[TRIBUNE] Football et récit national : de quoi les Lions de l’Atlas sont-ils le nom ?

La symbolique de la Coupe du monde est puissante et participe de la structuration d’un univers de sens et de puissance, vital pour l’affect des peuples et leur communion. En cela, l’équipe nationale du Maroc est une illustration exemplaire de la capacité identificatoire du football.

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Les supporters accueillent les Lions de l'Atlas à Rabat après le Mondial 2022 au Qatar, le 20 décembre. Crédit: Fadel Senna / AFP

Compétition sportive, la Coupe du monde l’est par excellence. Mais elle est surtout devenue un moment d’apothéose des nations. Elle agit tel un algorithme qui façonne et régule une géographie des sentiments mouvante et étendue.

Le réalisateur Hamid Derrouich, docteur en sciences politiques.Crédit: DR

Raymond Aron décrit le football comme une “épreuve des volontés” : la volonté des individus, autrement dit des joueurs déterminés à apposer une signature personnelle, à briller et à rentrer non seulement dans le Panthéon du football international, mais aussi dans l’Histoire humaine. N’est pas Pelé qui veut, n’est pas Maradona qui veut, n’est pas Zidane qui veut ! De ces volontés des individus, de ces individualités, se construit une action collective et émerge un idéal commun, celui de la volonté des nations à occuper un espace dans la géographie du soft power.

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Le génie consiste donc, tant pour un entraîneur comme Walid Regragui que pour ses joueurs, à articuler précisément les fortes individualités et l’irrésistible esprit d’équipe, et à concevoir, à travers cette alchimie, une image désirable qui force le respect et à laquelle se sont identifiés les millions de Marocains et supporters à travers le monde.

Le stade de foot, ce Colisée des temps modernes

Le stade de football a tout d’un Colisée des temps modernes qui, au-delà des scènes macabres avec des prisonniers mis à mort et une faune exotique, incarnait une certaine idée de Rome, de la force du peuple, de la toute-puissance de l’empire, de la fierté et de la résilience des Italiens.

Les stades d’aujourd’hui gardent certes quelques vestiges symboliques de ce temps romain, mais ils sont devenus entièrement des espaces épurés, pacifiés, policés avec des règles sous le contrôle d’une autorité, un arbitre qui, lui-même désormais, est secondé par une machine, la VAR (assistance vidéo à l’arbitrage).

Des supporters marocains créent une ambiance exceptionnelle durant le match Maroc-Espagne en huitième de finale de la Coupe du monde Qatar, le 6 décembre 2022 à Doha.Crédit: MAP

La structuration du football en dit long sur notre représentation du monde. L’agencement de l’espace établit une hiérarchie sociale affirmée et assumée. Les tribunes d’honneur sont réservées aux chefs d’État et aux hauts dignitaires. Les prix de la location des loges et des espaces VIP peuvent atteindre dans certains stades et pour certains matchs des milliers d’euros.

Ces espaces sont par essence des lieux de sociabilité de la haute société issue principalement aujourd’hui du monde des affaires et de la haute finance. Occuper un siège au stade pendant une Coupe du monde est un marqueur social. Il est accessible principalement à une classe moyenne dite “branchée”, dotée d’un réel pouvoir de mobilité et hyperconnectée au temps mondial.

À bien des égards, la régulation du jeu tient du triomphe du libéralisme économique adepte, religieusement, à la fois d’une concurrence libre et non faussée entre les compétiteurs et de la simplification, voire la suppression, des restrictions au sacro-saint marché libre. En ce sens, le football est le sport où les règles sont les plus simples (la main, le hors-jeu). C’est sans doute par sa simplicité et sa clarté que le football est un des sports les plus agréables à voir.

Aussi paradoxal que cela puisse paraître, le football, qui est porté par des enjeux financiers colossaux et propulsé en spectacle-roi par les médias, est aussi une des disciplines où l’on répugne le moindre soupçon de fraude ou de corruption.

Avec l’intégration du VAR, c’est un pas de plus qui est franchi dans cette irrésistible dynamique de l’artificialisation des activités humaines. L’intelligence artificielle, tyrannique par vocation, finira-t-elle par remodeler la façon de jouer le football, ce qui poussera à questionner, légitimement, ce qui en restera comme part réellement humaine ?

