Post-séisme, la solution de relogement provisoire de l’architecte Elie Mouyal

Spécialiste des habitats traditionnels, Elie Mouyal propose un prototype de maison en terre, bois et mousse isolante, réalisable en autoconstruction en quelques jours. Une solution qui réconcilie urgence du relogement après le séisme, écologie et savoir-faire ancestral.

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Un processus d'autoconstruction réalisable en quelques jours, essentiellement avec des matériaux récupérés sur place (photo prise le 21 septembre 2023, travaux en cours). Crédit: Elie Mouyal
Elie Mouyal a son agence à Marrakech (AEM) depuis 1987.

Il y a différentes manières d’aborder ce sujet de la reconstruction, aussi bien dans le provisoire que dans le définitif. Une voie a été très précisément balisée par le communiqué du Cabinet royal, qui consiste à apporter un soutien sans perturber les us et coutumes. Moi, je l’interprète de manière littérale, même pour un hébergement d’urgence.”

Elie Mouyal a construit en quelques jours un prototype de “nouala” (cabane en torchis) pour répondre au besoin de relogement d’urgence. Pour ce pionnier des architectures contemporaines en terre, il s’agit de montrer que “c’est possible”, avant de “transmettre le savoir-faire technique, passer la main” aux volontaires qui ont déjà pu déblayer leur terrain et voudraient y construire un abri temporaire.

Une vidéo sera diffusée dans les prochains jours pour rendre le processus clair et accessible à tous les volontaires.

“Entre la tente et leur future maison”

Vue de l’intérieur, en cours de construction.

L’habitat proposé par l’architecte s’appuie sur des matériaux récupérés sur place comme le bois et la terre, de vieilles portes et fenêtres. “On part de l’idée que c’est de l’autoconstruction, avec de la récupération. Rien ne se perd dans le processus, et c’est 100 % recyclable”, explique-t-il. De quoi assurer “un habitat intermédiaire entre la tente et leur future maison, qui peut tenir au moins un an, puis être démonté pour récupérer les matériaux”.

Poteaux en bois d’eucalyptus scellés au sol dans un trou profond avec des pierres, plafond en roseau, portes et fenêtres de récupération… “Ce ne sont que des matériaux locaux et des techniques artisanales, faciles à maîtriser et surtout rapides à réaliser.” Une mousse isolante de maximum 5 cm d’épaisseur, écologique et transpirante, est ensuite projetée sur la maison pour la rendre imperméable, avant d’être recouverte de terre et paille.

Le sol est composé de pierres avec cavités, couvert en chappe en terre crue compactée, les murs sont en panneau sandwich (de l’intérieur vers l’extérieur) : enduit en chaux ou plâtre + roseaux + mousse isolante + roseaux + enduit en terre. Idem pour le toit, auquel avons en plus ajouté de la chaux pour augmenter l’albédo (pouvoir réfléchissant, nldr) et réfléchir les rayons du soleil pour le confort d’été”, détaille l’architecte.

Résultat : une autoconstruction plus robuste qu’une tente, d’un meilleur niveau de confort thermique, moins chère et plus écologique qu’un conteneur — les solutions envisagées jusque-là. “Ma motivation, c’est qu’il ne faut pas que ces villages soient envahis de gadgets, car jamais une chose posée ne quittera les lieux, poursuit Elie Mouyal.

“L’idée est de pouvoir récupérer ensuite les matériaux de ce logement temporaire quand viendra le temps de la reconstruction”

Elie Mouyal

“D’ailleurs, c’est un problème même pour le modèle qu’on propose, même s’il est entièrement démontable : il y a un risque que le bâti reste là, et ce n’est pas le but. L’idée est de pouvoir récupérer ensuite les matériaux quand viendra le temps de la reconstruction, insiste l’architecte. Cela dit, il va se fondre complètement dans le paysage parce qu’au final, il sera enduit de terre et de paille, seul le toit sera blanc. Sinon, c’est de la terre, de la paille, de vieilles portes et fenêtres. Il sera complètement intégré.

La “nouala” de relogement d’urgence en fin de construction, le 21 septembre 2023.

Une solution à moindre coût

L’entreprise qui fournit gracieusement cette mousse qui fera toute la différence en hiver ne tient, pour l’instant, pas à communiquer sur cette action. Elle s’engage à offrir le matériau et la prestation de projection pour une cinquantaine de maisons (valeur : environ 4000 dirhams par maison de 15 m2). Reste les frais de clous, roseaux, fil de fer, plâtre et petit matériel.

Liste des coûts de la nouala proposée par Elie Mouyal.

Depuis l’annonce de ce projet sur les ondes de RFI le 15 septembre, des ONG internationales ont contacté l’architecte pour participer à la construction, mais lui préfère “avoir affaire à des associations locales, idéalement de la région”. “L’adhésion de la population à des systèmes constructifs, même provisoires, doit venir de la vallée. Il ne faut pas que ça vienne de l’extérieur”, estime-t-il.

La mousse projetée est d’abord recouverte de roseaux avant d’être renforcée par de la terre.

Un défi d’appropriation par la population locale, mais aussi de diffusion : “De proche en proche, de voisin en voisin, l’idée peut se transmettre, et les gens se prendre en main. On n’aura rien de plus à faire que de ramener la mousse tant qu’elle sera gratuite. Ce ne sera que par la suite qu’il faudra une prise en charge financière.

Sur cette question d’accompagnement financier une fois la cinquantaine de noualas réalisées, l’architecte s’engage à assurer des formations d’une demi-journée et un service d’appui technique en cas de difficulté de chantier.

Si la proposition d’Elie Mouyal est bien accueillie, l’aspect écologique de la mousse interroge certains de ses confrères. “J’ai trouvé une solution pragmatique, et même si elle n’était pas écologique — le fournisseur est un expert en matériau biosourcé et il assure proposer la meilleure solution à date d’aujourd’hui —, je la prendrais quand même en attendant mieux, défend l’architecte. En plus, on nous l’offre et on a des gens qui veulent bien faire, qui veulent aider tout en restant pour le moment en retrait, que demander de plus ?

Mise à jour du 22 septembre : le bilan carbone de la nouala

Depuis la publication de cet article et pour répondre aux interrogations quant à la mousse utilisée pour la nouala, Zakaria Sadik, fondateur d’ALTO EKO, cabinet de conseil en énergie et environnement, a proposé ses services en offrant une simulation thermique dynamique (STD) intégrant des calculs de confort thermique et d’analyse de cycle de vie (ACV) de ce matériau constitué de 1 % de matière pour 99 % d’air.

Le résultat de l’ACV bâtiment est de 150 kg CO2eq/m2, soit près de 60 % de gain par rapport à une classe A du classement carbone d’une construction similaire.

À travers cette STD, en prenant comme hypothèses les conditions climatiques de la région dans la zone climatique la plus contraignante, Zakaria Sadik conclut que l’isolation des parois extérieures de la nouala et les apports en chaleur issus des sources internes (occupation, cuisson et éclairage) permettent de réduire les besoins de chauffage de l’habitat et de garantir un niveau de confort thermique à plus de 18 °C pendant plus de 80 % de la période d’occupation.