L’éditeur Abdelkader Retnani s’en est allé dans la nuit du 14 novembre, des suites d’une longue maladie, à l’âge de 78 ans. Il laisse derrière lui la plus grande structure d’édition littéraire du Royaume, la maison d’édition La Croisée des Chemins, qu’il aura bâti de ses mains en plus de 40 ans de carrière dans le livre.
Des livres et du foot
Quelques mois après la Coupe du monde de Football, Abdelkader Retnani publiait, de ses propres aveux, l’un des ouvrages les plus chers à son cœur en plus de 40 ans dans l’édition, si ce n’est le plus important : un beau-livre qui retrace, en texte et en images, l’épopée des Lions de l’Atlas au Qatar. Les deux grandes passions de l’éditeur, réunies en un même objet : le livre et le foot.
C’est que celui qui a fondé la maison d’édition La croisée des chemins en 1993 a aussi été, pendant plusieurs années, le président du club du Raja de Casablanca. C’est d’ailleurs sous sa direction que le club casablancais a remporté son premier titre national, en 1988.
En juin dernier, on apercevait l’éditeur au SIEL de Rabat. Chaque année, lors du grand rendez-vous littéraire du pays, le stand de la Croisée des Chemins détonne. Cette fois-ci, il frappait fort en accueillant, au plus grand plaisir des visiteurs du salon, les membres de l’équipe nationale de football. Jamais un étalage de librairie n’aura connu une telle affluence. Un coup entièrement signé Abdelkader Retnani, qui a veillé sur sa maison d’édition, ses auteurs et ses livres jusqu’à son dernier jour.
Autant que ses forces le lui ont permis, il a continué à se rendre vaillamment aux bureaux de la Croisée des Chemins, incontestablement la plus grande maison d’édition du Royaume, dont les partenaires privilégiés sont l’Académie du Royaume, le ministère de la Culture, et le Conseil national des droits de l’Homme, avec une ligne éditoriale qui a toujours eu à cœur la valorisation du patrimoine marocain.
Casablanca, le Maroc, l’Afrique…
C’est dans le secteur agricole qu’a débuté la carrière de Abdelkader Retnani. Il n’y passera pas plus de quatre ans, avant de se reconvertir dans la diffusion et la distribution de livres. C’est ainsi qu’est créée la société Eddif, ancêtre de la Croisée des Chemins. La structure ne se consacrera à l’édition qu’à partir du début des années 1990, d’abord en français, avant de se mettre à proposer un catalogue bilingue dans les années 2000. Avec un goût prononcé pour les beaux livres, dont le nombre s’élève à plus de 200 dans le catalogue de l’éditeur, ainsi que pour les essais en sciences sociales.
Abdelkader Retnani a le mérite d’avoir été l’un des tout premiers à défendre bec et ongle un livre marocain pour les Marocains
Tout au long de son parcours, il veillera au plus près aux intérêts de la filière du livre et de la culture, à la fois en tant que secrétaire général de l’Association des éditeurs africains et francophones, puis, à partir de 2015, en tant que président de l’Association marocaine des professionnels du livre.
Depuis 2019, il siégeait également à la CGEM aux côtés de Neila Tazi, en tant que vice-président de la fédération des industries culturelles et créatives. Tôt dans la matinée, la fondatrice du festival Gnaoua d’Essaouira lui rendait hommage en ces termes via son compte Facebook : “Épicurien dans l’âme, tu avais l’amour des livres et du football chevillé au corps. Ta devise : franchise et loyauté, et je ne te remercierai jamais assez d’avoir été à mes côtés dans les moments les plus difficiles. Nous avons partagé une belle histoire ensemble en donnant naissance à la fédération des industries culturelles et créatives de la CGEM. Ton empreinte est bien là, et toute l’équipe poursuivra le travail que nous avons commencé ensemble.”
En Casablancais passionné, Abdelkader Retnani figurait, il y a quelques mois encore, dans le documentaire Ana Bidaoui, du réalisateur Noureddine Lakhmari, afin de retracer quelques aspects historiques de la ville qu’il a connue comme aucune autre. Les publications qu’il a dirigées en témoignent : Casablanca, le livre noir de la ville blanche (2022), Quartiers des Habbous (2017), ou encore Anfa, Dar El Beïda, Casablanca (2009). Abdelkader Retnani a le mérite d’avoir été l’un des tout premiers à défendre bec et ongle un livre marocain pour les Marocains.
Après les ambitions nationales sont venues les ambitions continentales. Dès 2020, sous l’impulsion de Retnani, La Croisée des Chemins entamait un virage vers l’Afrique, marqué par la création de la collection Sembura, dédiée à la littérature africaine. Le tout, dans un projet plus global de faire du Maroc un hub de la littérature africaine, et d’œuvrer à une meilleure circulation du livre à travers le continent.
L’éditrice Layla Chaouni, fondatrice des éditions Le Fennec, lui rend hommage : “Celui qui a donné ses lettres de noblesse à l’édition francophone va nous manquer. Il a su donner à un secteur resté dans l’ombre l’aura qui lui revenait. Grâce à ses efforts multipliés notre association l’UPEM, a intégré la CGEM pour la reconnaissance des industries culturelles et leur donner la place qu’elles méritent.”