Dès lors, l’examen de l’engouement pour le football, s’il est d’une complexité dissonante, laisse voir in fine une opposition avec les analyses radicales qui, pour certaines, le réduisent à un opium du peuple ou à un suppôt du nationalisme et du capitalisme, quand d’autres le considèrent comme une régression infantile. Cette dernière, pour être intelligible, implique pour l’observateur ou le chercheur d’arpenter les sentiers escarpés de “la psychologie des foules” chère à Gustave Le Bon.

Un fil émotionnel relie les gradins et la pelouse, accentuant de fait la ferveur identificatoire opérée par un maillot qui a tout d’un étendard

Rien de tout cela ne pourra donc altérer la capacité du football à mobiliser les imaginaires, à bâtir un idéal commun où les individualités se réalisent tout en permettant au collectif de transcender. En effet, le football, plus particulièrement la Coupe du monde, est l’espace par excellence où l’agir pour soi comme manifestation de la liberté individuelle, qu’exprime la singularité de jeu de chaque joueur et ses propres aspirations, se doit de se conjuguer avec l’agir avec et pour les autres.

Quand la technicité éclatante, la maîtrise du ballon, l’habileté des mouvements assignent à chaque joueur une personnalité et un style, les chevauchées héroïques, les déploiements collectifs, les procédés tactiques et stratégiques puissants et fins confèrent au groupe la figure d’un art improvisé collectivement à l’image du jazz.

Ainsi, par sa puissante représentation de l’action collective, le football met en scène la volonté commune et procède d’une expérience démonstrative des ressorts de la condition politique des sociétés humaines. Ici, ce qui est à l’œuvre, ce n’est pas tant cette “main invisible” adulée par Adam Smith qui donnerait à penser que les exploits footballistiques collectifs ne seraient, en réalité, que la traduction des actions individuelles de joueurs animés, par définition, uniquement par leurs intérêts personnels, mais plutôt une agrégation des volontés interdépendantes, imbriquées et, qui plus est, unies par un sentiment d’appartenance à un “Nous” exalté.

Un fil émotionnel relie, dans un mouvement de va-et-vient à la fois tendu et hilarant, les gradins et la pelouse, accentuant de fait la ferveur identificatoire opérée par un maillot qui a tout d’un étendard.

Le jeu du singulier conjugué au pluriel

On reconnaît les Maisons à leurs emblèmes desquels découle une exubérance émotionnelle. Dans le cas des Coupes du monde, cette exubérance émotionnelle participe de ce que Malraux appelait les “machines de rêves” ayant pour combustible une sorte de patriotisme hédoniste.

Ceci place inextricablement la Coupe du monde aux antipodes de l’univers des championnats nationaux où une logique tribale portée par les ultras des clubs fragilise l’équilibre nécessaire à la tenue bon-enfant des compétitions, au point de pousser parfois à l’organisation de matchs sans supporters, voire à faire payer aux clubs le coût des débordements causés par leurs fans extrémistes.

Nous avons pu voir de près comment les Lions de l’Atlas ont su mettre en musique un mouvement collectif porté par des joueurs dotés de fortes personnalités et animés par un idéal culturel qui en dit beaucoup de l’identité non pas seulement du Maroc, mais aussi du monde arabe et musulman et de l’Afrique. Au-delà donc du jeu, l’exploit du sélectionneur Walid Regragui, c’est de mobiliser les ressources individuelles de ses joueurs, d’instiller leur combativité, de canaliser le jeu et d’imposer une discipline.

Hakim Ziyech.Crédit: Hakim Ziyech / Facebook

Cela n’aurait sans doute pas été possible sans une connaissance presque intimiste des trajectoires personnelles des joueurs, de leurs expériences de vies, de leurs univers affectifs, autrement dit tous les registres mobilisateurs susceptibles de mettre le groupe en ordre de bataille.

Du côté des joueurs, l’exploit, c’est aussi “d’entrer en résonnance”, pour reprendre l’expression de Rosa Hartmut, avec le projet de l’entraîneur, d’assimiler son dispositif tactique et stratégique et de puiser dans la relation fusionnelle avec un public large et varié les conditions du dépassement de soi. Un peuple, des peuples, des joueurs, un staff technique et un entraîneur se fondent les uns dans les autres pour constituer un magma de fierté qui redonne sens à la notion de bien commun, de la chose publique, du collectif.

Tout se passe comme si un pays d’Afrique n’avait pas droit aux honneurs, comme si le Maroc s’était introduit par effraction dans une réception d’aristocrates

Là où le libéralisme économique et politique sacralise l’idée et les régimes de séparation en plaçant l’individu au centre de tout et au-delà de tout, l’action collective telle que conduite par les Lions de l’Atlas a su, le temps d’un Mondial, remettre au-devant de la scène des idées politiques le rôle déterminant des infrastructures politiques collectives.

