TelQuel : L’Opinion vient de boucler son 20.000e numéro, ce qui vient couronner la refonte d’un support de renom. Comment vivez-vous cet événement en tant que directeur de publication ?
Je dois reconnaître qu’en ma qualité de directeur de L’Opinion, ce chiffre symbolique du 20.000e tirage me procure un certain sentiment de joie et de fierté. La joie d’abord de voir ce journal, avec lequel j’ai grandi en tant que lecteur, continuer à exister 58 ans après sa naissance, en dépit d’un contexte sectoriel de la presse nationale et internationale des plus incertains.
Et la fierté ensuite en tant que manager qui a eu l’honneur, l’opportunité et la chance d’avoir pu contribuer à la refonte et au maintien à flot de ce journal mythique grâce aux efforts conjugués de l’équipe rédactionnelle et technique, sous les encouragements et la bienveillance d’un conseil d’administration qui a fait montre d’une grande confiance et d’une grande réactivité à notre égard pour nous procurer les moyens de nos ambitions éditoriales.
Cette mutation n’a pas été facile d’un point de vue émotionnel. Il fallait en effet renouveler le journal tout en veillant à ne pas dilapider son héritage historique qui pèse lourdement sur les épaules, ainsi que cette patine de rusticité qui fait tout son charme.
En tant que journaliste, il n’est pas facile en effet de succéder et de perpétuer l’œuvre de noms aussi mythiques de la presse nationale comme l’ont été des célébrités de l’acabit de Khalid Jamaï, Najib Salmi, Nadia Salah, Mounir Rahmouni, Fatima Belarbi, Aïcha Mekki et bien d’autres noms illustres que je ne pourrais pas citer de manière exhaustive sans noircir de longs paragraphes.
Vous avez piloté le “reboot” de L’Opinion dans un contexte loin d’être idéal, que retenez-vous de cette période et quels sont vos objectifs de développement pour le titre ?
Il est vrai que la refonte de L’Opinion s’est faite dans le contexte hautement contraignant d’une crise majeure du secteur des médias en général et de la presse écrite en particulier, contexte auquel sont venues s’ajouter les complications logistiques et économiques de la pandémie du Covid.
Mais avec le recul, ce sont ces mêmes difficultés qui nous ont permis de garder les pieds sur terre et de calculer au centuple nos actions et investissements, en vue d’en optimiser les dividendes tout en réduisant les risques.
Ce contexte a également permis une certaine fédération des efforts en interne au sein du groupe Arrissala pour la finalisation du projet, et par ricochet un changement plus rapide des mentalités et des process qui aurait nécessité plus de temps et d’énergie en temps normal.
Autrement dit, à quelque chose malheur est bon. Pour ce qui est des objectifs, et comme vous ne saurez l’ignorer en tant que confrère, rien n’est malheureusement acquis dans notre domaine qui nécessite un effort permanent de consolidation des réalisations. Mais comme on est condamnés à rester dans l’action, les projets les plus urgents de notre groupe de presse sont le renforcement de notre stratégie de transformation digitale avec un intérêt certain pour le net dans sa déclinaison classique et audiovisuelle. Nous préparons également le lancement à court terme d’un supplément économique hebdomadaire.
Quel regard portez-vous sur l’état du secteur de la presse et quels seraient selon vous les défis à relever pour que l’activité renoue avec la croissance ?
Je suis de nature optimiste, mais je reste malgré tout réaliste. La presse au Maroc traverse une crise majeure liée aux difficultés économiques du secteur et à la baisse des recettes financières des publications. Ce manque à gagner a un impact direct sur la qualité du rendu éditorial et contribue par là même au creusement du fossé entre celui-ci et les attentes d’un lectorat jeune et en constante mutation. C’est à la résolution de cette équation difficile que la presse marocaine doit s’atteler.
Mais d’un autre côté, il existe des défis d’ordre exogène en termes de gouvernance et d’encadrement légal du secteur. Si les aides étatiques sont les bienvenues en ces temps de vaches maigres, celles-ci ne sauraient se substituer à une approche plus globale et plus stratégique visant à établir les bases d’une relance pérenne de la presse dans notre pays.
Beaucoup de choses restent à faire. Par exemple, en matière d’incitation à la lecture des nouvelles générations, ne serait-ce qu’au niveau des établissements scolaires et des bibliothèques publiques, mais également en matière de protection des ressources publicitaires des médias marocains, notamment contre la prédation anticoncurrentielle des GAFAM. Il y a beaucoup de choses à dire et à faire, mais c’est un long sujet qui mérite plus amples développements.