Né le 14 août 1956 à Casablanca dans le quartier de Derb Sultan, Khalil Hachimi Idrissi baigne dans un environnement fortement imprégné par l’art, les médias, et un sens aigu du patriotisme, dans la lignée de son père, feu Bouchaib Hachimi Idrissi, un des pionniers de la lutte pour l’indépendance.
KHI, “plus qu’un acronyme, une signature et un style”
Après un baccalauréat philo-littéraire obtenu à Casablanca, c’est sur les bancs de la Sorbonne que Khalil Hachimi Idrissi fait ses armes. Fraîchement diplômé du 3e cycle de l’Institut de géographie de la prestigieuse université parisienne, son attachement au Maroc prend le dessus, et c’est de retour au pays qu’il se lance dans ce que beaucoup qualifieront de carrière “exceptionnelle”. De ses initiales KHI, Driss Ajbali, journaliste et médiateur de la MAP, dit d’ailleurs qu’elles sont “plus qu’un acronyme, une signature et un style”.
Au début des années 1990, c’est aux côtés de Mohamed Selhami, actuel directeur des publications de Maroc Hebdo, qu’il fait ses armes, avant d’être promu rédacteur en chef du média où il se distingue, entre autres, par sa célèbre chronique “Billet Bleu”.
Après cette dizaine d’années durant laquelle il fait connaître sa signature, KHI prend son envol et fonde en 2000 le quotidien francophone Aujourd’hui le Maroc, dans la continuité de son engagement pour le développement de la presse privée.
Sa grande expérience dans le domaine lui vaudra par ailleurs deux mandats en tant que président de la Fédération marocaine des éditeurs de journaux (FMEJ) à la tête de laquelle il sera élu une première fois en 2008, puis réélu en 2011. La même année, en juin, il est nommé par le roi Mohammed VI à la tête de l’agence de presse marocaine MAP, où il lance de nombreux projets de restructuration qu’il décrivait dans une interview accordée à Médias24 d’“essentiels” .
Après une longue hospitalisation de près de 6 mois entre Paris et Rabat et durant laquelle il “faisait face” à sa maladie, comme l’indique le politologue Mustapha Sehimi dans une chronique in memoriam, l’homme de lettres rend son dernier soupir.
Dès l’annonce de sa disparition le 8 avril, mais aussi après ses funérailles qui ont eu lieu dimanche 9 avril au cimetière Chouhada, les médias et réseaux sociaux regorgeaient d’hommages, de souvenirs et de condoléances de personnalités des sphères politiques, de confrères journalistes, mais aussi de proches.
“Il incarnait le journaliste intelligent et intellectuel”
Contacté par TelQuel, Mustapha Sehimi déplore ainsi “la perte d’un ami qui travaillait ses mots et dont la plume était incisive, la perte d’un journaliste astucieux qui pouvait sentir les choses, mais aussi d’un personnage clivant, dont les rapports étaient rugueux avec de nombreuses personnalités du milieu et ailleurs”.
Également sollicité par TelQuel, le fondateur de la société de distribution, d’édition et de presse Sapress, Mohamed Berrada, qui a connu le défunt pendant près d’une trentaine d’années, raconte : “J’ai retrouvé Khalil quand j’étais président de Sapress et quand lui était déjà directeur d’Aujourd’hui le Maroc. Nous avons beaucoup de choses en commun, mais ce que je retiens de son portrait, c’est qu’il incarnait le journaliste intelligent et intellectuel”. “Il était aussi écrivain et poète. Il a d’ailleurs laissé un recueil, peut-être inachevé, mais qu’on est en train de traduire et qui sortira bientôt”, révèle Berrada.
“En plus de ses qualités, c’était un grand patriote, un homme multidimensionnel, dans le sens culturel et intellectuel du mot, qui laisse derrière lui une empreinte dans l’histoire de la presse contemporaine de notre pays, parce qu’il a fortement œuvré pour ce secteur en tant que journaliste, président de la FMEJ, mais aussi lorsqu’il était à la tête de la MAP qu’il a transformée en entité très avant-gardiste”, ajoute le patron de Sapress.
Panache et élégance
Se remémorant des histoires datant de leurs années d’études à Paris, ou de son passage en tant que ministre de la Communication sous le gouvernement de Driss Jettou, l’actuel secrétaire général du Parti du progrès et du socialisme Nabil Benabdallah raconte : “J’ai personnellement connu Khalil alors que j’étais encore étudiant à Paris où nous avions, de temps à autre, des discussions sur le pays et sur son devenir.”