La liberté individuelle et son totem de grand marché planétaire se heurte de plus en plus, même par intermittence, à des remises en cause. Elle fait face à davantage de moments d’éveil des consciences émanant de peuples jaloux de leurs identités et résolus à conduire leurs propres expériences humaines.

Pour les idolâtres du rêve post-politique de La fin de l’Histoire, tout comme pour ceux qui ne voient dans la Coupe du monde qu’un phénomène de la société consumériste, les sociétés humaines qui s’obstinent à ne pas se fondre dans la masse seraient passéistes, nationalistes, réactionnaires et elles finiraient par disparaître. Cette essentialisation du regard contribue à la compréhension du dédain, du mépris et des réflexes colonialistes et racistes qui se sont répandus telle une traînée de poudre dans certains médias et sur les réseaux sociaux européens à chaque victoire des Lions de l’Atlas.

Tout se passe comme si un pays d’Afrique n’avait pas droit aux honneurs, comme si le Maroc s’était introduit par effraction dans une réception d’aristocrates, heurtant la sensibilité des uns et provoquant l’amusement des autres. Les premiers sont médusés, les seconds sont, visiblement, séduits par ce qu’ils pensaient être une touche exotique, fraîchement sortie des abysses de l’Orient fantasmé, introduite par le maître des lieux, ou un divertissement digne de Mowgli destiné à pimenter ces soirées ennuyeuses aux codes constipés entre aristocrates !

Achraf Hakimi embrassé par sa mère après la victoire des Lions de l’Atlas face à l’Espagne.Crédit: DR

Soufiane Boufal qui danse avec sa maman sur le terrain, Achraf Hakimi qui embrasse la sienne et Yassine Bounou qui porte son enfant dans ses bras, des joueurs qui lèvent le pouce pour signifier leur reconnaissance au Seigneur… autant de beaux gestes humains qui ont été scalpés par des commentaires venus tout droit des temps sombres.

La spontanéité tactile avec les proches est perçue non pas comme un équilibre du référentiel culturel, éducatif et éthique qui habite la vie de joueurs arrimés à leur époque et vivant la modernité sans complexe, mais comme l’illustration du caractère encore primitif de toute la nation marocaine et tous les peuples qui lui viennent en appui lors de cette Coupe du monde.

La guerre par d’autres moyens

Il y a sans doute une part de caricature à vouloir appliquer au football, en la détournant, la célèbre formule de Clausewitz, le théoricien militaire prussien, dans laquelle il considère la diplomatie comme la poursuite de la guerre par d’autres moyens.

Pour autant, force est constater que la Coupe du monde est un espace de compétition habité par l’imaginaire de la confrontation. Celle-ci porte, du point de vue symbolique, les marques d’une guerre ritualisée et civilisée, car policée et normée, et qui est vécue et préparée comme telle par des joueurs engagés, et des supporters rangés derrière leurs équipes.

Aussi paradoxal que cela puisse paraître, le football n’est pas un sport de combat. Il est toutefois doté d’un fort esprit guerrier. Une batterie lexicale, empruntée à la théorie du jeu aux forts encodages militaires, illustre cet esprit guerrier qui caractérise le terrain de foot et le football. On parle ainsi, et presque inconsciemment, de combativité, d’offensives, de contre-offensives, de jeu entre les lignes ennemies ou de lignes cassées, de domination, de possession, d’attaquants, de défenseurs, de capitaine, d’état de siège, les joueurs se pensent eux-mêmes comme des soldats engagés pour accomplir une mission sous le roulement des tambours, les fumigènes, les emblèmes d’un public qui en appelle à une effusion de buts (et non de sang) sur un terrain de foot qui s’apparente au champ d’honneur.

Cet esprit guerrier est d’autant plus exacerbé quand il s’agit de rencontres entre les équipes de nations dont les trajectoires historiques ont été jalonnées par d’affrontements militaires réels. C’est le cas des matchs des Lions de l’Atlas contre la Roja, la Selaçao ou les Bleus. Rien d’étonnant donc à ce que la mémoire collective et à ce que les épisodes historiques qui se sont stratifiés pour constituer le récit national marocain soient mobilisés pour donner une autre signification, sublimée, de l’engagement des joueurs et de la ferveur des supporters.

