Funérailles de Réda : ils sont venus, ils sont tous là

TelQuel est une grande famille dont les liens se resserrent quand on perd l’un des nôtres. Réda n’était pas qu’un directeur de publication ou un collègue, mais un ami - un véritable frérot - qui a laissé son empreinte sur chacun d’entre nous. Ses frères et sœurs d’armes, ainsi que d’anciens camarades, rendent un dernier hommage à celui qui est parti bien trop tôt.

Par

YASSINE TOUMI/TELQUEL

Sur un air de Gipsy Kings : Younes Saoury

Sur la route menant à Rabat, alors que nous nous apprêtions à rencontrer le contrôleur général des impôts, j’ai lancé une playlist des Gipsy Kings. Tu m’as confié que ces mélodies évoquaient pour toi des souvenirs de jeunesse. Ensemble, nous avons passé le reste du trajet à entonner ces chansons en espagnol, et pour la première fois, tu t’es permis des erreurs de prononciation et de langue.

Une fois arrivés au siège de la DGI, notre hôte nous avait réservé une demi-heure dans son emploi du temps surchargé. Nous avons dépassé ce délai sans nous en rendre compte, absorbés par une discussion passionnante sur les stratagèmes des fraudeurs fiscaux au Maroc. Chaque révélation captivait ton attention, et tes yeux s’illuminaient à chaque nouvel éclaircissement. “Nous avons un dossier solide”, m’as-tu confié en sortant, fier de notre performance conjointe.

Hey Younes, tu ne veux pas revenir à la maison, retrouver tes anciens collègues ? Reviens mon ami, ta famille a besoin de toi”

Quatre années après mon départ de TelQuel, tu m’as contacté avec ces mots : “Hey Younes, tu ne veux pas revenir à la maison, retrouver tes anciens collègues ? Reviens mon ami, ta famille a besoin de toi”. Avec succès, tu as réussi à rassembler une partie de cette famille, car chez TelQuel, nous éprouvons toujours ce profond sentiment d’appartenance. Hélas, peu de temps après, alors que nos cœurs n’y étaient pas préparés, tu nous a quittés sans crier gare, nous laissant orphelins de notre frère aîné.

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Une vie de romancier : Soufiane Chahid

“Tu seras toujours chez toi à TelQuel”. C’est le dernier message que Réda m’a envoyé sur WhatsApp. Lorsque j’ai appris sa soudaine et douloureuse disparition, je me suis précipité sur mon téléphone pour relire nos conversations. J’espérais, peut-être, trouver un message dans lequel je lui exprimais combien je l’appréciais en tant qu’ami, en tant que frère.

Car Réda ne nous a jamais fait sentir qu’il était notre supérieur hiérarchique. Il était la personne à qui on pouvait tout confier, tout exprimer. Nos conversations débutaient le matin et pouvaient se prolonger tard le soir. Il avait toujours des idées à proposer, des sujets à traiter.

On lui reprochait parfois d’aller trop loin dans ses réflexions, mais Réda était une personne débordante d’imagination et d’énergie. Il était un romancier authentique, car il percevait la vie à travers le prisme de la littérature. Ce dernier message sur WhatsApp résume parfaitement qui était Réda pour nous : le grand frère qui a su faire de TelQuel notre maison. Là où tu es, sache qu’on ne t’oubliera jamais !

Sur un air de Fleetwood Mac : Abdelmoula Arafa

“Personne n’a le droit de mourir à 45 ans. Une bonne personne doit vivre le plus longtemps possible”

Abdelmoula Arafa

Personne n’a le droit de mourir à 45 ans. Une bonne personne doit vivre le plus longtemps possible. Partir comme ça, sans même dire adieu aux autres, est dur, insupportable, irrémédiable. Ceux qui sont restés en porteront le fardeau bien longtemps. Réda est parti sans que l’on puisse, nous ses amis, ses collègues, ses frères, sa famille, le voir, lui rendre visite, tenir sa main sur son lit d’hôpital, durant ses dernières heures…

Pendant toutes ses années où nous l’avons côtoyé, il n’avait jamais un mot plus haut que l’autre, le mot de trop qui pourrait blesser. Les mots, il les couchait par écrit, coupés au couteau, malmenés mais impeccablement rangés. Nous n’aurons plus la chance de boire ses mots, les digérer, si tant est qu’on puisse en suivre le débit.

