[Tribune] De Hay Mohammadi à Imsouane, le démantèlement de la mémoire collective

Dans cette tribune, Brahim Gomez revient sur l’expulsion de sa famille de Zaraba, un bidonville de Casablanca, il y a 7 ans. Des souvenirs ravivés par les destructions d’habitations à Imsouane.

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Le 17 janvier, les autorités locales ont donné 24 heures aux habitants du cœur historique d’Imsouane pour quitter les lieux. Crédit: Cosmin Marian Barbu

Zaraba, ce nom ne vous évoque rien ? Normal, il n’est plus ! Bidonville de Hay Mohammadi, à quelques pas du stade El Arbi Zaouli, disparu il y a 7 ans, son image ne subsiste que parmi les dizaines de milliers de personnes dont Zaraba était le foyer depuis des générations. Un souvenir qui trouvera sa place dans la mémoire collective d’une classe sociale ouvrière et populaire.

Destruction du bidonville de Carrière centrale (Kariane central) , à Casablanca, en 2014.Crédit: Yassine Toumi / TelQuel

Le quotidien des habitants était rythmé par des mécanismes de solidarité qui permettaient de combler l’inaction des autorités locales. On se prêtait de l’argent entre familles pour faire face aux imprévus, là où les banques faisaient défaut. On achetait à crédit chez Moul hanout, là où les aides étatiques n’arrivaient pas. On se disputait, se déchirait entre voisins, mais on ravalait sa fierté pour se porter secours dans les imprévus du quotidien.

Malheureusement, Imsouane n’est que le symptôme d’une maladie qui dévore depuis longtemps la gestion de l’espace public marocain

Des ruelles tentaculaires qui se déployaient sans ordre logique : rue n°1, rue n°15, rue n°28. L’unique point de repère au milieu de ce labyrinthe urbain était la rue n°7, l’équivalent de la Fifth Avenue à New York, artère principale du cœur battant de Zaraba. De l’extérieur, il était considéré comme un lieu dangereux. Il est vrai que la misère sociale était le terreau parfait d’une criminalité juvénile, mais réduire Zaraba à cela serait jouer le jeu de ceux qui l’ont effacé de la carte.

Le quotidien des habitants était rythmé par des mécanismes de solidarité qui permettaient de combler l’inaction des autorités locales.Crédit: Yassine Toumi / TelQuel

Tout le monde savait que Zaraba avait vocation à disparaître. Ses habitants seraient relogés dans des appartements neufs à faible loyer, et non sans contrepartie. Car oui, dans l’imaginaire collectif des autres classes sociales, on reloge gratuitement ces indésirables dans des appartements flambants neufs. C’est le mythe qui se construit dans la mémoire collective d’une partie de la population. Une partie de la population, soyons honnêtes, qui n’a que faire des méthodes employées tant que la vue de leur quotidien est embellie.

Dans l’imaginaire collectif des autres classes sociales, on reloge gratuitement ces indésirables dans des appartements flambants neufs

La réalité sera différente du scénario raconté par les pouvoirs publics et trouvant écho chez celles et ceux qui ne voient que la vitrine hostile de Zaraba. C’est un soir de décembre 2016 que les responsables de la commune de Hay Mohammadi, accompagnés de bulldozers et de grues, sont arrivés. La légende urbaine de Zaraba était en phase de se transformer en tragédie marocaine. Ils ont donné 24 heures à tous les résidents pour emporter leurs effets personnels et quitter les lieux.

Les scènes étaient “guerniquéennes”. Des mères célibataires en pleurs, des enfants, des personnes âgées qui n’avaient jamais rien connu d’autre que cette terre. Les descendants de ceux qui autre fois avaient fait face à l’occupant français pour aider le Maroc à réaliser ses rêves de liberté étaient arrachés à leurs libertés.

Les appartements promis n’étaient pas terminés, chacun et chacune allait devoir rejoindre la jungle urbaine et tenter de survivre. Les plus chanceux pouvaient compter sur leur famille en ville ou dans les campagnes, d’autres sur leurs économies transgénérationnelles et enfin beaucoup d’entre eux ne pouvaient s’en remettre qu’à Dieu. Dieu qui observait sans doute, de là-haut, les machines détruire la centaine d’années de mémoire collective. Les uns et les unes l’imploraient, les autres lui tournaient le dos.

Il aura fallu plusieurs générations pour créer cet espace solidaire, mais une seule nuit et quelques décideurs pour le défaire.Crédit: Yassine Toumi / TelQuel

Au petit matin, Zaraba n’était plus. Aucune trace de son existence. Aucun vestige de taule. À la place, un terrain vague abandonné. Il aura fallu plusieurs générations pour créer cet espace solidaire, mais une seule nuit et quelques décideurs pour le défaire.

Les événements destructeurs de ces derniers jours à Imsouane ont fait la lumière sur des pratiques publiques archaïques toujours d’actualité. L’émoi salutaire des amoureux et amoureuses de ces plages a permis de médiatiser une injustice. Malheureusement, Imsouane n’est que le symptôme d’une maladie qui dévore depuis longtemps la gestion de l’espace public marocain. Sans papier au Maroc, vous n’êtes rien. Sans dirham, encore moins. Zaraba n’avait ni l’un, ni l’autre.

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