Imaginez que vous êtes propriétaire d’une parcelle de terrain, que vous avez soigneusement aménagée pour y construire votre demeure. Après avoir consacré un temps considérable aux travaux, un étranger s’en empare avant de vous réclamer un loyer. Ne ressentiriez-vous pas une profonde injustice, et votre réaction instinctive ne serait-elle pas de vous opposer à cette spoliation ? C’est ce qui se passe à l’extrême est du Maroc, plus précisément à Figuig (voir notre dossier).
“Pour les activistes de ce hirak de l’eau, cette décision est un hold-up (…) Les installations hydriques ont été mises en place sur des terres soulaliyates, avec un financement collectif et grâce aux bras des jeunes de la ville”
Des centaines d’habitants de cette oasis investissent chaque mardi et vendredi la grande place de la ville pour contester l’intégration de la commune au groupement “Orient de distribution”, qui sera chargé, entre autres, de la gestion de l’eau. Pour les activistes de ce hirak de l’eau, cette décision est un hold-up, les ressources hydriques étant la propriété des Figuiguis en vertu des droits coutumiers. Les installations hydriques ont été mises en place sur des terres soulaliyates appartenant à la population, avec un financement collectif et grâce à la sueur et aux bras des jeunes de la ville. Les protestataires comprennent d’autant moins l’instauration d’une gestion déléguée que leur mode de gestion ancestrale de l’eau a fait ses preuves.
Ce hirak intervient au moment où le Conseil de gouvernement du 29 février a consolidé le cadre juridique de la loi n° 83-21 sur les Sociétés Régionales Multi-services (SRM), en approuvant les deux derniers projets de décrets, officialisant ainsi son entrée en vigueur. Cette loi vise à établir une SRM dans chacune des 12 régions du pays pour superviser des services publics cruciaux tels que l’eau, l’électricité, l’éclairage public et l’assainissement liquide.
Si l’objectif déclaré du ministre de l’Intérieur, Abdelouafi Laftit, est de répondre à la demande croissante des citoyens en eau et en électricité et d’assurer une répartition équitable, un autre objectif, non déclaré, se profile : la résolution des crises financières des gestionnaires publics de ces secteurs, entraînant systématiquement un soutien financier de l’État. Plutôt que de multiplier les interlocuteurs, l’Exécutif vise à en avoir 12 (un par région) capables de rechercher des sources de financement sans recourir aux deniers publics, selon nos informations.
Pour concrétiser cet objectif, l’Exécutif a attribué à ces nouvelles entreprises le statut juridique de sociétés anonymes, leur permettant ainsi de diversifier leurs sources de financement et surtout de lever des fonds en cas de besoins à travers l’endettement. Cette décision est justifiée par la nature des investissements de plusieurs milliards de dirhams que ces entités devront réaliser pour accompagner le développement du royaume, en particulier dans les zones rurales.
On peut craindre la privatisation de l’eau et de l’électricité, secteurs stratégiques
Cependant, aborder la question de l’endettement nous amène à réfléchir aux mécanismes de remboursement, avec les intérêts qui y seront associés. Ne risque-t-il pas de se répercuter sur les factures mensuelles des consommateurs, déjà devenues insupportables pour une grande frange de la société ? On peut craindre également la privatisation de ces secteurs stratégiques, bien que le tour de table de ces nouvelles structures soit, pour le moment, occupé par les groupements des collectivités territoriales, les conseils régionaux, l’État ainsi que l’ONEE, soient des capitaux 100% publics. Aux origines de cette peur, une disposition de cette loi qui prévoit la possibilité d’ouvrir ces entités à l’investissement privé à hauteur de 10%. En attendant, l’or bleu de Figuig et du Maroc risque de couler dans le sens contraire des souhaits des citoyens.