Les témoignages se suivent et se ressemblent. En ce mois d’avril, les Marocains subissent de plein fouet la flambée des prix. Outre les prix de produits de première nécessité, ceux des hydrocarbures impactent lourdement leur pouvoir d’achat.
Ahmed*, 41 ans, est l’un d’entre eux. Employé dans une entreprise privée à Rabat, il utilise sa voiture tous les jours pour se rendre à son lieu de travail. Sauf que la hausse des prix des carburants l’a contraint ces dernières semaines à troquer son véhicule contre une place dans un grand taxi.
Selon ce père de famille, “ça nécessite beaucoup plus de temps mais revient finalement moins cher. Le plein d’essence me coûtait 370 dirhams par semaine. Aujourd’hui, je dois débourser près de 500 dirhams, soit 130 dirhams de plus par semaine. Cela revient à 520 dirhams de frais supplémentaires par mois”.
Face à cette flambée des prix, Ahmed, à l’instar de tous les automobilistes du pays, ne peut pas compter sur le soutien de l’Exécutif pour protéger son pouvoir d’achat.
Akhannouch n’a pas de “baguette magique”
“Si vous allumez la télévision sur n’importe quelle chaîne internationale, vous allez constater que tout le monde souffre des prix des hydrocarbures, qui ont drastiquement augmenté en raison des tensions palpables entre différents pays”, a justifié Mustapha Baitass, porte-parole de l’Exécutif, à l’issue d’un Conseil de gouvernement tenu le 7 avril.
Alors que plusieurs pays ont décidé d’intervenir en faveur du pouvoir d’achat de leurs citoyens, le cabinet de Aziz Akhannouch a opté pour “le choix clair de soutenir les transporteurs”, insiste le ministre délégué chargé des Relations avec le parlement, en référence au processus de soutien aux professionnels du secteur du transport, lancé par l’Exécutif le 23 mars dernier.
Un total de 307 millions de dirhams a été accordé à ce jour au transport routier pour aider les professionnels du secteur à faire face à la flambée des prix des carburants. Et les automobilistes ? Le porte-parole du gouvernement tranche net : “À ceux qui roulent dans une voiture d’assumer son coût.” Dont acte.
Le lendemain, le gouvernement avait une nouvelle opportunité de rectifier le tir. Une occasion manquée, tant les trois leaders de la majorité, réunis le 8 avril au siège du PAM après l’ouverture de la deuxième session de l’année législative, se sont contentés de justifier la flambée des prix et de rappeler les mesures prises en faveur des professionnels.
A commencer par le Chef du gouvernement et président du RNI, Aziz Akhannouch : “Les circonstances ne sont pas ordinaires. Il existe des problèmes d’approvisionnement en matières premières à l’échelle mondiale, ce qui a engendré une hausse des prix, au niveau international, de plusieurs matières et produits, notamment l’énergie, les céréales et le secteur du BTP”, déclare-t-il aux micros des médias.
Et d’ajouter que son gouvernement ne dispose pas de baguette magique pour résoudre tous les problèmes, bien qu’il essaie de “gérer les priorités dictées par la crise en agissant selon les priorités et les urgences”.
Même son de cloche du côté de Nizar Baraka, ministre de l’équipement et secrétaire général du Parti de l’Istiqlal : “Nous sommes conscients des circonstances difficiles que vit le pays (…) nous sommes aussi conscients que plusieurs familles pauvres et de la classe moyenne ont été touchées par cette crise (…) Le gouvernement fera de son mieux en vue d’atténuer les répercussions de cette crise sur les citoyens et sur les entreprises marocaines, les PME en particulier.”
D’après lui, l’Exécutif tente de “maintenir les investissements publics afin de promouvoir la création d’emplois en faveur de la jeunesse marocaine malgré la crise”.
En attendant la paix…
Trois jours plus tard, les mêmes éléments de langage ont été utilisés par le Chef du gouvernement face aux députés de son parti. Selon nos informations, les parlementaires du RNI ont partagé le ftour, le 11 avril, au domicile de Rachid Talbi Alami, président de la Chambre des représentants, à Rabat, en présence de Aziz Akhannouch.