Un soir je suis rentré dans son bureau, il travaillait tout en écoutant Fleetwood Mac. J’étais étonné. C’est un truc pour vieux. “C’est un groupe que j’adore”, m’a-t-il répondu. La semaine suivante, je lui ai ramené un CD de Fleetwood Mac que j’avais chez moi. J’espère qu’il a pu l’écouter de temps en temps. Réda est parti pour toujours. Sans dire adieu, presque sans se retourner. Il nous manquera.

“It’s only business” : Yassine Majdi

Notre relation date. Trois ans dans le tandem directeur de publication- réd’chef, c’est plus long qu’un grand nombre de relations amoureuses. Comme un vieux couple, nous avions parfois nos désaccords. Nos explications étaient parfois tendues. Mais tu faisais la part des choses. “It’s only business” me disais-tu.

D’autres auraient cherché à jouer au cador. Modeste, tu cherchais à t’imprégner au maximum de ceux qui t’entouraient. Généreux, tu n’étais jamais avare en conseils, professionnels ou personnels. Et c’est sans doute ce croisement entre le “bro” et le “boss” qui manquera le plus aux membres de ta famille professionnelle.

Le proverbe dit qu’une personne ne meurt vraiment que lorsqu’elle est oubliée de tous. Cela doit sans doute faire de toi un immortel. Adieu frérot.

Le dernier des Mohicans : Amine Ater

“Chaque article était pour toi une bataille, qui nécessitait une conversation de 40 minutes minimum pour bien cadrer son angle”

Amine Ater

On est capables d’altérer la réalité et de changer les choses”. C’était un véritable leitmotiv pour toi, et qui pouvait prêter à sourire au début. Mais après deux ou trois Unes bien corsées qui ont déclenché un effet papillon – aux conséquences seulement perceptibles par les initiés – on finit par se demander si tu n’avais pas raison. Tu étais également l’un des rares journalistes encore passionnés par le métier, chaque article était pour toi une bataille, qui nécessitait une conversation de 40 minutes minimum pour bien cadrer son angle.

Toujours optimiste, mon caractère plus blasé te dérangeait. Tu ne comprenais pas ma prudence, que tu prenais pour du pessimisme, “arrête frérot, tu es trop négatif, sky is the limit”. En fin de compte, et sans savoir comment ni pourquoi, ça marchait et le succès était au rendez-vous.

Avec ton décès, la profession a perdu l’un des derniers journalistes “romantiques” et élégants, qui se battait pour des principes, sans jamais tomber dans l’injure ou les attaques personnelles. Tu nous as quittés, en traçant une voie que l’on tentera de continuer d’arpenter, ton côté flamboyant en moins. Adieu frérot.

“La plume dans la plaie” : Anaïs Lefébure

Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie”. Réda avait fait de ce célèbre adage du journaliste français Albert Londres son leitmotiv. Il trouvait les bons mots pour dénoncer les maux de son pays. Sa plume était incisive, mais visait toujours juste, sans méchanceté.

“Je ne le fais pas pour moi, mais pour que mon fils puisse grandir dans un Maroc meilleur”

Ce combat, il le menait quotidiennement, avec un dévouement sincère et sans limites. “Je ne le fais pas pour moi, mais pour que mon fils puisse grandir dans un Maroc meilleur”, m’avait-il confié lors d’une des nombreuses – et longues – discussions que l’on a eues dans son petit bureau. Il y conviait tout le monde : journalistes, stagiaires, amis et gens de passage.

Il tâtait le pouls de la rédaction, demandait conseil, nous conseillait. Son soutien fut précieux lors des enquêtes, articles ou interviews que nous avons parfois réalisés à quatre mains. Il savait toujours me rassurer sur les sujets sensibles, me calmer lors de mes coups de stress. “Reste zen, on n’a qu’une vie”, m’avait-il dit un jour. Il a placé la sienne sous le sceau du professionnalisme, jusqu’au bout. Au revoir Réda.