Le joueur de l’équipe nationale Achraf Hakimi lors du match contre la France en demi-finale de la Coupe du monde Qatar 2022 le 14 décembre 2022.Crédit: MAP

Sur les réseaux sociaux et les messageries comme WhatsApp, les Lions de l’Atlas sont comme téléportés par des visuels et des graphismes dans les épisodes d’un passé exalté pour rejouer un remake (footballistique) des épopées de l’empire chérifien contre l’Espagne ou le Portugal. Dans d’innombrables photomontages, les joueurs marocains ont été associés aux figures d’augustes rois du Maroc, comme Moulay Ismaïl connu pour son habileté stratégique militaire, et de la résistance du Rif marocain, qui ont tenu tête et infligé de cuisantes défaites aux conquistadors ibériques. Sur le stade de foot comme sur un champ de bataille, c’est d’une vanité aveuglante que de mépriser l’ennemi et de penser que la rencontre avec lui ne serait qu’une promenade de santé !

Cette mobilisation de la mémoire guerrière et sa mise au service du récit national à travers le football se sont aussi opérées du côté des adversaires des Lions de l’Atlas avec la même rengaine, les mêmes procédés iconographiques et la même charge émotionnelle. On y voit par exemple qu’en 2022, c’est le Coq français qui réduit au silence le Lion de l’Atlas comme en 732, lorsque le chef des Francs, Charles Martel, arrête une “armée arabe” au nord de Poitiers mettant, de fait, un terme aux incursions musulmanes en Aquitaine !

Les Lions de l’Atlas et le souci du travail en profondeur dans les politiques publiques

En sport comme en politique, le temps doit être employé avec subtilité. Sa gestion appliquée aux politiques publiques suppose de pouvoir conduire, en fonction des circonstances, deux mouvements. D’une part, la réactivité, autrement dit la prise en compte des impératifs de la célérité qui conduit à la mobilisation des dispositifs de gestion de crises par un déploiement intelligent de tous les acteurs sous l’égide d’un État puissant et planificateur. D’autre part, le souci du travail en profondeur.

Là où la réactivité peut s’apparenter à de la manœuvre tactique, le souci du travail en profondeur requiert une vision stratégique. Là où la réactivité peut être assimilée à un sprint, le souci du travail en profondeur, lui, a tout d’un marathon. C’est un travail de transformation, du temps long exigeant souffle, raffinement et dextérité. C’est un travail de visionnaires qui agissent loin des certitudes trébuchantes et des flonflons des communicants.

L’œuvre des Lions de l’Atlas, c’est aussi une expression de ce souci de travail en profondeur. Ses origines ne datent certainement pas de ce Mondial qatari. Elles remontent à un état des lieux présenté au roi Mohammed VI lui-même. Un état des lieux franc et sans détour. Il décrit un football marocain essoufflé, incapable de se projeter et surtout absent, deux fois de suite, de la Coupe du monde en 2002 et 2006.

Rien de plus périlleux du point de vue des politiques publiques que l’élaboration de diagnostics de complaisance. Par souci de ne pas froisser une autorité, ces diagnostics finissent, quand même, par trahir l’esprit de la responsabilité. Un diagnostic de complaisance nuit au bon fonctionnement de la chaîne de commandement, car il peut induire soit des réactions qui ne sont pas à la hauteur d’un dysfonctionnement, soit des remèdes inappropriés.

Ce diagnostic révèle que le Maroc ne dispose pas réellement de stratégie de formation d’où l’initiative royale de créer l’Académie Mohammed VI de football. Elle est dotée du statut juridique d’une association à but non lucratif. Son financement est assuré par le souverain lui-même et par des sponsors représentant les fleurons de l’économie marocaine. La nouvelle académie et le Centre national des sports Moulay Rachid vont constituer deux pôles d’excellence incontournables au profit du sport marocain. En un peu plus de dix ans, l’Académie est devenue une pépinière, fournisseur principal de l’équipe nationale, avec plusieurs joueurs issus de son programme de formation (Youssef En-Nesryi, Nayef Aguerd, Reda Tagnaouti et Azzedine Ounahi).

L’académie ne s’arrêtera pas là. Elle va se déployer dans deux directions. La première consiste à irriguer le territoire national. En bousculant les méthodes de travail et les mentalités au sein des clubs, elle instruit une nouvelle culture de l’agir. Elle devient ainsi un levier de développement dont le rôle deviendra plus stratégique encore avec la création, à la suite de l’exploit des Lions de l’Atlas au Mondial, de l’Office national des sports dont la direction est confiée à Fouzi Lekjaa. La seconde vise à bâtir un label Maroc du sport au niveau international. Plusieurs pays africains bénéficient déjà du savoir-faire du Maroc dans le domaine du football.

