L’affaire M’jid El Guerrab, épilogue d’un feuilleton politico-judiciaire

Député français sortant de la circonscription du Maghreb et de l’Afrique de l’Ouest, M’jid El Guerrab a finalement renoncé à se représenter aux législatives en juin. Condamné pour l’agression du socialiste Boris Faure en première instance, la majorité présidentielle a refusé de l’investir. Désormais soutien d’Elisabeth Moreno, son retrait conclut un mandat mené tambour battant, marqué par un procès et des calculs politiques.

Par

M'jid El Guerrab, député de la 9e circonscription des Français établis hors de France, à l'Assemblée nationale, en novembre 2017. Crédit: Martin Bureau / AFP

Tout était prêt. Les affiches, l’équipe et même le local de campagne. Si bien que lorsque l’on pénètre dans celui-ci, samedi 14 mai, on ne serait pas surpris que M’jid El Guerrab annonce sa volonté de rempiler. Au dernier étage d’un vieil immeuble du boulevard d’Anfa, à Casablanca, les photos disposées sur les quatre murs vantent le bilan du député et font croire à l’annonce imminente d’une candidature.

C’était d’ailleurs sa volonté première. Mais si M’jid El Guerrab a réuni ses soutiens et des journalistes ce week-end-là, c’est pour finalement annoncer le contraire. Le député sortant ne se représentera pas à sa propre succession, comme il l’avait laissé entendre et voir depuis plusieurs semaines.

Retrait d’union

Absolument rien à voir avec sa condamnation judiciaire, veut d’abord faire croire ce stratège politique plutôt doué dans l’exercice. Non, son retrait est un geste “d’union. Prenant acte qu’il n’a pas été investi par la majorité présidentielle, il choisit de se retirer au profit de l’heureuse élue, la ministre macroniste Elisabeth Moreno, afin de “conserver cette circonscription dans le giron de la majorité”, plaide-t-il. Car il n’y a “rien de pire que la division”.

à lire aussi

Et M’jid El Guerrab veut sortir la tête haute. Le point presse tourne donc à la réunion-bilan des actions de son quinquennat. Un livret en papier glacé détaille l’hyperactivité du presque quarantenaire, que tout le monde a pu expérimenter dans son camp. “Tu nous as épuisés, on est contents de te voir partir !” ironise Jacques, assis au 2e rang. El Guerrab lui-même s’excuse d’avoir privé de vacances et de week-ends ses attachés parlementaires.

Le point presse tourne à la réunion-bilan des actions de son quinquennat, mettant en avant l’hyperactivité du député, que tout le monde a pu observer dans son camp.Crédit: AFP

La mécanique est rodée pour éviter le sujet qui fâche. Multipliant les hommages et les mercis aux instances et élus, il détaille en “5 S tout ce qu’il a accompli durant son quinquennat : Scolarité, Santé, Sécurité, Service public consulaire, Sentiment d’appartenance. Et insiste sur le fait que c’est “la seule majorité à avoir augmenté les crédits consulaires, à avoir sauvegardé l’AEFE dans sa pire période”. Le clou du spectacle : une ovation de la salle, les yeux mouillés du député.

La démarche est sans doute sincère, celle d’un homme qui a pris à cœur sa mission et l’a menée jusqu’au bout. Mais comment se défaire d’une décision de justice tombée deux jours plus tôt qui le condamne pour agression ?

Un bilan peut en cacher un autre

M’jid El Guerrab est bien contraint d’aborder le sujet en fin de conférence. Il n’esquive pas, mais se retranche derrière “la sphère privée”. En première instance, le tribunal l’a condamné à trois ans de prison dont un ferme, et deux ans d’inéligibilité pour l’agression de Boris Faure, ancien premier secrétaire du Parti socialiste (PS) de la Fédération des Français de l’étranger. Son avocat a interjeté appel. “Je ne considère pas qu’il y ait un lien avec cet événement, que j’assume, et mon mandat de député. Je refuse donc l’inéligibilité, explique le député. Le tribunal en a jugé autrement.