Un grand cœur : Amanda Chapon

“Certes, parce que c’était un grand sensible, il ne supportait pas l’idée qu’on le déteste et il pouvait oublier le numéro de téléphone de celles et ceux qui l’avaient offensé…”

Amanda Chapon

Au-delà de sa plume, de son engagement, de son sens de l’analyse, de sa manière de démontrer brillamment comment les politiques publiques et économiques affectent notre quotidien, ce que je retiens de Réda, c’est son grand cœur. Comme d’autres dans la rédaction, je l’ai vu reconnaître ses torts, s’excuser platement après s’être emporté. Une attitude trop rare, l’égo l’emportant souvent sur la raison et les sentiments.

Certes, parce que c’était un grand sensible, il ne supportait pas l’idée qu’on le déteste et il pouvait oublier le numéro de téléphone de celles et ceux qui l’avaient offensé… Pourtant, quelques jours ou semaines plus tard, il les accueillait dans son bureau. Ces derniers s’attendaient à des reproches, à une attitude froide et distante ? Quelle n’était pas leur surprise : tout était oublié ! Il les accueillait à bras ouverts, avec le sourire, un mot gentil et un compliment, sans une pointe d’affectation. C’est ainsi qu’il a touché le cœur de nombre d’entre nous. Et le mien.

Architecte de la pensée : Soundouss Chraibi

“Qu’est-ce que tu me conseilles de lire en ce moment ?” C’est une question que tu me posais souvent. Pourtant, c’est moi qui ressortais de ton bureau avec des recommandations de lecture. Tu admirais Emmanuel Carrère et Mario Vargas Llosa, pour ne citer qu’eux.

“Tu lisais avec le regard d’un homme constamment bouleversé par la sensibilité des autres. Merci de nous avoir lus, nous aussi”

Soundouss Chraibi

Ces romanciers qui trouvent dans un mélange de réel et de fiction la pertinence du politique. Ceux qui, à travers la littérature, deviennent des architectes de la pensée de leur temps. Avec toi Réda, tout débat était interminable. Et tu lisais non pas avec le regard d’un journaliste, d’un éditorialiste ou d’un romancier, mais d’abord avec celui d’un homme constamment bouleversé par la sensibilité des autres. Merci de nous avoir lus, nous aussi.”

“What a beautiful ride” Manal Zainabi

Je garde précieusement en mémoire notre conversation, cette soirée qui a suivi mon interview de Mads Mikkelsen. Tu m’as confié ton amour pour Drunk, “ce chef-d’œuvre”. Nous nous étions arrêtés sur la scène finale, son symbolisme, et l’événement tragique qui a marqué le tournage : la mort de la fille du réalisateur, emportée à 18 ans dans un accident de voiture.

Tu as alors souligné le courage du cinéaste qui a terminé son film, malgré la douleur qui le déchirait, ce qui nous a amenés à parler de l’imprévisibilité de la vie. Ta disparition soudaine m’en donne une nouvelle preuve.

Ta disparition est un choc, difficile à encaisser, mais nous resterons fidèles à ton engagement sincère pour “ce Maroc que l’on refuse de voir” et nous continuerons à faire “Le Job” comme il se doit. “What a beautiful, beautiful ride” tu as effectué dans cette vie, cher ami, comme le chante la scène finale du film que tu aimais tant. Adieu.

“A toi de jouer” : Houssam Hatim

Tu aimais demander : “Frérot, qu’est-ce que tu en penses ?”. Cette question était aussi valable pour un édito que pour un match de Champions League. Tu la posais à tout le monde. C’était ta manière d’écouter tes interlocuteurs, de les comprendre et de rythmer ces longues conversations que tu menais avec passion.

Tu m’envoyais les enquêtes ou les interviews dont tu étais le plus fier, souvent accompagnées de ce message : “Rappelle-toi notre petite compétition. A toi de jouer maintenant”

Houssam Hatim

“On va s’amuser”, me disais-tu au début de chaque article ou dossier que nous préparions à deux. Tu m’envoyais les enquêtes ou les interviews dont tu étais le plus fier, souvent accompagnées de ce message : “Rappelle-toi notre petite compétition. A toi de jouer maintenant”. Cet esprit joueur et passionné, tu l’auras gardé jusqu’à ton dernier souffle. Tu as été le grand frère, l’éternel optimiste, l’homme affable et soucieux de raconter le Maroc tel qu’il est. Nous continuerons de le faire, frérot.

