La question de la réparation est un enjeu central de l’après-séisme. Réparation et non reconstruction.
Les bâtiments entièrement détruits ou rendus totalement inhabitables par le séisme sont intégrés dans le protocole d’indemnisation étatique de la reconstruction prise en charge par l’État. Pour les autres bâtiments partiellement détruits, la question a été plus épineuse : chaque cas étant unique, les bâtisses ont fait l’objet d’arbitrages complexes dans chaque localité. Certains ménages ont été immédiatement considérés comme sinistrés, d’autres ont dû procéder à un recours (doléances du mois de novembre, avec nouvelles commissions), d’autres enfin ne seront évidemment pas indemnisés du fait de dégâts partiels, ou de quelques fissures sans gravité structurelle, ne nécessitant pas une intervention de grande envergure.
Parmi ces ménages, certains sont malheureusement marqués par une grande précarité et la déception a parfois été d’autant plus grande qu’ils ont attendu une éventuelle manne providentielle, durant des mois.
Pour une réparation communautaire
Loin de rentrer dans d’interminables négociations entre des ménages qui se sentent oubliés et une administration qui a défini des catégories d’indemnisation, la solution que nous avons portée est un protocole de réparation collective et communautaire. Le principe est de prendre en charge la main-d’œuvre et les matériaux nécessaires à la simple réparation des demeures.
Pour les architectures de pierre et de terre, les interventions nécessitent souvent quelques journées de travail, quelques sacs de chaux pour l’étanchéité, de plâtre pour les enduits intérieurs, un ou deux bois pour permettre un travail de réduction de la fissure. Ce type de techniques ne sont pas onéreuses et sont connues de la plupart des villageois.
Partout où je suis allée dans les quatre provinces que j’ai expertisées, les personnes étaient prêtes à agir : le bois notamment, avait été coupé et préparé, il était prêt à être utilisé et certains s’activaient à réparer les bâtiments agricoles comme les granges ou les étables. Pour les habitations, ils attendaient les diagnostics pour recevoir les dotations promises.
Dans le cas de l’expérience pilote menée dans la Tessaout, dans la commune d’Ait Tamlil, un groupe de huit ouvriers et maçons œuvrent depuis que les recours ont été épuisés et que les ménages désormais indemnisés viennent de commencer les tout premiers travaux.
Ils ont commencé au sein des ménages les plus fragiles. Ici, la maison d’un couple âgé. Là, la demeure d’une famille de transhumants dont l’époux est toujours sur les hauteurs avec les troupeaux. Puis, ils se sont occupés de leurs demeures.
Les maisons impactées sont souvent plus récentes et n’étaient pas construites selon les règles de l’art. Plusieurs maisons ne sont pas correctement ancrées sur le rocher, mais sur un sol plus meuble et nécessitent une reprise de fondation profonde en pierre. D’autres maisons n’ont pas disposé du traditionnel chaînage en bois notamment aux angles et se sont légèrement fissurées.
Les travaux sont rapidement menés pour les dégâts les plus légers, comme les fissures. En une dizaine de jours, ce sont huit maisons qui ont été ainsi réparées. “Je vous remercie, nous dit cet homme âgé, maintenant j’ai presque oublié le séisme.” La trace du séisme est effacée. Une fois les demeures réparées, les équipes se chargeront des bâtiments collectifs de ce village qui souffrent de quelques désordres faciles à résorber.
Cette expérience est en cours de duplication, et plusieurs villages dans les provinces de Taroudant, d’Al Haouz et de Ouarzazate sont déjà identifiés. Il faut ranimer ces logiques collectives. Nombre de maisons historiques abîmées par le séisme sont désormais la propriété de dizaines d’héritiers qui peuvent difficilement s’accorder sur une opération collective, pourtant il faut considérer ces maisons comme des biens communs, c’est-à-dire des propriétés collectives essentielles à la qualité de vie au quotidien dans le monde agraire.
Les laisser ruinées au cœur des villages n’est pas une solution, car elles génèrent des pathologies. De même, le tout béton promu par certains opérateurs est hors de prix et se traduira par des milliers de maisons inachevées aux murs dépareillés. Ici et là, de nombreux ménages s’alarment déjà des injonctions contradictoires entre les autorités communales et les recommandations des ingénieurs, en soulignant combien elles vont à l’encontre des directives royales.
Un exemple emblématique
L’objectif est donc de redéployer des logiques collectives. Les collectifs d’ouvriers permettent aujourd’hui de réparer tous les bâtiments fissurés, mais aussi d’entretenir tout un patrimoine historique qui fait la richesse de ces montagnes. Ces chantiers maintiennent les savoir-faire et surtout offrent un travail digne à des hommes qui souvent doivent quitter leur village pour des salaires de survie dans de grandes exploitations agricoles de la plaine ou comme simples ouvriers sur des chantiers de béton de ciment.
L’un des défis de la reconstruction est de sortir d’une relation binaire entre l’administration publique et un particulier sinistré. Cette relation qui prend la fonction d’indemnisation est nécessaire, mais insuffisante. Il s’agit aussi de se saisir de ce moment pour soutenir, refonder parfois, des collectifs qui seront à même de s’organiser face aux autres catastrophes à venir, et notamment la terrible sécheresse qui sévit actuellement et qui frappe les économies agricoles dans un contexte de réchauffement climatique accéléré. Ces énergies positives sont disponibles et se déploient pour tout travail pour le groupe (eau, champ, construction).
En œuvrant rapidement pour stabiliser dans un premier temps ces villages, nous nous assurons de sauvegarder un tissu villageois en péril. Car ces personnes vivent du tourisme, mais aussi parce que seules les techniques en matériaux locaux nous assurent face au risque climatique.
Rappelons, enfin, que ce génie des lieux de ces localités de la haute montagne est un génie climatique qui propose des architectures adaptées aux extrêmes, mais aussi un génie du parasismique peu connu. La vallée de la Tessaout avec ses murs de pierre harpés de bois est une de ces architectures remarquables qui résistent aux séismes. Ces éléments mis au point sur la durée rappellent que ces sociétés ont conservé une mémoire de la prévention des séismes.
Aujourd’hui, comme dans l’Himalaya ou les Andes, il s’agit de s’approprier ces dispositifs qui sont le fruit d’améliorations constantes sur la durée. Il faut agir et diffuser ces pratiques parfois oubliées. Cela permet de régler la question des édifices fissurés en terre et en pierre qui sont facilement RÉPARABLES, et au plus grand nombre de familles de retrouver rapidement leur logement.