L’homme politique relève qu’il avait “déjà à l’époque beaucoup d’égards concernant ses écrits, ses analyses, le caractère percutant de sa plume, la profondeur qu’il pouvait dégager par rapport à certaines questions, et souvent aussi une dose importante d’audace et de courage sur des évolutions notoires que connaissait ou que devait connaître notre pays”.
Benabdallah raconte s’être particulièrement rapproché du journaliste entre 2002 à 2007 : “Nous avons travaillé ensemble à l’époque où j’ai été ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement. Nous nous sommes découvert un certain nombre d’atomes crochus, y compris en termes de convergence sur des questions importantes de notre pays. Nous avons beaucoup travaillé, ensemble, avec des membres du bureau de la FMEJ et les partenaires du Syndicat national de la presse marocaine, mais aussi sur le Code de la presse. Nous étions à quelques encablures de pouvoir boucler un code qui, à mon avis, aurait été nettement plus intéressant que ce que nous avons aujourd’hui. Malheureusement, la balle n’a pas été saisie au bon moment avant la fin du gouvernement de Driss Jettou.”
“Certes, les dernières années qui ont été les siennes ont été marquées par un devoir de réserve dû à son statut de directeur général de la MAP, mais il lui est quand même arrivé de signer quelques délicieux papiers sur certaines questions importantes, relève Benadballah. Nous garderons de lui le fait que c’était l’une des plumes les plus remarquables sur la scène médiatique de notre pays en langue française, il va de soi. Une langue qu’il maniait avec énormément de maestria, pour preuve ses qualités d’écrivain et surtout de poète, puisqu’il avait ce dada qu’il entretenait avec beaucoup d’élégance… paix à son âme !”
Un autre de ses confrères, l’ancien rédacteur en chef de L’Économiste et enseignant-chercheur Mohamed Benabid, évoque, dans un hommage au défunt, une anecdote vécue avec lui au Canada : “Le voyage en compagnie de quelqu’un reste le meilleur moyen de le connaître. Dans les années 1990, on s’est intéressé, Khalil, moi et une poignée d’autres journalistes, à ce qu’on appelle la crise de l’amiante. Il y avait une problématique internationale. J’étais à L’Économiste, Khalil à Maroc Hebdo. On s’intéressait à cette crise de l’amiante, au point d’avoir été repérés par les Canadiens qui étaient les principaux producteurs d’amiante et surtout les principaux fournisseurs du Maroc à l’époque. On a donc été invités par ces derniers qui essayaient coûte que coûte de nous convaincre, parce qu’on était quand même assez mobilisés pour cette cause-là. Au Canada, nous avons vécu de nombreuses anecdotes, parfois amusantes, notamment lorsque nous taquinions nos hôtes sur des sujets qui dépassaient l’ordre du jour de l’amiante, comme le débat sur le fédéralisme canadien et/ou la question de l’autonomie du Québec. Je me souviendrai de lui comme étant un joyeux luron, ayant un grand sens de l’humour, mais aussi comme quelqu’un qui ne négligeait aucun détail, y compris l’aspect vestimentaire des journalistes.” Dans ce sens, il confiera un jour à Benabid qu’il s’agit du “premier pas pour se faire respecter dans un métier injustement perçu parfois”. “Lui-même ne se séparera jamais de son éternel costume cravate, qui deviendra sa marque de fabrique en quelque sorte”, conclut le chercheur.
Évoquant sa perte avec beaucoup d’émotion, son amie Nadia Larguet se confie : “Khalil faisait partie des très proches de mon époux Nour-Eddine Saïl (ancien patron de 2M, décédé en décembre 2020, ndlr). Il était donc indirectement lié à moi, car ils avaient, chaque semaine, une tradition : celle de dîner ensemble avec le reste de la célèbre bande : Driss Ajbali, Ahmed Herzenni et Naïm Kamal. Tout Rabat savait que ces hommes étaient en train de refaire le monde avec panache. Khalil restera à vie lié à nous, car il avait été hélas hospitalisé fin 2020 pour Covid et Nour-Eddine l’avait malheureusement rejoint quelques jours plus tard. Je lui avais dit ‘Ton copain te manque à ce point ?’. Depuis ce jour, Khalil prenait souvent de nos nouvelles. Notre place, à Suleïman (fils de Nadia Larguet et Nour-Eddine Saïl, ndlr), pour qui il avait beaucoup d’affection, et moi, était donc au cimetière, exactement comme je suis allée pour mon mari ou mon papa. C’était un Monsieur que je respectais, un grand professionnel qui laissera sa trace. Mes pensées vont à sa famille…”