Courage, élégance, passion : Aïcha Akalay

TelQuel est une famille. Elle s’agrandit, accueille de nouveaux membres, laisse d’autres quitter le nid. C’est ma famille. Il y a cinq ans, elle a accueilli Réda, à une époque où je dirigeais la publication. Puis je me suis envolée vers d’autres horizons, soulagée et sereine, parce que Réda assurait le passage de témoin.

Je lui trouvais un mérite fou, il a maintenu le navire à flot dans un contexte bien plus difficile que celui que j’avais pu connaître. Beaucoup de courage, exprimé avec élégance et passion. Il aimait les mots, cela suffit à dire tout de lui. Notre famille n’était pas prête à voir Réda partir. Pensée émue à ses proches. Paix à son âme.

Ta vie en l’air : Fatym Layachi

Adieu chef. C’est un honneur d’avoir travaillé sous ta direction. Un honneur d’avoir été membre d’un équipage que tu as conduit avec détermination et droiture. En gardant le cap. Toujours. Même quand les vents étaient contraires, même quand les marées étaient houleuses, quand l’orage grondait… Ton engagement pour un Maroc plus juste, un Maroc meilleur, était fort et profond. Sincère.

“Tes mots, nombre de tes mots, ont façonné des lendemains meilleurs. Tu as changé le cours des choses”

Fatym Layachi

Par-delà le chagrin, ton engagement, tes mots nous obligent. Pour demain. Qu’il est dur d’imaginer demain sans toi. Sans tes commentaires. Sans ton point de vue. Sans tes analyses. Sans ton regard. Qu’il est dur de penser un demain que tes mots ne façonneront pas. Tes mots, nombre de tes mots, ont façonné des lendemains meilleurs. Tu as changé le cours des choses. Avec tes mots. Avec ton esprit. Avec ta plume. Ta plume si juste.

On se souviendra longtemps de tes valeurs, de tes principes. Tes principes chevillés au corps. Et puis ta gentillesse. Ton immense gentillesse. Une gentillesse sincère, souriante et lumineuse. Moi, je garderai comme un trésor ces souvenirs précieux avec toi. Nos échanges n’étaient pas réguliers. Ils étaient précieux. Importants. Tes appels. Ta voix. Je l’entends qui résonne. Je voudrais l’entendre encore. Ta voix. Même ta voix était juste. Tout en toi était juste. Merci pour tout.

Se retrouver autour de béquilles : Hassan Hamdani

Notre premier échange a été un clash stupide, inscrit dans l’ADN des réseaux sociaux. J’en étais le fautif. Je l’ai interpellé à 2 heures du matin, réclamant un peu de silence, en commentaire d’une longue chronique qu’il avait publiée sur son mur Facebook. La soirée avait été mauvaise, la nuit ne s’annonçait pas meilleure, j’étais chafouin.

“Dans la foulée, il m’a envoyé un smash, évoquant ces vieux journalistes incapables de boucler sans une béquille au degré élevé. Et qu’il fallait laisser la place aux jeunes”

Hassan Hamdani

En réponse, et dans la foulée, il m’a envoyé un smash, évoquant ces vieux journalistes incapables de boucler sans une béquille au degré élevé. Et qu’il fallait laisser la place aux jeunes. Quelque temps plus tard, on se croisait à TelQuel. Il était le nouveau rédacteur en chef du magazine. Magnanime, il a brisé la glace en venant me parler.

J’ai raconté “l’épisode Facebook” à une amie qui connaît TelQuel comme sa poche. Sa réponse : soit vous deviendrez les pires ennemis, soit les meilleurs amis. On est devenus amis. Ou frérots, comme il aimait dire, autour de quelques béquilles bien fraîches, pour un débriefing d’après bouclage.

Un homme en mission : Landry Benoit

Un optimisme et une confiance à toute épreuve. Voilà ce qu’incarne Réda. Habité par sa vocation, ne comptant jamais ses heures, il avait un don : il savait percer les apparences, montrer le Maroc tel qu’il est.

Il pouvait écrire d’une traite – durant des heures – une enquête après avoir terminé son travail de collecte, maniant la plume habilement. Il la maniait d’autant plus habilement que son exigence de recoupement d’informations était l’une des colonnes vertébrales de ses écrits.