“Je ne considère pas qu’il y ait un lien avec cet événement (l’agression), que j’assume, et mon mandat de député. Je refuse donc l’inéligibilité”

M’jid El Guerrab

L’épisode remonte à 2017. C’était la fin de l’été à Paris, rue Broca. Par hasard, M’jid El Guerrab croise Boris Faure. Les deux se connaissent bien et cultivent une rancœur réciproque. El Guerrab ne digère pas que Faure lui ait refusé l’investiture du PS pour les législatives de la 9e circonscription, alors qu’il était membre à l’époque du parti de la rose.

La discussion est donc loin d’être chaleureuse. Le ton monte, on se tient par le bras, puis ça dégénère. Casque de scooter dans la main droite, M’jid El Guerrab s’en sert pour frapper à la tête son interlocuteur. Deux coups, trois jours en réanimation. Le pronostic vital de Boris Faure est un temps engagé, victime d’un traumatisme crânien et d’une hémorragie cérébrale.

Repousser le procès

L’incident, d’“une violence extrêmeselon le tribunal, intervient seulement quelques mois après l’élection d’El Guerrab. Le Franco-Marocain, originaire d’Aurillac dans le Cantal (centre de la France), avait en effet finalement réussi à se faire élire, mais sous l’étiquette En Marche, parti d’Emmanuel Macron qu’il avait rejoint après le refus du PS de l’investir. Il s’était opposé à l’époque à une autre candidate “marcheuse”, Leïla Aïchi, qu’il avait réussi à se faire désavouer par le parti en toute fin de campagne, lequel mettait en cause ses déclarations pro-Polisario.

Le procès de l’ex-député LREM M’jid El Guerrab, jugé pour avoir frappé le leader socialiste Boris Faure avec un casque en 2017, a rendu son verdict le 12 mai 2022.Crédit: Eric Feferberg / AFP

Le député va donc devoir traîner cet acte tout le long de son mandat. Mais à l’époque, la question est déjà de savoir s’il arrivera au bout. Outre les recours en annulation de l’élection qui ne donneront finalement rien, le risque principal est de voir le député condamné à de l’inéligibilité. Présumé innocent, il quitte le parti présidentiel, mais ne démissionne pas. Et son avocat joue la montre : le procès se tenant finalement en octobre 2021, il obtient un renvoi au 7 avril 2022, un mois avant les investitures.

La date arrive. Un autre renvoi demandé est refusé. Le tribunal juge bien l’affaire et l’audience est animée entre les maîtres Patrick Klugman et Antoine Vey, respectivement avocats de Boris Faure et M’jid El Guerrab. Ce dernier avait également déposé plainte, accusant Faure de l’avoir d’abord agressé. Le tribunal condamne finalement le député le jeudi 12 mai, soit 25 jours avant le 1er tour des législatives à l’étranger.

Se lancer quand même

M’jid El Guerrab est à ce moment-là déjà en campagne. Coordinateur du Comité pour la réélection d’Emmanuel Macron dans la circonscription, il dit lui-même avoir “mouillé le maillot pour le président, en n’oubliant pas que ce travail de terrain pourrait lui être aussi favorable aux législatives. C’est qu’il doit asseoir son implantation locale pour espérer pouvoir l’emporter sans l’étiquette de la majorité qui lui est logiquement refusée, dès le verdict du procès.

À ce moment-là, son objectif est donc d’y aller quand même, sans l’investiture. Problème : celle-ci est trustée par d’autres candidats, sans ennuis judiciaires. M’jid El Guerrab s’applique donc minutieusement à descendre ses concurrents afin que le parti n’investisse personne. Les coups de fil fusent pour bloquer Rachida Kaaout, ou Mehdi Reddad. En direction notamment d’un cadre de la majorité dont il est proche, Stanislas Guerini. Délégué général d’En Marche (désormais Renaissance), cet ancien du PS plaide sa cause à Paris pour “geler la circonscription.

