une grille d’évaluation des stratégies et démarches RSE, celle-ci n’étant pas, en soi, quantifiable.
Et l’éco-blanchiment ?
A Settat, l’association Green Invest, rattachée à l’ENCG de la ville, a dénoncé “une exploitation abusive de l’écologie par certaines entreprises qui n’est pas représentative de leurs produits, sans pour autant proposer un service durable au profit des consommateurs et des citoyens”
Malgré ces évolutions, une frontière difficilement identifiable continue de subsister entre démarche RSE et greenwashing, une pratique assez trompeuse par laquelle une entreprise ou une organisation tente de se donner une image écologique, ou responsable de manière générale, souvent en exagérant ou en déformant la réalité de ses actions environnementales.
Et pour cause, l’évolution de la RSE est à double tranchant : son attractivité implique également qu’elle soit devenue un argument de vente, si ce n’est une pratique marketing conçue pour redorer une image de marque sans véritable impact en termes de développement durable.
A Settat, l’association Green Invest, rattachée à l’ENCG de la ville, a dénoncé ce phénomène, soulignant “une exploitation abusive de l’écologie par certaines entreprises qui n’est pas représentative de leurs produits, sans pour autant proposer un service durable au profit des consommateurs et des citoyens”.
Pour l’heure, cette sensibilité aux dangers du greenwashing semble se limiter à une prise de conscience du côté de la société civile. En l’absence d’un cadre contraignant et d’outils précis permettant de mesurer l’impact des initiatives RSE, la frontière qui sépare la RSE et le greenwashing demeure floue.