Au rythme d’un réchauffement climatique dont les effets se font sentir de manière palpable dans les différentes contrées du globe, de plus en plus de pays se retrouvent en situation de pénurie extrême en eau. En 2018, le Cap, deuxième ville d’Afrique du Sud et parmi les cités les plus industrialisées du continent, décrétait un rationnement inédit de la précieuse ressource suite à une sécheresse record.
La Tunisie lui a emboîté le pas quelques semaines plus tard avec les mêmes mesures à effet immédiat, perturbant nombre de secteurs économiques vitaux, dont l’agriculture et le tourisme. Mais ce sont sans doute les récents événements en Algérie qui ont fait couler le plus d’encre. Comment ce pays de 42 millions d’habitants, doté de 1000 km de littoral et de gigantesques réserves d’eau souterraines dans ses régions désertiques n’a-t-il pu prévoir et se prémunir de la catastrophe ?
Les signaux étaient pourtant là, plusieurs années de sécheresse successives et d’innombrables incidents localisés d’approvisionnement en eau lors des étés 2019 et 2020 ont fini par sérieusement alarmer l’opinion publique en mars 2021, puis par occuper une bonne partie des médias du pays pendant le printemps qui a suivi. En juin de la même année, le pays tout entier se mettait en état d’urgence, les coupures ont même gagné la capitale Alger et les images des barrages et des lits de rivière asséchés finissaient de dépeindre cette actualité macabre.
Mieux vaut prévenir
Cet état de fait ne peut être expliqué par le seul coupable désigné, le réchauffement climatique. Bien entendu, des températures plus élevées et des précipitations plus éparses et moins régulières finissent par réduire l’eau disponible en surface. C’est un fait, mais dans des pays en stress hydrique chronique, la gestion de l’eau est tout aussi importante que sa disponibilité.
“Dans des pays en stress hydrique chronique, la gestion de l’eau est tout aussi importante que sa disponibilité”
Il s’avère que dans le cas de l’Algérie, 80 % de la réserve d’eau des barrages serait en fait de la vase, dont une partie s’est solidifiée au fil d’années de sédimentation. Ce phénomène bien connu dans la vie de ces structures est en général évité grâce à une prévision de maintenance et de dragage réguliers des lits des lacs artificiels de rétention.
Les politiques publiques ont aussi leur part de responsabilité, et quelle part ! La grande crise de l’eau du début des années 2000 était pourtant censée produire un déclic : de nombreux investissements ont été effectués pour pallier les besoins croissants de la population et des industries. On estime que le total des investissements a dépassé les 50 milliards de dollars, mais l’impact sur le terrain est resté limité malgré les fonds engloutis.
Entre les mauvais choix de technologies de dessalement d’eau de mer et la gestion hasardeuse des ressources et des fonds, les mesures qui auraient pu être prises pour éviter la situation actuelle ont échoué. À cela s’ajoute la limite naturelle du relief algérien, qui a vite été saturé, pour le choix d’emplacements des barrages de rétention.
Le cas algérien est un véritable cas d’école pour le Maroc. Les différences entre les deux pays sont certes importantes : sur le plan géographique d’abord, plusieurs cours d’eau prennent leur source dans les sommets de l’Atlas et terminent leur course dans le littoral du pays, permettant ainsi au Maroc de contrôler toute “la chaîne d’évolution” naturelle de l’eau de surface.
Une goutte d’avance pour le Maroc
Sur le plan politique, Le Maroc a anticipé depuis des décennies la gestion de l’eau en lançant régulièrement des projets de rationalisation et de prévision de la ressource hydrique. La politique des barrages entamée dès 1961 assure au royaume une forte indépendance hydrique et une répartition homogène, du moins dans la moitié nord du pays. Plusieurs plans de rationalisation des ressources en eau du pays ont été lancés avec plus au mois de réussite.
Le dernier en date, le programme national d’approvisionnement en eau potable et d’irrigation 2020-2027, doté à terme d’une enveloppe de près de 6 milliards d’euros (7 % du PIB), témoigne de la prise de conscience de l’exécutif quant à l’avenir très sombre qui attend le Maroc s’il ne préserve pas cette ressource vitale.
Toutefois, à l’instar du voisin de l’est, c’est la gestion de la ressource au quotidien qui pose un défi majeur. En effet, 80 % de l’eau consommée chaque année sert à l’irrigation de l’agriculture dans le pays. Si le Maroc a fait le choix de l’agriculture comme levier économique de prédilection, assurant ainsi une solide sécurité alimentaire, on est en droit de se demander si le pays a les capacités hydriques suffisantes sur le long terme pour produire des aliments extrêmement voraces en eau.
