Mais à quoi joue l’Arabie Saoudite ? Le berceau des lieux saints déconcerte par une ligne diplomatique pour le moins opaque. Liée historiquement aux États-Unis par les accords de Quincy, pacte assurant sa protection, la dynastie des Al Saoud installe un changement de paradigme radical dans sa vision du monde. Avec Donald Trump, le partenariat paraissait trempé dans l’acier.
Avec le démocrate Joe Biden, arrivé à la Maison Blanche en 2021, le lien s’effiloche. Il y a eu d’abord cette promesse du candidat Biden de traiter le prince héritier Mohammed Ben Salmane en paria une fois élu, à cause de l’affaire Kashoggi, journaliste saoudien assassiné en Turquie.
Mais il y a eu surtout ce changement de donne fondamental sur le plan énergétique. Redevenus producteurs majeurs de pétrole et de gaz de schiste, les États-Unis sont forcément moins dépendants des Saoudiens. Et donc moins enclins à soutenir leur vieux partenaire vaille que vaille. Sentant le vent tourner, MBS s’est échiné à moderniser son pays. Une ouverture sur le plan sociétal et des investissements massifs dans les énergies renouvelables et les nouvelles technologies promettent de faire du royaume une économie de moins en moins tributaire de la rente pétrolière.
Cette indépendance économique en devenir s’accompagne d’un changement de cap géostratégique. Si Donald Trump espérait adjoindre l’Arabie Saoudite aux accords d’Abraham, avec à la clé une normalisation avec l’état hébreu, cet objectif n’est plus qu’une chimère. Non seulement l’Arabie Saoudite a pris ses distances avec les accords d’Abraham, mais, grâce à l’intermédiation de la Chine, premier rival des Américains, elle a normalisé ses relations avec son éternel Némésis : l’Iran.
Ce rapprochement entre Riyad et Téhéran n’est ni plus ni moins qu’un big-bang. Il redessine la carte des alliances au Moyen-Orient. Dans la foulée, MBS s’est activé à réintégrer la Syrie dans le giron de la Ligue arabe. De la sorte, le royaume saoudien se range du côté du trio belligérant investi sur le sol syrien : la Turquie, l’Iran et la Russie. C’est donc un autre membre du Sud global, et pas des moindres, qui s’émancipe de la sphère d’influence de l’Occident pour rallier les tenants d’un monde post-occidental, menés symboliquement par la Chine.
Pour le Maroc, ces évolutions brouillent la donne géostratégique. Notre diplomatie n’a pas hésité un seul instant à épauler l’Arabie Saoudite dans sa réhabilitation de la Syrie. En votant en faveur de son retour à la Ligue arabe, le Maroc entérine symboliquement la nouvelle doctrine saoudienne dans la région. Bien entendu, ce vote n’engage aucunement le Maroc à entretenir des liens diplomatiques standard avec le pays de Bachar Al Assad, mais ce choix réduit la lisibilité de sa stratégie globale.
Depuis l’éclatement du conflit russo-ukrainien, le monde est en proie à des divisions radicales. Jamais depuis l’éclatement du rideau de fer la polarisation n’a été aussi forte. Si le Maroc s’est abstenu de voter la résolution anti-Poutine aux Nations Unies en février 2022, il n’a pas pour autant rompu avec la sphère d’influence occidentale. En témoigne la reconnaissance de la marocanité du Sahara par Trump et la réaction en chaîne que cela a entraîné chez les Espagnols et les Allemands, entre autres pays européens. Vis-à-vis de l’Arabie Saoudite, grand partenaire et incontournable bailleur de fonds, les fondamentaux diplomatiques du Maroc étaient tenables, puisque Riyad articulait sa diplomatie autour d’axes similaires.
Mais ce soudain changement de cap a des conséquences. Le Maroc sera-t-il tenté de suivre les pas de MBS en affichant un penchant net envers le nouveau bloc post-occidental ? On l’a vu, les accords d’Abraham ont été vidés de leur substance. Et le rapprochement avec Israël provoque l’embarras des officiels. En outre, Si Trump a clairement exprimé son soutien à la marocanité du Sahara, Joe Biden se contente d’assurer un service minimum. Le basculement du côté post-occidental de la force peut être tentant, mais il doit s’accompagner de gains concrets pour notre pays.
Si l’Arabie Saoudite, en forçant le come-back de Bachar Al Assad, riposte au lâchage américain et met fin aux arrivages illicites de Captagon syrien sur son territoire (une drogue qui ravage la jeunesse saoudienne), que gagne le Maroc ?
Ce qui pose la question suivante : qu’a gagné le Maroc à réhabiliter la Syrie de Bachar ? Les positions pro-Polisario du régime syrien seront-elles réexaminées ? Certes, l’isolement d’Alger sur le dossier syrien par l’Arabie Saoudite est une belle victoire symbolique pour notre pays. Mais est-ce suffisant pour justifier le vote du Maroc ? Si l’Arabie Saoudite, en forçant cet habile come-back du dictateur, riposte au lâchage américain et met fin aux arrivages illicites de Captagon syrien sur son territoire (une drogue qui ravage la jeunesse saoudienne), que gagne le Maroc ?
Il faut bien entendu se féliciter que notre pays use de ce que l’on appelle la diplomatie transactionnelle, sans fidélités gravées dans le marbre, pour faire entendre sa voix. Mais cela n’empêche pas un minimum d’explications quant aux orientations choisies. Alors, que s’est-il passé et qu’a-t-on obtenu pour valider le come-back de Bachar dans le concert des nations arabes ? Un éclairage du ministère serait le bienvenu !