Une occasion pour le président du RNI de réitérer, devant un auditoire conquis, que le gouvernement est déterminé à poursuivre la mise en œuvre de son programme malgré la conjoncture actuelle difficile, rapportent nos sources. Et de réaffirmer que l’Exécutif intervient à chaque fois qu’un secteur est impacté.
Il en veut pour preuve le plan d’urgence pour le soutien du tourisme (2 milliards de dirhams), le soutien des transporteurs et le programme exceptionnel lancé par le souverain pour lutter contre les répercussions de la sécheresse sur le monde agricole (10 milliards de dirhams). Face aux élus de son parti, Aziz Akhannouch assure aussi que la conjoncture actuelle “n’empêche pas le gouvernement d’assumer sa responsabilité selon les capacités que lui permet le budget de l’État”.
Des propos qui irritent les formations de l’opposition, à commencer par le PPS. “Les déclarations de la majorité ne comportent que des termes pour justifier et prouver cette tendance en invoquant les contraintes et les perturbations internationales”, constate Rachid Hammouni, chef du groupe parlementaire du PPS à la chambre basse.
Lui attendait pourtant que l’Exécutif annonce “un plan clair et ambitieux, des mesures réalistes, concrètes et urgentes pour faire face à la situation difficile, marquée par la flambée des prix des carburants, la détérioration du pouvoir d’achat des ménages, la faillite d’un grand nombre d’entreprises et le licenciement de nombreux travailleurs”. Il n’en sera rien.
“Comment se fait-il que la majorité ne parle pas des solutions proposées pour faire face à la hausse des prix des carburants et des produits alimentaires ? S’agit-il d’un aveu d’incapacité ou d’un autre handicap lié à un conflit d’intérêt ?”
Suffisant pour alimenter les interrogations du député de Boulemane : “Comment se fait-il que la majorité ne parle pas des solutions proposées pour faire face à la hausse des prix des carburants et des produits alimentaires ? S’agit-il d’un aveu d’incapacité ou d’un autre handicap lié à un conflit d’intérêt ? Ou encore parce que le gouvernement considère que son rôle se limite seulement au diagnostic de la situation tout en abandonnant les citoyens à faire face seuls à leur propre sort ?”
Des questions restées selon lui sans réponse, comme celle sur la position du gouvernement concernant la revendication relative au plafonnement des prix des carburants. “Tous leurs engagements sont tout simplement partis en fumée”, juge Rachid Hammouni. Et de soutenir : “Les déclarations de la majorité lèvent le voile sur son incapacité manifeste à faire face à la situation difficile, à saisir la gravité de l’étape et à prendre les mesures appropriées pour soutenir le pouvoir d’achat des citoyens.”
…profitons de la guerre ?
La faute à la conjoncture mondiale ? “Il est certain que cette crise est principalement due au contexte international, marqué par la reprise de l’activité économique après la pandémie du Covid-19 et la crise russo-ukrainienne”, répond l’Observatoire du travail gouvernemental dans un policy paper sur la hausse des produits pétroliers.
Mais encore ? “On ne peut pas dire que la crise actuelle des prix des carburants au Maroc soit tributaire des facteurs internationaux. Un ensemble de décisions et de mesures que le royaume a prises au fil des années a formé un environnement propice à l’exacerbation de cette crise, à l’intensification de son impact sur le tissu économique national”, admet-il.
La libéralisation des prix des carburants est pointée du doigt, tant cette décision s’est faite, selon l’Observatoire, “sans aucune prévision d’avenir, sans aucune planification préalable, sans impliquer les différentes parties, sans établir de mécanismes réels et clairs de concurrence entre les différents acteurs du secteur, et sans aucun effort d’investissement dans les infrastructures de stockage”.
L’arrêt “injustifé” de la raffinerie de pétrole la Samir, dotée d’une grande capacité de stockage, y est également pour beaucoup. “Le système fiscal déséquilibré et le système juridique contourné qui encadre la vente et la distribution des hydrocarbures ont soumis le pays aux fluctuations du marché international, le rendant presque incapable de faire face à une crise d’urgence dans la région”, déplore l’Observatoire.