“Si le Maroc a fait le choix de l’agriculture comme levier économique de prédilection (…), on est en droit de se demander si le pays a les capacités hydriques suffisantes sur le long terme”
À titre d’exemple, 1 kg d’avocats nécessite pas loin de 2000 litres d’eau, une vache nécessite entre 70 et 100 litres par jour. Sachant qu’il faut environ trois ans pour obtenir 200 kg de viande bovine, cela fait entre 76.650 et 109.500 litres d’eau. Le débat peut s’élargir à d’autres produits comme la pastèque, produite en plein désert, la tomate, la mangue, les agrumes, etc., dont la production sert en partie à l’exportation et s’apparente donc à exporter l’eau du pays vers les marchés européens capables de produire les mêmes aliments à moindre coût écologique.
Pourtant, certaines de ces denrées inexistantes en quantités industrielles au Maroc au milieu des années 1990 (avocats, mangues, etc.), ont quasiment transformé les paysages plats du Gharb depuis 10 ans sans que l’on s’intéresse à l’avenir écologique de cette région soumise à une surexploitation de sa nappe phréatique.
Dans la Saïs, sous l’effet de la surexploitation agricole, la nappe phréatique primaire, renouvelable théoriquement d’année en année, n’existe plus par endroits, les cours d’eau de surface annihilés par le pompage sauvage ou l’installation de barrages ici et là. Dans ce qui fut jadis “le château d’eau du Maroc”, l’accès à l’eau pour les agriculteurs se fait désormais en forant des sondes allant souvent à plus de 150 mètres de profondeur pour atteindre les eaux souterraines formées il y a plusieurs millénaires et qui ne se renouvelleront plus. Autant dire que ce procédé, en dehors de son coût écologique incalculable pour les générations futures, présente un coût financier conséquent et qui exclut de facto le petit agriculteur, pierre angulaire de la structure sociale des campagnes marocaines.
Villes vertes, mais pas écologiques
Sur un autre volet tout aussi significatif, les villes marocaines ne sont pas en reste. Les stratégies de viabilisation des artères des grandes villes paraissent fleurir depuis 2003, comme le montre la rénovation urbaine de Marrakech cette année-là. Mais quelqu’un s’est-il posé la question du coût écologique de ces transformations sur le long terme ?
“Quel est l’intérêt d’installer un palmier tous les dix mètres sur des avenues de plusieurs dizaines de kilomètres ? Est-ce pour ombrager les trottoirs ?”
Combien de litres d’eau au centimètre carré sont engloutis dans les hectares de gazon qui ornent les artères de Rabat ou de Tanger ? Quel est l’intérêt d’installer un palmier tous les dix mètres sur des avenues de plusieurs dizaines de kilomètres ? Est-ce pour ombrager les trottoirs ?
Il aurait fallu penser à réintroduire des espèces endémiques connues pour leur canopée à même de réduire significativement la température du bitume en été, comme le platane, le pin méditerranéen ou encore le caroubier ou l’eucalyptus qui ont fait les beaux jours des villes “fournaises” comme Fès ou Meknès pendant le protectorat et dont les rares arbres qui ont résisté au massacre en règle des autorités constituent encore les derniers espaces ombragés des villes marocaines.
Enfin, reste le plus grand coupable de la gabegie d’eau que connaît le pays : le manque de sensibilité et de discernement des citoyens et des pouvoirs. Il suffit de se promener dans n’importe quels quartier, ville ou village pour être témoin de scènes de gaspillage d’eau : conduits éclatés qui se déversent ici et là, robinets qui coulent des heures ou des jours durant, citoyens qui lavent le trottoir ou leur véhicule à grande eau…
Sans oublier des promoteurs immobiliers ou touristiques qui attirent leurs futurs clients avec des golfs éphémères qui engloutissent des centaines de milliers de m3 à l’année le temps de la conclusion des ventes et finissent par être abandonnés faute d’adhérents et de moyens financiers et hydriques pour les entretenir à long terme.
Au Maroc, nous sommes en sursis grâce à une année 2021 exceptionnelle en précipitations, du coup, le débat sur la sécheresse et la gestion de l’eau est passé aux oubliettes. Il ne tardera pas à ressurgir l’année prochaine ou l’année d’après quand le ciel se montrera moins clément.
D’ici là, nous devrions apprendre les leçons du cas d’école algérien qui se passe devant nos yeux et anticiper dès à présent sur l’importance de sensibiliser les masses et leurs dirigeants sur la rareté de cette ressource.