[Tribune] Mariage de mineurs : comment mettre vraiment fin au mariage d’enfants

Tandis qu’un débat, hélas plus politique que sociétal, est engagé sur la réforme du Code de la famille et de certains aspects relatifs aux libertés individuelles dans le Code pénal, d’autres sujets, pourtant moins clivants, ne suscitent pas autant d’intérêt, regrette l'acteur associatif Zakaria Garti. C’est le cas du phénomène (principalement féminin) des mariages de mineur(e)s, qui représentent presque 10 % des mariages au Maroc.

Par

“Dès lors que l’on parle d’enfants ou en tout cas de mineurs, on ne peut pas parler de consentement. Lorsque des jeunes filles sont mariées à des hommes plus âgés, que ça soit un mariage légal ou coutumier, vous pensez qu’elles ont envie d’avoir des rapports avec cette personne ?”, s'indigne Meriem Othmani, présidente de l'INSAF. Crédit: Fadel Senna / AFP

Quelles solutions efficaces et globales permettraient de lutter contre ce phénomène persistant ? La réforme du Code de la famille et de l’arsenal juridique est-elle suffisante pour enrayer ce fléau ? Promulguer des lois qui pénalisent le mariage des mineurs (même si je préfère l’expression “mariage d’enfants”, car la formule est plus percutante) reste le principal moyen, et relativement le plus “simple” à mettre en œuvre pour faire reculer ce phénomène.

Zakaria Garti.Crédit: DR

La criminalisation des mariages d’enfants est la démarche suivie par bon nombre de pays asiatiques, comme les Philippines ou l’Indonésie, ainsi que certains pays africains. Ainsi, le Rwanda a mis en place une loi interdisant le mariage des personnes de moins de 21 ans. Ces mesures juridiques ont largement contribué à un recul net des mariages d’enfants dans certains pays (de presque 40 % selon les rapports des Nations unies et de l’UNICEF), mais dans d’autres, l’amendement de l’arsenal juridique n’a pas été suffisant et ce phénomène reste répandu.

à lire aussi

Derrière cet échec, le faible respect de l’État de droit, le pouvoir discrétionnaire accordé aux juges qui font de l’exception une règle et, enfin, l’erreur d’appréciation de quelques militants des droits de l’Homme qui limitent la lutte contre ce fléau social et humain au seul cadre législatif, alors que les conditions socio-économiques jouent un rôle central dans l’augmentation ou la réduction du taux de mariage d’enfants, selon le témoignage des agences opérant sous la bannière des Nations unies.

 

Dans ce contexte, les résultats d’une étude menée par l’UNICEF ont montré une baisse des mariages d’enfants dans un certain nombre de régions d’Éthiopie ayant bénéficié du Programme de sécurité alimentaire, par rapport aux régions qui n’en avaient pas bénéficié.

Une étude sur le mariage de mineurs au Maroc, menée par l’Observatoire national du développement humain (ONDH) en partenariat avec l’UNICEF, confirme que le décrochage scolaire ainsi que la difficulté d’accès à l’eau potable font partie des facteurs qui augmentent le taux des mariages d’enfants. Ainsi, cette étude montre que 70 % des femmes mariées après l’âge de 18 ans sont issues de familles qui vivent dans des foyers ayant accès à l’eau potable, alors que ce taux ne dépasse pas 50 % pour les femmes mariées avant l’âge de 18 ans.

Plus de 90 % des demandes de mariage de mineures accordées

Les juges autorisent plus de 90 % des demandes de mariage de mineurs.

Quant au cadre juridique, le Code de la famille, entré en vigueur en 2004, comprend des dispositions interdisant le mariage des personnes de moins de 18 ans, contrairement au Code précédent qui autorisait le mariage des filles de plus de 15 ans. Cependant, le législateur a donné au juge (conformément à l’article 20 du Code de la famille) la possibilité d’autoriser le mariage des personnes n’ayant pas atteint l’âge légal, à condition que les motifs qui le justifient soient indiqués, après avoir entendu les parents du mineur, et s’être appuyé sur une expertise médicale et sociale. La même étude a montré que les juges autorisent plus de 90 % des demandes de mariage de mineurs et ne sollicitent l’aide d’une expertise médicale ou sociale que dans 40 % des cas qui leur sont soumis.

C’est là que réside le problème : les exigences légales fixées par le législateur ne sont pas pleinement respectées, ce qui entrave la lutte contre le phénomène. Ceci confirme une fois de plus que modifier des lois sans en avoir préalablement rempli les conditions d’application est une entreprise vaine.

En conclusion, si l’interdiction totale des mariages d’enfants est l’objectif ultime, ce que je ne peux que soutenir et défendre en accord avec mes convictions et mes valeurs, je crains que celle-ci n’ait qu’une efficacité limitée sur le terrain si elle ne s’accompagne pas d’une amélioration de la situation socio-économique des jeunes filles les plus vulnérables et les plus exposées au mariage précoce. Dans ce contexte, je suggère ce qui suit :

  • Maintenir l’article 19 du Code de la famille qui interdit le mariage des personnes de moins de 18 ans.
  • Maintenir l’exception qui permet au juge de marier des mineurs de moins de 18 ans (selon les dispositions des articles 20 et 21 du Code de la famille) pendant une période transitoire n’excédant pas 5 ans (comme dans certains pays asiatiques) et empêcher le mariage des filles de moins de 17 ans de façon permanente et sans exception.
  • Développer une stratégie nationale pour recruter et former un nombre important de travailleurs sociaux à déployer sur le terrain et dans les tribunaux de la famille, mais également interdire aux juges d’autoriser le mariage d’une personne mineure si aucune enquête sociale et médicale n’a été menée, avec la nécessité de joindre au contrat de mariage les conclusions de ladite enquête.
  • Accélérer le raccordement des foyers au réseau d’eau potable, le taux de raccordement actuel ne dépassant pas 65 %. Le raccordement au réseau d’assainissement devrait également être étendu, notamment dans le monde rural, car ce pourcentage ne dépasse pas 10 %, ce qui empêche un grand nombre de filles issues du monde rural d’aller à l’école en raison du manque d’installations et d’infrastructures sanitaires.
Zakaria Garti est chargé d’investissement dans une institution financière et acteur associatif