Il s’appelle Toomaj Salehi

Par Fatym Layachi

Il y a des semaines où l’actualité te prend aux tripes. Il y a des semaines où même si tout va bien dans ton joli petit monde, tu ne peux être insensible aux bruits du monde, aux bruits du grand monde. Et cette semaine est une de celles-là.

Cette semaine, tu as appris qu’un tribunal iranien a prononcé la peine de mort contre le rappeur Toomaj Salehi. Cette nouvelle t’a glacé le sang. Bien sûr, il y a l’effroi quand tu as lu cette sentence, la condamnation à mort. Sentence à laquelle tu es farouchement et profondément opposée. En tout temps. Et en tout lieu. Peu importe le contexte.

Peu importent les accusations, tu restes convaincue que le législateur ne devrait jamais condamner à la mort. C’est une question de convictions justement, de principes, pas de contexte. Et puis il y a eu l’effroi, un effroi qui te prend aux tripes, en raison de ce que cette condamnation raconte de la situation en Iran, où les mollahs font régner la terreur et veulent anéantir la jeunesse.

Toomaj Salehi est un rappeur. Un rappeur iranien qui, comme bien des rappeurs de par le monde, utilise ses mots pour dénoncer, pour contester. Sauf que lui, sa musique l’a conduit en prison il y quelques mois, et dans le couloir de la mort depuis quelques jours. Et ça, il le savait, il avait conscience des risques qu’il prenait en s’opposant à la République islamique et à son dogme mortifère.

Toomaj le savait, et il a eu le courage de leur tenir tête. Et pour lui, ce n’était même pas du courage, c’était un devoir de citoyen. Depuis la mort de Mahsa Amini en 2022, arrêtée pour un voile “mal porté”, et la vague de protestations que ce décès a entraînée, Toomaj estimait que c’était “une nécessité de s’opposer au régime”. Dès lors, il avait soutenu le mouvement de contestation dans ses rimes, dans ses flows et sur ses réseaux sociaux.

“Parce que le rappeur est devenu un des symboles du soulèvement “femme, vie, liberté”, il est promis à la pendaison”

Fatym Layachi

Un mouvement qui a assez vite pris pour slogan “femme, vie, liberté”. Tout ce que les barbus honnissent. Femme. Vie. Liberté. Tout ce que les monstres voudraient éteindre : la lumière. La vie dans ce qu’elle a de plus lumineux, de plus vivant. Et parce que Toomaj est devenu un des symboles de ce soulèvement, il est promis à la pendaison. Il est accusé de “corruption sur Terre” et “d’inimitié à l’égard de Dieu”. Ça ne veut tellement rien dire que ça peut vouloir tout dire. C’est pratique pour une justice qui n’a rien de juste. Et une mascarade de procès, intenté non pas uniquement à la liberté d’expression, mais à la liberté tout court. À la liberté de vivre. À la vie même.

“Il ne s’agit pas que de Toomaj. Il s’agit d’une jeunesse qu’on veut anéantir. Il ne s’agit pas que de l’Iran, il s’agit de la barbarie contre laquelle il faut se dresser”

Fatym Layachi

Toi tu ne connais pas sa musique, et si ça se trouve, tu ne l’écouteras jamais. Ça ne t’empêche pas de le soutenir. De le défendre. Et surtout de dénoncer ce jugement inique et effroyable. Il ne s’agit pas que de lui. Il s’agit d’une jeunesse qu’on veut anéantir. Il ne s’agit pas que de l’Iran, il s’agit de la barbarie contre laquelle il faut se dresser. Ou au moins ne pas la passer sous silence. Quand la barbarie s’étend, notre silence vaut indifférence. Notre indifférence vaut complicité. Notre silence est complice.

Et parce que jamais tu ne pourras accepter d’être complice de la barbarie. Et parce que tu ne crois pas en grand-chose, mais tu crois à cette phrase de Brecht, que tu as lue, taguée sur un mur, quand tu avais 16 ans : “Celui qui ne participe pas à la lutte, participe à la défaite”. Et parce que tu ne veux pas être complice de la défaite, tu ne veux pas participer à la victoire des ténèbres, tu essaies de ne pas te taire.

À défaut de pouvoir changer le monde, tu es solidaire. Tu es solidaire de ce jeune homme dont le courage force le respect. Alors non, tu ne te tairas pas. Tu diras son nom. Tu répéteras son nom. Tu crieras son nom. Tu l’écriras. Toomaj Salehi. Toomaj et son courage qui force le respect et oblige notre solidarité. Et puis, peut-être que si nous sommes des milliers à le dire. Peut être que si nous sommes des milliers à ne pas nous taire. Peut être que si nous sommes des milliers à faire du bruit. Peut être que le bruit de nos indignations finira par rompre le silence assourdissant, étouffant, aveuglant et abrutissant de l’obscurantisme mortifère.