Bitcoin au Maroc : quand les geeks contournent l’interdiction

Malgré l’interdiction de l’Office des changes du bitcoin, de plus en plus de jeunes geeks se ruent vers les plateformes “exchange” pour le trading des cryptomonnaies. Un engouement qui place le Maroc en 4e position en Afrique après le Nigeria, l’Afrique du Sud et l’Égypte.

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Certains Marocains continuent d’investir dans cette monnaie virtuelle qu'est le bitcoin, pourtant interdite au Maroc. Crédit: Ozan Kose / AFP

Si, juridiquement, il est possible d’interdire le trading sur les cryptomonnaies comme c’est le cas dans la majorité des pays à travers le monde, techniquement il est impossible d’endiguer les transactions des plateformes et des portefeuilles.

Pour preuve, depuis 2017, l’Office des changes interdit la vente et l’achat du bitcoin. Or, aujourd’hui, et selon les statistiques compilées des grandes plateformes “exchange” de cet univers à haut risque, le Maroc, en termes de dynamisme de ses traders, se place en 4e position en Afrique après le Nigeria, l’Afrique du Sud et l’Égypte.

L’engouement des jeunes geeks a permis l’émergence d’une communauté active dans le trading en dirhams contre les différentes cryptomonnaies en utilisant, d’une manière simple et efficace, leurs comptes et cartes bancaires émises par les différentes banques marocaines.

Techniquement, ce contournement de la légalité qui exige une excellente tolérance au risque à cause de la volatilité des cours des actifs cryptos passe par trois canaux : Binance Peer to Peer, le portefeuille décentralisé MetaMask et les groupes d’échanges crypto de Telegram et Discord.

Virement bancaire sur Binance peer to peer avec motif “Ecom”

L’un des “exchanges” leader au monde, à savoir Binance, permet aux utilisateurs marocains de créer un compte avec authentification par la fourniture d’une copie de la carte d’identité nationale ou du passeport. Cette option d’enregistrement a facilité l’accès à ce marché volatil aux jeunes geeks à travers l’option d’achat et de vente entre particuliers “Binance P2P” (peer to peer).

Concrètement, les utilisateurs désireux d’acheter une crypto peuvent facilement croiser en ligne des offres de vendeurs avec la possibilité de payer par virement bancaire sur les différentes banques marocaines.

Inversement, les geeks actifs dans le trading peuvent vendre leur portefeuille d’actifs cryptos en donnant tout simplement les références de leurs comptes bancaires pour recevoir, facilement, des virements en devises ou en dirhams. Des transactions qui indiquent généralement comme motif de virement e-commerce “Ecom” pour éviter le tracking bancaire en cas d’indication liée aux cryptomonnaies ou bitcoin.

D’ailleurs, l’intérêt croissant des utilisateurs marocains pour la plateforme décentralisée Binance a encouragé son PDG, Changpeng Zhao, à effectuer, en juillet 2022, une visite éclair au Maroc immortalisée par une vidéo du passage de sa voiture près du Technopark de Casablanca, publiée sur son compte Twitter.

MetaMask : passerelle bancaire en Australie pour les cartes marocaines

Autre tuyau exploré par les geeks pour contourner l’interdiction des cryptomonnaies, la wallet “portefeuille” crypto-devises MetaMask, basée sur la machine virtuelle Ethereum.

À travers ce portefeuille décentralisé, les utilisateurs achètent les différentes cryptomonnaies en payant par carte de crédit marocaine alimentée en devises via la dotation e-commerce et touristique. Un paiement autorisé, sans aucune restriction, par une banque australienne Banxa, partenaire de MetaMask.

Le trading via les groupes Telegram et Discord

Le troisième mécanisme d’accès pour l’achat de cryptomonnaie, ce sont les plateformes d’échange comme Telegram et Discord qui permettent à travers des groupes actifs l’échange avec possibilité de paiement en dirhams. Ce mécanisme reste hautement risqué puisque plusieurs traders n’effectuent pas le transfert aux wallets d’acheteurs malgré la réception des paiements.

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Au-delà du débat sur la pertinence ou non de légalisation des cryptomonnaies au Maroc, l’enjeu réel est d’accélérer l’accès et l’usage de la technologie sous-jacente à cette révolution technologique, à savoir la blockchain. Il s’agit d’une opportunité à fort potentiel de ce qui est appelé communément “la confiance distribuée”. Son adoption le plus tôt possible par des organismes publics et privés servira à accélérer la digitalisation des moyens de paiement et le renforcement de la lutte contre la corruption et la prédominance du cash.

À rappeler que Bank Al-Maghrib a ouvert, depuis 2021, une brèche dans le front d’interdiction en mettant en place un comité destiné à explorer les opportunités de déploiement d’une monnaie centrale digitale, connue communément sous le nom de Central Bank Digital Currency (CBDC), ainsi que la réglementation de la cryptomonnaie.

Rachid Jankari est journaliste et consultant spécialisé dans le digital, l’innovation et l’intelligence économique. Il vit entre Casablanca et Istanbul.