Lundi 9 juin, à « Kariane central », qui revêt aujourd’hui des airs apocalyptiques, la vie suit son cours le plus normalement que la situation le permet.
Les murs béants des maisons laissent les mauvaises herbes pousser, et les portées de chatons s’accumulent sur les toits. Seuls les braiments d’un âne troublent le silence pesant qui règne sur les Carrières Centrales. A huit heures, les familles se réveillent doucement, animées par la peur de voir la police et les bulldozers débarquer pour continuer leur lourde tâche.
Visiblement, les autorités laissent les habitants dans le doute pour garder l’effet de surprise. Depuis le mardi 3 juin, et l’intervention musclée des forces de l’ordre, les bidonvillois vivent dans l’appréhension.
Malgré cela, les commerçants du marché aux abords du bidonville installent leurs étals de fruits et légumes, tout en scrutant les parages.
Sous les débris, résignation et défiance
Les bidonvilles vus de haut / « Kariane central » (Crédit © Louis Witter / TelQuel)
Khalid habite à « Kariane central » depuis sa naissance. Ses parents y habitent et ses grands-parents y habitaient. En djellaba, la barbe rasée de près et le sourire franc, il connaît toutes les familles ou presque qui résident ici. Contrairement à d’autres, il ne nourrit aucune animosité à l’encontre de la police et des autorités. Résigné, il confie à demi-mot : « Oui, la police a bien détruit tout ce qui nous appartenait. Mais nous sommes des sans-droits, nous sentons bien que nous ne sommes pas désirables ».
Puis Khalid s’indigne :
« Nous sommes douze dans ma famille, et l’on nous a proposé quoi ? Un cinquante de mètres carrés ! Ce n’est pas normal, comment voulez-vous loger douze personnes dans un cinquante mètres carrés ? »
Déambulant entre des débris de parpaings et des détritus, il ajoute : « Certains ne partiront pas d’ici. Tout simplement car ils n’ont nulle part où aller ».
La wilaya dément
Des habitants visitent leurs voisins / « Kariane central » (Crédit © Louis Witter / TelQuel)
Cette défiance, les habitants la nourrissent depuis l’intervention du mardi 3 juin. Les forces de l’ordre ont mis à exécution leurs menaces de détruire 42 baraquements « en dur » de ce bidonville. Comme le montrent les vidéos qui circulent sur la toile, les autorités n’ont pas laissé le temps aux habitants de récupérer leurs effets personnels avant de les déloger de force et de détruire leurs maisons.
Une tout autre version est cependant livrée par la wilaya de Casablanca. Elle dénonce le recours aux enfants, aux femmes et aux personnes âgées comme boucliers humains pour faire avorter l’intervention.
Pour la wilaya, l’usage de la force a été autorisé par la Justice car les habitants ont « adopté une logique de chantage, en refusant d’adhérer à l’opération de recasement et en exigeant de faire bénéficier des membres de leurs familles ne figurant pas dans le recensement établi ».
Toujours est-il que le souvenir de l’opération policière est vivace chez les bidonvillois, qui n’en démordent pas.
Appréhension
Un homme dort dans les décombres de sa maison / « Kariane central » (Crédit © Louis Witter / TelQuel)
Samedi 7 juin, un enterrement se transforme en intense moment d’émotion. La grand-mère de trois résidents du « Kariane » décède des suites d’un accident de la route. Dans l’esprit des habitants, tout est lié. Comme un acharnement du destin, même si rien ne permet de relier les deux faits.
Pour l’un des habitants du quartier, « elle est la première victime de ces événements ». Ses trois petits enfants, Younès, Hassan et Soukaïna, avaient été arrêtés mardi après s’être opposés aux policiers.
Après l’enterrement, la famille craignait le retour de la police et des bulldozers. Mais au petit matin ce lundi, point de destructions à l’horizon. Les habitants ne sont pas dupes : ils se préparent déjà à la prochaine intervention policière.
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