Un constat partagé par Abdellah Bouanou, chef du groupement parlementaire du PJD, qui avait présidé une mission d’information sur les prix des carburants en 2018. “Les facteurs extérieurs peuvent expliquer la flambée des prix à l’international mais ne peuvent pas en faire autant pour la hausse constatée sur le marché national”, soutient l’ancien président de la commission des finances. “Cette hausse des prix au Maroc n’a d’autres justifications que la cupidité et l’avidité des opérateurs”, dénonce-t-il.
“Le prix du baril est à 100 dollars à Rotterdam, ce qui signifie que nous achetons le gasoil à 9 dirhams le litre. Si on ajoute à ce prix les différents coûts du transport, du stockage et des taxes, qui ne dépassent pas 3 dirhams, le prix du gasoil devrait être entre 11 et 12 dirhams”
Le cadre du parti de la lampe va même jusqu’à accuser les compagnies pétrolières de “vampiriser le porte-monnaie des Marocains”. Chiffres à l’appui, le député s’explique : “Le prix du baril est à 100 dollars à Rotterdam, ce qui signifie que nous achetons le gasoil à 9 dirhams le litre. Si on ajoute à ce prix les différents coûts du transport, du stockage et des taxes, qui ne dépassent pas 3 dirhams, le prix du gasoil devrait être entre 11 et 12 dirhams.” Pourtant, les prix affichés dépassent la barre des 14 dirhams le litre, ne reflétant aucunement le repli des cours du pétrole observé récemment sur les marchés internationaux.
Pour Abdellah Bouanou, cette situation n’aurait pas été possible sans l’aval du gouvernement, ajoutant que “le Chef du gouvernement est concerné directement par cette hausse des prix, tant Aziz Akhannouch en est le premier bénéficiaire et le premier investisseur du secteur”, en référence à Afriquia, leader du marché (29%) et filiale de la holding familiale Akwa qu’il dirigeait jusqu’à sa nomination à la tête de l’Exécutif, avant d’entamer “un processus immédiat de retrait de toute gestion”, précisait un communiqué publié en septembre 2021.
L’urgence de l’action
Que faire alors ? “Les solutions sont largement connues mais nécessitent une réelle volonté politique, une capacité réformatrice et une détermination à moderniser le secteur énergétique marocain et à déconstruire l’économie de rente qui y prévaut”, explique Mohamed Benmoussa, économiste et ancien membre de la Commission spéciale sur le nouveau modèle de développement.
Aziz Akhannouch profiterait-il de son grand oral, prévu le 18 avril à l’hémicycle, pour en proposer quelques-unes ? Rien n’est moins sûr. Pour autant, les députés, tous partis confondus – y compris ceux de la majorité -, sont décidés à interroger le patron de l’Exécutif pendant 90 minutes sur “la stratégie économique générale face aux circonstances exceptionnelles actuelles”.
L’intervention du Chef du gouvernement intervient dans un climat tendu. Le 11 avril, la Fédération nationale des propriétaires, commerçants et gérants de stations-service au Maroc annonce qu’elle s’apprête à décréter une grève nationale en protestation contre la flambée inédite des prix des carburants et “l’indifférence” du ministère de tutelle.
“L’augmentation vertigineuse du chiffre d’affaires du fait de la flambée des prix des carburants ne reflète aucunement la réalité des bénéfices des propriétaires de stations-service, étant donné que les marges réalisées sont fixes quel que soit le prix de vente aux consommateurs”, soutient la Fédération, demandant une exonération de la cotisation minimale, dont le montant est calculé sur la base du chiffre d’affaires.
Le même jour, la Fédération des distributeurs de gaz butane de la région Fès-Meknès annonce, elle, une grève de 48 heures, les 18 et 19 avril, contre la hausse vertigineuse du prix du gasoil. “Ces hausses des prix menacent la paix sociale. Au gouvernement d’intervenir pour mettre fin à cette avidité des compagnies pétrolières, en prenant les mesures et décisions nécessaires qui sont possibles”, alerte Abdellah Bouanou. Il y a urgence.
* Le prénom a été modifié