La mouche du coche

Par Fatym Layachi

En ce moment, l’actu te fait un peu tourner la tête. Ce n’est pas tant que tu la trouves particulièrement haletante ou absolument passionnante, mais c’est surtout que tu ne la comprends pas vraiment. D’abord il y a eu cette affaire de l’Escobar du Sahara. Tu n’en as pas saisi tous les tenants et aboutissants, tu n’as pas vraiment mis au clair toutes les ramifications et les enjeux de ce scandale, mais c’est complètement délirant comme histoire.

Même le nom trouvé à l’affaire est plutôt délirant. Escobar du Sahara ! C’est au moins le titre d’une super série à binge-watcher. Il faut reconnaître que dans tous ces enchevêtrements politico-mafieux, il y a matière à faire voyager l’imaginaire. C’est déjà ça, à défaut de rendre plus crédible ou plus audible la politique.

Tu découvres aussi que la capitale du plus beau pays du monde va se doter de la plus grande patinoire de hockey sur glace en Afrique. OK. Pourquoi pas après tout. Le plus beau pays du monde est peut-être une grande nation de hockey sur glace. Ou peut-être qu’il tend à le devenir. Tu n’en sais rien. Et là non plus tu ne sais pas quoi penser. Tu n’as pas vraiment d’avis sur la question. Mais tu ne peux t’empêcher de trouver une pointe de surréalisme à ce projet. La plus grande patinoire de hockey sur glace en Afrique. La phrase peut faire un peu voyager l’imaginaire.

Nabila Mounib accuse “des mouches électroniques sionistes” d’être
 à l’origine des tensions entre le Maroc et l’Algérie

Fatym Layachi

Et en parlant d’imaginaire, tu as lu une news absolument délirante. Ta mère t’a forwardé un article par mail avec comme unique commentaire, une question : “Elle a vrillé ?”. Le titre de l’article en question : Nabila Mounib accuse “des mouches électroniques sionistes” d’être à l’origine des tensions entre le Maroc et l’Algérie. Tu ne peux que comprendre la question de ta mère. Comment envisager cette phrase autrement que sous le prisme de la vrille.

Tu lis l’article, et non, ce n’est pas un poisson d’avril ou un truc satirique. C’est bien vrai. La madame a vraiment dit ça. Ce qui te laisse en déduire que la madame pense vraiment ça. Et là, à part soupirer et lever les yeux au ciel, tu ne trouves pas les mots pour commenter. Tu ne peux qu’être d’accord avec ce jeu de mots légèrement scabreux mais tellement à propos qu’à osé un journaliste : “Quelle mouche a donc piqué Nabila Mounib pour tenir de tels propos hors-sol ?”.

Tu en es presque à espérer qu’effectivement une mouche l’a piquée. Tu te demandes comment on peut arriver à de tels niveaux d’incongruité. Il faut tout de même rappeler que la madame est docteure en biologie, qu’elle est universitaire, qu’elle incarne une certaine autorité scientifique. Tu crains que la dernière partie de la phrase ne puisse plus être conjuguée au présent malheureusement. Elle a été la première femme marocaine à diriger un parti politique. Elle a été admirable. Toi, tu l’as tellement admirée.

Le plus sordide (ou le plus triste) est qu’elle va jusqu’à étayer son propos, à l’argumenter : “Nous avons constaté l’existence de mouches électroniques sionistes qui maîtrisent les dialectes des deux pays et qui cherchent à raviver l’animosité et attiser la guerre”. Vingt-six mots et au moins le double de questions. Là aussi, il y a matière à faire voyager l’imaginaire. Ou même à envisager une série. Mais pour le coup, ça ne te donne pas envie de la regarder, cette série. Tu es à peu près sûre qu’elle sera décevante. Comme l’est devenue Nabila Mounib.

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