[Tribune] Principes identitaires pour la reconstruction d’Al-Haouz : pourquoi reconstruire en terre et en pierre

L’urgence après le désastre qui a frappé Al-Haouz était de sauver les vies, apporter assistance aux sinistrés, puis assurer les mesures d’accompagnement transitoires. Si on a gagné ces premières phases grâce à la solidarité exemplaire de la société civile et l’engagement des pouvoirs publics, il est venu le temps de la reconstruction, pas en termes de logement seulement, mais selon une vision prospective pour la renaissance et la mise à niveau de la région au niveau économique, social et environnemental.

Par

Yassine Toumi/TelQuel

Cet immense projet, qui va durer longtemps, est crucial pour l’avenir de la région. Après le pansement des blessures, et en relevant la tête, il convient de voir loin avec clairvoyance et lucidité le futur que nous voulons pour cette partie sensible du Maroc.

Abderrafih Lahbabi, architecte.Crédit: DR

On connaît les atouts et les potentialités de cette belle région montagneuse du pays ; mais on sait aussi qu’elle est connue pour la pauvreté quasi généralisée de la population et la précarité de l’économie locale.

La reconstruction de la région est certainement le moment de mettre en valeur ses atouts et de planifier son modèle de développement territorial intégré. Selon moi, cinq points de réflexion doivent accompagner le cadrage des actions de reconstruction à venir.

1. L’aménagement territorial intégré

Il est primordial de cerner la vocation et la stratégie d’aménagement territorial à partir de l’appréhension d’un projet global et une vision prospective. C’est le moment de réduire les manifestations d’exclusion sociale et spatiale et orienter le développement en identifiant et en mettant en valeur les atouts de la région.

Il est important de prendre en compte les contraintes naturelles pour les bons aménagements hydro-agricoles, forestiers et paysagers. Le but étant d’assurer le bon choix de développement économique permettant à la population de trouver le niveau d’emploi et de revenu convenable, conditions nécessaires pour accéder à l’éducation, au logement décent et à une vie en harmonie avec son environnement.

2. La question de l’habitat dispersé

Une des caractéristiques de la région est l’habitat dispersé, véritable obstacle pour la communication et la répartition des équipements socio-éducatifs. On a vu combien il était difficile de porter secours aux sinistrés des hameaux isolés difficiles d’accès. La dispersion rend la vie difficile aux habitants et les prive de l’action des pouvoirs publics.

Il est important d’éviter des constructions dans des sites inappropriés, inondables, instables, voire improbables. Aussi est-il nécessaire de penser au regroupement de cet habitat en douars et villages accessibles, dotés d’équipements sociaux, éducatifs et sanitaires.

Ceci conduit à réduire les coûts des infrastructures et des services publics, et aussi à maîtriser l’occupation des territoires et la préservation des paysages.

3. Reconstruire en terre et en pierre

Un débat est déjà engagé sur quel mode de construction parasismique est le plus indiqué pour la reconstruction. Des avis fusent de tous les côtés. Certains pensent que la construction en terre et en pierre est vulnérable et responsable de la destruction des maisons. Comme si les constructions en béton avaient mieux résisté à ce tremblement de terre. Il suffit de voir combien de victimes ont été extraites du béton et de l’acier dans le Haouz comme des débris des tremblements de terre survenus par ailleurs dans le monde.

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Toutes les constructions sont vulnérables, il n’y a que les techniques des systèmes constructifs qui peuvent limiter les dégâts. Ce n’est pas le matériau qu’il faut blâmer, mais plutôt sa mise en œuvre. C’est le but des règlements de constructions parasismiques. Le béton est étranger à la région et ne la protégera pas d’autres catastrophes. C’est la manière de construire qui réduit les risques d’effondrement.

Autrement dit, on peut et doit construire en terre et en pierre avec des dispositifs structuraux et architecturaux appropriés. Le Maroc est un pays de construction en terre et nous disposons de bons architectes, ingénieurs et laboratoires expérimentés dans ce savoir-faire.

4. L’architecture du contexte

Il est primordial de ne pas perdre de vue qu’on est dans une région de montagne et qu’il faut adopter une architecture de montagne, une architecture de contexte. La construction en terre et en pierre, naturelle et écologique, est un atout majeur pour l’originalité et l’identité de la région.

De nos jours, les préoccupations de l’environnement, de l’écologie et de la durabilité sont devenues pressantes en tous les domaines, notamment dans la construction. Les architectures régionales paraissent de ce fait d’une grande actualité et peuvent inspirer des constructions soucieuses de la qualité au naturel, du respect du milieu et du paysage.

“La terre est l’alternative à la banalité des architectures sans références identitaires qui essaiment dans tout le pays”

Abderrafih Lahbabi

La terre comme matériau est une ressource renouvelable, son cycle de vie présente un bon bilan carbone. Elle est l’alternative à la banalité des architectures sans références identitaires qui essaiment dans tout le pays, effaçant toute propension à la créativité locale.

Personnellement, j’angoisse à l’idée de voir la région submergée par le béton moche et de mauvaise qualité qui a sévi ailleurs. J’imagine plutôt une contrée où les douars et les villages se fondent dans le paysage, où l’homme vit en harmonie avec son milieu et son patrimoine architectural. Une forte identité culturelle de la région est un atout majeur pour son attractivité.

5. Des villages pédagogiques

On parle de la reconstruction de 50 000 logements. Il y a aussi les équipements d’accompagnement en termes d’écoles, dispensaires, administration, routes, etc. Il ne faut surtout pas construire à la va-vite en poteaux-poutres et parpaings de remplissage, le stéréotype qui a gagné le pays. Cette région sensible doit sauver son caractère architectural, paysager et environnemental. Il faut aider la population à améliorer le mode de construction en terre et en pierre qui fait le caractère spécifique de la région. C’est aussi une manière de créer de l’emploi local en formant les jeunes aux métiers de la construction traditionnelle.

L’État ne peut évidemment pas tout construire, mais il peut donner les indications et faire des expérimentations à travers des « villages pédagogiques » en termes de formes architecturales, matériaux et systèmes constructifs. Suite au tremblement de terre d’Al-Hoceima, avec mon confrère Mohamed Benelkhadir, nous avions établi des plans-types pour la reconstruction s’inspirant de l’architecture régionale que nous avions étudiée auparavant.

Nous avions bien compris qu’établir des plans-types d’une bonne qualité architecturale et constructive ne suffit pas sans un encadrement technique assidu. D’où l’importance de la création d’une Agence de reconstruction d’Al-Haouz, à l’instar du Haut-Commissariat à la reconstruction d’Agadir.

Si ce dernier avait été guidé par des principes rigoureux d’urbanisme et d’architecture modernes, l’agence de la reconstruction d’Al-Haouz, quant à elle, doit à mon avis veiller à la reconstruction avec des principes d’identité culturelle et patrimoniale de la région. Les deux contextes sont radicalement différents.

Abderrafih Lahbabi est architecte DPLG, docteur ès sciences urbaines et ex directeur pédagogique de l’École d’architecture de Casablanca.