Bientôt des drones sous la bannière du Polisario ? C’est l’annonce faite par le ministre de l’Intérieur de la RASD, Omar Mansour, lors d’une réunion en comité restreint en Mauritanie, et dont une vidéo a fuité sur les réseaux sociaux. Bluff ou annonce formelle, le flou persiste sur le sérieux de cette déclaration, formulée quelques jours seulement avant la publication du rapport sur le Sahara du secrétaire général des Nations Unies,Antonio Guterres.
Pas de déploiement à court terme
Car le Polisario ne cesse, depuis la sécurisation par les Forces armées royales (FAR) du passage de Guerguerat en 2020, de tenter d’imposer la narrative d’une guerre ouverte dans le Sahara. Ce, dans l’espoir d’entraver l’offensive diplomatique marocaine ainsi que l’adhésion de puissances étrangères au projet d’autonomie du Sahara mis en avant par le royaume comme l’option la plus sérieuse pour mettre fin au conflit.
Mais l’acquisition de drones par le Front est une option plausible, voire une simple question de temps, estime Nizar Derdabi, analyste en stratégie internationale, défense et sécurité et ex-officier de la Gendarmerie royale.
“À l’image des milices des Houthis et du Hezbollah, les milices du Polisario vont tôt ou tard se doter de drones. D’ailleurs, le ministre des Affaires étrangères Nasser Bourita a déjà condamné l’acquisition de drones armés par ces acteurs non étatiques grâce à l’appui de l’Iran”, explique-t-il.
Et d’ajouter : “Quant aux déclarations du Polisario qui se dit déjà prêt à mener des attaques contre le Maroc, je pense qu’il s’agit plutôt de propagande. S’ils avaient les drones et qu’ils étaient déjà suffisamment entraînés pour les piloter, ils s’en seraient déjà servi.”
En clair, d’un point de vue militaire, la logique serait de maintenir cet atout secret, puis de le dévoiler dans un coup d’éclat, comme lors de la guerre du Haut Karabagh entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan en 2020.
L’utilisation des drones kamikazes israéliens et Bayrakar turcs par l’Azerbaïdjan a complètement pris par surprise l’armée arménienne. “Quand on se dote d’une nouvelle capacité d’attaque, on ne prévient pas l’ennemi à l’avance. Car dans ce cas, on lui donne le temps de se préparer et on se prive de l’effet de surprise qui permet d’engranger des victoires sur le terrain et de créer le doute et la psychose dans les rangs de l’ennemi”, souligne Nizar Derdabi.
Shahed-136 ou Samad-3 ?
L’utilisation de drones par des mouvements armés s’est largement répandue lors de la guerre civile syrienne : les milices ont rapidement compris leur potentiel et n’ont pas hésité à bricoler des modèles civils, d’abord utilisés pour la reconnaissance et la surveillance, avant que l’État islamique n’utilise des “nuées” de drones kamikazes pour tenter de repousser les troupes irakiennes.
Mais l’utilisation des drones par des groupes paramilitaires a réellement décollé sur le terrain yéménite, où les Houtis soutenus par l’Iran ont mis au point des modèles sophistiqués, capables d’atteindre des cibles en Arabie Saoudite et aux Émirats arabes unis.
Selon la petite communauté d’experts marocains dans la défense, si le Polisario recevait des drones de fabrication iranienne, il y aurait de grandes chances que ce soit le modèle Shahed-136, récemment utilisé sur le théâtre d’opérations ukrainien par l’armée russe.
Produit par l’Iran Aircraft Manufacturing Industrial Company (HESA), le Shahed-136 s’apparente à un deltaplane mesurant 3,5 mètres de long, pour un poids de 200 kilos. L’appareil est équipé d’une charge explosive et peut effectuer une attaque de précision. Il peut être lancé depuis un camion, voire tiré en salves, et dispose d’une vitesse de croisière de 185 km/h.
“Ce sont des drones kamikazes dont l’efficacité n’est pas optimale dans un conflit de haute intensité. Par contre, le drone Samad-3, développé et assemblé par les Houthis avec un soutien technologique iranien, a montré son efficacité lors d’une attaque contre les infrastructures aéroportuaires d’Abu Dhabi en janvier 2022”, explique Nizar Derdabi.
Ainsi, en plus de disposer d’une large autonomie de vol (plus de 1000 km), le Samad a réussi à déjouer la couverture radar et les huit sites de défense anti-aérienne protégeant l’émirat.
“Si le Polisario arrive à acquérir et maîtriser l’utilisation de drones à long rayon d’action, il essaiera d’attaquer des cibles à forte valeur symbolique”
“Si les milices du Polisario ont en leur possession de tels drones, elles pourraient cibler directement des villes du sud du royaume. Viser le mur de défense ou des unités des FAR à proximité n’aurait pas autant d’effet que de cibler des villes et leurs populations”, avance l’expert.
Et de souligner : “Si le Polisario arrive à acquérir et maîtriser l’utilisation de drones à long rayon d’action, il essaiera d’attaquer des cibles à forte valeur symbolique afin que le retentissement médiatique serve sa propagande. Mais viser des cibles militaires permet aussi de neutraliser des capacités militaires adverses.”
Quelles contre-mesures mettre en place ?
Si l’utilisation de drones par les séparatistes relève encore de l’hypothèse, il est en revanche certain que les stratèges et tacticiens des FAR ont déjà étudié la question et prévu des contre-mesures à déployer en cas de besoin.
Le Maroc dispose de systèmes de défense anti-aériens capables de contrer différents types de menaces (avions, missiles, drones), à l’image du système israélien Barak MX, et devrait bientôt acquérir le système américain Patriot, sans oublier les rumeurs qui évoquent l’acquisition du Skylock Dome israélien.
Du matériel qui est certes capable de contrecarrer des attaques de drones de grande envergure, mais dont le déploiement sur l’ensemble du territoire marocain serait coûteux.
Les FAR peuvent également combiner systèmes anti-aériens et maillage en profondeur grâce à des systèmes portatifs de défense aérienne à base de missiles sol-air légers, ou MANPADS, de manière à disposer d’une matrice de défense multicouche. Quoique, selon les retours d’expérience d’Ukraine, certains MANPADS, notamment les Stinger américains, sont impuissants face aux Shahed-136, notamment en cas d’attaque nocturne.
“La solution la plus efficace, pour moi, est d’acquérir plus de moyens de guerre électronique afin de couper les communications entre les drones et leur pilote : brouiller les signaux et la liaison satellite les neutraliserait. Et l’avantage de la guerre électronique, c’est qu’elle a un rapport coût/efficacité particulièrement favorable par rapport à d’autres systèmes. Les FAR ont d’ailleurs intégré depuis longtemps ces différents moyens d’action, qu’elles maîtrisent déjà”, assure Nizar Derdabi.