Il avait aussi un art : celui de l’écoute. Des épisodes du podcast Le Scan aux capsules et émissions vidéo, il était friand de la transformation des médias. Pour lui, informer était un devoir. Une mission citoyenne. La garantie d’un Maroc moderne.

Merci pour tout : Leila Chik

Ta gentillesse est sûrement le trait qui m’a le plus marqué chez toi. C’est très rare, cette douceur et cet intérêt pour les autres. Tu avais ce don de faire se sentir spéciale chaque personne que tu connaissais.

Je n’oublierai jamais ton soutien et ta patience dans des moments de détresse, ni nos longues discussions, ton émerveillement lorsqu’on avançait, ton amour pour cette équipe que tu défendais bec et ongles. Merci pour les fous rires qu’on a partagés. Merci pour tout. Adieu cher Réda.

“Sky is the limit” : Zakaria Choukrallah

“Il y a ma tante, Ali et Réda. Quand un de ces trois-là appelle, il vaut mieux dégager la demi-heure”

Zakaria Choukrallah

Il y a ma tante, Ali et Réda. Quand un de ces trois-là appelle, il vaut mieux dégager la demi-heure. La conversation sera forcément longue. Mais la demi-heure se transforme parfois en heure ou en 90 minutes. Et l’on a envie de poursuivre la discussion autour d’un café.

Comme toutes les personnes passionnées, Réda était passionnant. Excessif dans le bon sens, enthousiaste et d’un optimisme désarmant. Parlez-lui de maladie, il était déjà à l’étape de la guérison. Évoquez l’audience et les nombres d’abonnements, et il vous promettait des chiffres mirobolants grâce à un super article à venir.

Parlez de la crise de la presse, il rêvait de lendemains heureux grâce à l’effort de l’équipe, et au diable la conjoncture. Si, souvent, le résultat n’était pas à la hauteur des ambitions de départ, parfois il s’en rapprochait étonnamment. “Sky is the limit”, me disait-il. Il rêvait en grand et accueillait tout le monde dans ses rêves. Réda ne se contentait pas de faire le job, il l’incarnait. Adieu frérot.

Porte ouverte : Mehdi Mahmoud

Le jeune journaliste que j’étais commençait à peine à prendre ses marques dans cette vénérable maison que tu débarquais avec, dans ta mallette, tes idées et tes idéaux, ton entrain et tes bons mots. Couchés sur papier et sortis à la volée, à qui veut les entendre – ou pas d’ailleurs, qu’importe.

“Mon TelQuel aura en réalité surtout été le tien. Et, en écrivant ces quelques lignes, je mesure à quel point il était bien”

Mehdi Mahmoud

Ta porte était constamment ouverte et j’aurais certainement dû t’ouvrir un peu plus la mienne. La moue d’un “mouais, pas convaincu” de ton interlocuteur ne t’a pourtant jamais empêché de le pousser constamment dans ses retranchements. Pas pour avoir le dernier mot, mais parce que tu y voyais une raison de prolonger un moment partagé.

À TelQuel, boucler sa première “couv’” se mérite. Un rite initiatique pour un tandem de circonstance, avec un premier tourbillon que l’on explorait à deux. M’y replonger me donne en réalité un condensé des trois années et demie passées dans “cette famille” que tu as tissée. Mon TelQuel aura en réalité surtout été le tien. Et, en écrivant ces quelques lignes, je mesure à quel point il était bien.

“L’indiscret pour boucler” : Nassim El kerf

“Frérot, un petit “indiscret sport” qui traîne ?”. Cette phrase paraît peut-être anodine, surtout venant de Réda, un jeudi après-midi de bouclage, lorsqu’on connaît son implication dans le process jusqu’au “temps additionnel”. Mais elle montre surtout la confiance qui s’est installée entre Réda, le directeur de publication, et Nassim, un jeune journaliste encore junior à l’époque.

Lorsque la boîte à indiscrets s’ouvrait, une fois par semaine, ajouter sa pierre à l’édifice était presque un graal pour un jeune comme moi. J’en proposais un ou deux qui passaient au second plan (sans jeu de mots), loin d’être la priorité. Mais je restais patient, sans m’insurger auprès de Réda.