Des formations, pourtant très onéreuses au regard des installations et des équipements dont dispose le royaume, sont mises à disposition de ces pays gratuitement. Aussi, la politique engagée en matière de sport, et plus particulièrement de football, est manifestement inscrite dans une stratégie de soft power au spectre large. Après les banques, le transport aérien, le bâtiment, l’agriculture, la formation des imams, le football est destiné à promouvoir l’image du Maroc.

Mais il est une particularité de la structuration du pouvoir au Maroc qui joue un rôle clé dans cette idée du travail en profondeur : la monarchie. C’est une monarchie entourée d’hommes et de femmes de confiance, abreuvés à la culture de l’État, à la raison d’État. La monarchie a l’avantage et le privilège du temps. Elle est une matrice fondatrice. Le royaume est millénaire et il a accumulé savoir et savoir-faire politiques.

Le roi remet des ouissams royaux aux Lions de l’Atlas après leur prestation au Mondial 2022, le 20 décembre 2022 à Rabat.Crédit: DR

Au-delà de la personnification du pouvoir, le roi est surtout une institution qui gouverne avec une certaine idée de la politique. Il n’est soumis ni aux dictats d’un suffrage ni aux menaces d’une motion de censure. Son pouvoir est enfoui dans la société et se place volontiers au-dessus d’elle pour la régenter. Sa capacité d’être au-dedans et au-dessus lui donne une force particulière. C’est, sans doute, ces subtilités qui échappent aujourd’hui à beaucoup de chercheurs, commentateurs et observateurs restés prisonniers d’un essentialisme primaire, pour ne pas dire grossier.

Aussi, qu’il s’agisse de football, de la réintégration de l’Union africaine, de la gestion sécuritaire, du développement des pôles d’excellence (Tanger, Dakhla, Rabat, Casablanca…), du déploiement en Afrique, de la refondation de la politique en direction du Proche-Orient… le souci du travail en profondeur montre comment le roi gouverne et s’entoure d’hommes dotés d’un sens aigu de l’État.

En finir avec le défaitisme

Quelle est l’efficacité politique, économique, philosophique de ne voir toujours un pays comme le Maroc qu’avec l’œil d’un négativiste ? Sans doute aucune. L’exploit de la sélection nationale donne mille et une raisons qui laissent croire en la capacité du Maroc à surmonter les blocages. Mais la raison la plus essentielle à notre sens est celle qui a trait au moral d’un peuple.

Les Lions de l’Atlas ont montré une voie, celle de la capacité des peuples à se frayer leur propre chemin

Comme pour les troupes, le moral est (l’inépuisable) source d’énergie de toute volonté collective. La sélection nationale est arrivée, contre toute attente, en quatrième place de la compétition, suscitant non seulement la joie des Marocains des fins fonds du Rif aux lignes de défense tenues par les Forces armées royales, mais surtout le respect des nations, de la Malaisie aux États-Unis, de la Palestine au Sénégal. Même les régimes les plus aigris et rongés par une animosité à l’égard du Maroc n’ont pas été suivis par des pans entiers de leurs populations.

Les Algériens ont suivi avec passion l’épopée de Walid Regragui et ses hommes au Qatar.Crédit: DR

Au fil des victoires, de vieux complexes impérialistes se fissurent, à commencer par celui selon lequel un entraîneur ou une équipe européenne seraient, par nature, supérieurs. L’hymne officiel de la Coupe du monde de la FIFA au Qatar “Dreamers”, composé par RedOne, producteur maroco-suédois, qui n’est pas né de la dernière pluie, tout comme la participation très active, mais discrète, de hauts responsables marocains de la sécurité, à leur tête le directeur général de la DGSN, Abdellatif Hammouchi, qui, lui aussi, tel un autre sélectionneur dans une autre discipline, a choisi des commissaires et des officiers chevronnés pour sécuriser des stades lors de ce Mondial de football au Qatar, témoignent de ce savoir-faire marocain qui monte en puissance et qui s’exporte bien.

Les Lions de l’Atlas ont montré une voie, celle de la capacité des peuples à se frayer leur propre chemin, à se prendre en charge, à rassembler leurs potentialités, à agir avec méthode et discipline, dans l’ordre, et à fédérer autour d’un projet de société, autour d’un idéal commun.