M’jid El Guerrab, Ahmed Eddarraz, Mehdi Reddad, Rachida Kaaout.

Mais ses soutiens s’affaissent. La médiatisation de l’affaire ne peut conduire aucun cadre à le soutenir, même indirectement. Il y aura donc bien un candidat investi par la majorité. Ni Ahmed Eddarraz, intime de Brigitte Macron, ni Mehdi Reddad affilié à Horizons, ne sont choisis. Il faut un poids lourd pour rassembler et gagner dans cette 9e circonscription en proie à être récupérée par la gauche unie. Et tant pis s’il ne connaît pas tout à fait le terrain.

Derrière la ministre

Le choix se porte donc sur Élisabeth Moreno, ministre déléguée chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes. La Franco-Cap-Verdienne a tout de même le mérite d’être largement implantée en Afrique et d’avoir vécu au Maroc. Pour El Guerrab, c’est une nouvelle mitigée. Ayant fait appel, il peut maintenir sa candidature. Mais celle-ci serait de plus en plus polémique, a fortiori s’il persistait en dissident face à une ministre.

Emmanuel Macron et Élisabeth Moreno, le 8 mars 2022.Crédit: Ludovic Marin / POOL / AFP

Le calcul un temps envisagé est alors plus fin. Négocier un poste de suppléant derrière Élisabeth Moreno en lui faisant profiter de son réseau — solide vu son implantation depuis cinq ans. Le pari ? Que Mme Moreno soit nommée dans le prochain gouvernement afin que M’jid El Guerrab, suppléant, prenne sa place à l’Assemblée nationale. Il faut suivre dans les jeux politiciens…

Des discussions ont lieu, ça ne donne finalement rien. À 22 h 11, vendredi 13 mai, la candidature d’El Guerrab apparaît bien sur le procès-verbal. Peu avant, Boris Faure déclarait que l’intéressé “aurait été reçu à l’Élysée par Pierre Herrero (conseiller parlementaire du président, ndlr)”. Une information non confirmée, mais c’est bien ce même jour, la veille de l’annonce, qu’il renonce.

Le Zidane aurillacois

Lui aurait-on conseillé vivement de le faire ? Le député assure désormais “soutenir absolument (la) candidatured’Elisabeth Moreno. Ses plus proches l’ont appris sur le tard, et ont du mal à masquer une certaine déception : “Je respecte son choix quoi qu’il fasse. Je pense que s’il y avait été, il aurait gagné facilement, dit Aïda Jemmali, conseillère des Français de l’étranger et proche de M’jid El Guerrab. Mouhcine Benlhassen avait même démissionné de son poste de référent dEn Marche Maroc pour se lancer en indépendant avec le député.

“Quand on insulte les Marocains, je peux mal réagir”

M’jid El Guerrab

Devant la presse, M’jid El Guerrab fait tout de même son mea culpa en repoussant le complotisme d’un chevauchement malvenu entre les calendriers judiciaire et électoral : “J’ai fait la plus grosse bêtise du monde. La seule personne à qui j’en veux, c’est moi.” À Rabat le lendemain en privé, dans un “meeting de remerciements”, le discours est légèrement différent : “Quand on insulte les Marocains, je peux mal réagir, plaide le député à qui on trouve un surnom dans la foulée, le Zidane aurillacois. Coup de boule, coups de casque, même combat ?

L’appel de la décision de justice repousse finalement l’épilogue. Décidé à désormais s’occuper de sa défense, M’jid El Guerrab confie qu’il va apporter des éléments qu’il ne “pouvait pas dire jusqu’ici”. Politique dans la chair, son retour à “la vie civile pourrait toutefois n’être qu’éphémère. Les indices sont en tout cas là, à l’instar de la réponse du député encore élu jusqu’au 19 juin à son poulain surnommé “le Petit M’jid” : “Ne m’enterrez pas trop vite.