“Tu sais Nassim, je ne comprends pas très bien le monde du football, mais ça fait deux trois fois que tu me prouves que je dois te faire confiance à ce niveau-là, et c’est un peu pour ça qu’on t’a engagé. Désolé frérot”

Jusqu’au jour où un énième indiscret recalé, concernant le montant de transfert d’un grand joueur de la Botola au sein d’un club casablancais ne l’était plus, moins de 48 h plus tard. Je lui ai envoyé les articles qui ont suivi l’officialisation, et on se croise sur la petite terrasse du bureau. “Tu sais Nassim, je ne comprends pas très bien le monde du football, mais ça fait deux trois fois que tu me prouves que je dois te faire confiance à ce niveau-là, et c’est un peu pour ça qu’on t’a engagé. Désolé frérot.”

Il aimait ce sport dont les rouages, et les coulisses, lui rappelaient énormément ceux de la politique. Quelques semaines plus tard, il m’a commandé une interview-portrait du patron du foot marocain, Fouzi Lekjaâ, qui est passée en couv’.

“Absorbé par son métier” : Yousra Benfellah

Au sein de TelQuel, tes précieux conseils ont contribué à éclairer ma vision sur de nombreux sujets en lien avec notre métier, je t’en serai toujours reconnaissante. J’aurais aimé qu’on travaille ensemble sur les projets dont on avait parlé il y a seulement quelques semaines, des projets qui paraissent si loin maintenant…

Mais tu étais absorbé par ton métier. “Moi aussi j’adore ce que je fais”, m’avais-tu répondu, alors que je te confiais à quel point je faisais mon métier avec amour. Repose en paix, cher Réda.

“Faire bouger les lignes” : Fanny Haza

Nous sommes en 2021, et les témoignages d’étudiantes harcelées, violées par des professeurs influents de l’enseignement supérieur déferlent à la rédaction. La vague Metoo n’a pas encore touché le royaume, mais Réda sent déjà la “déflagration” à venir.

“Pour Réda, toute occasion de “faire bouger les lignes” et faire tanguer les “totems d’immunité” était bonne. Il fallait le faire, coûte que coûte”

Fanny Haza

Sans l’ombre d’une hésitation, il donne un feu vert enthousiaste à notre enquête, et nous assure de son soutien inconditionnel. Car derrière les articles que vous lisez, il y a un directeur de publication qui valide les sujets… ou non. Et pour cause ! La responsabilité juridique en cas de plainte repose sur ses épaules. Pour Réda, toute occasion de “faire bouger les lignes” et faire tanguer les “totems d’immunité” était bonne. Il fallait le faire, coûte que coûte. Pour ce Maroc plus juste auquel il n’a jamais cessé de croire.

“Un cri d’excitation” : Safae Hadri

“Arrête de dépenser n’importe comment, il faut que tu investisses… Ouvre un compte d’épargne ou, mieux encore, fais des placements en Bourse”. Et tu enchaînais : on pouvait parler de courbes, de dividendes et de résultats financiers pendant des heures sans que tu ne te lasses…

“J’avoue qu’il m’arrivait de perdre le fil, jusqu’à ce que tu pousses un cri d’excitation parce que tu avais soudain une nouvelle idée d’article”

Safae Hadri

J’avoue qu’il m’arrivait de perdre le fil, jusqu’à ce que tu pousses un cri d’excitation parce que tu avais soudain une nouvelle idée d’article. “Ahh ça, c’est un bel angle, deux trois coups de fil et c’est plié. Je compte sur toi”. C’est à nous de compter sur toi désormais : tu continueras à nous inspirer de là-haut.

“Toujours une longueur d’avance” : Khadija El Alaoui

Pour discuter avec Réda, mieux valait suivre l’actualité de l’édition. Souvent, il posait la question : “As-tu lu le dernier livre d’untel”? Et si tu répondais par la négative, son visage affichait une expression de stupéfaction impossible à manquer.

Pour te convaincre, il n’hésitait pas à citer Orwell ou à te rappeler une scène d’un film de Lars Von Trier, et tu quittais son bureau en marmonnant un “je dormirai moins bête ce soir” et en pensant que, décidément, il aurait toujours une longueur d’avance sur toi.

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