PJD, 2016-2021 : de grandes concessions pour d’aussi grandes dissensions

Le second mandat du PJD à la tête du gouvernement a été marqué par une série de grandes concessions qui ont fracturé le parti et causé la défiance de la base électorale. Retour sur cinq faits marquants où le PJD s’est vu contraint d’avaler des couleuvres.

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Le chef du gouvernement ne s’y est pas trompé, à diverses reprises, lorsqu’il a dû justifier certaines décisions prises par le gouvernement devant les siens. À l’envi, Saâd-Eddine El Othmani a défendu la nécessité de “faire passer les intérêts du pays en premier, avant ceux du parti”.

C’est que le deuxième mandat des islamistes à la tête du gouvernement a vu mettre sur la table différents sujets qui entrent en contradiction avec l’idéologie même du parti. Normalisation avec Israël, alternance linguistique dans l’éducation, usage du cannabis à des fins thérapeutiques et industrielles… Le chef du gouvernement s’est souvent retrouvé coincé entre deux feux et une entité partisane qui se fracture.

“Être chef du gouvernement et chef d’un grand parti et avoir ses propres positions, ce n’est pas facile”

Saâd-Eddine El Othmani

La faute à un référentiel idéologique que la formation islamiste, au pouvoir depuis fin 2011, est sommée de sacrifier sur l’autel de l’intérêt suprême de la nation (le cas de la normalisation avec Israël), ou la réalité économique du pays (le cas de l’usage légal du cannabis).

Être chef du gouvernement et chef d’un grand parti et avoir ses propres positions, ce n’est pas facile. Dans la vie, nous faisons face aux difficultés”, justifiait, dans un entretien à TelQuel, Saâd-Eddine El Othmani.

1. Blocage gouvernemental, l’épreuve de force d’emblée

Forte entrée en matière pour le second mandat des “frères”. Dans la foulée des législatives d’octobre 2016, la formation islamiste a éprouvé toutes les peines à former une coalition susceptible de lui assurer une majorité au Parlement. Alors secrétaire général du parti, Abdelilah Benkirane avait été reconduit par Mohammed VI pour former un nouveau gouvernement.

Commence un bras de fer et d’ardues négociations avec le leader du Rassemblement national des indépendants (RNI), Aziz Akhannouch. Ce dernier, soutenu par son allié harakiste Mohand Laenser, avait notamment exigé le retrait de l’Istiqlal de la course aux maroquins ministériels au lendemain des déclarations polémiques du secrétaire général du parti de la Balance, Hamid Chabat, sur la Mauritanie. Une aubaine pour le tandem RNI-MP qui n’en attendait pas tant pour évincer l’Istiqlal de la future majorité. D’autant qu’Aziz Akhannouch avait poussé en faveur de l’intégration de l’USFP dans la coalition.

Après six mois d’impasse entre les deux hommes, Mohammed VI a finalement démis Benkirane de ses fonctions et nommé le numéro deux du PJD, Saâd-Eddine El Othmani, pour le remplacer. Son arrivée après cette longue séquence politique a laissé des traces au sein du parti de la Lampe et ravivé des tensions.

2. Loi-cadre sur l’éducation, “première erreur gravissime” depuis 2011

Tout au long de l’année 2019 et jusqu’à l’été précédant la rentrée scolaire, le projet de loi-cadre sur l’enseignement a été au cœur de nombreuses tensions au sein de la majorité. Grandement inspiré des travaux du Conseil supérieur de l’enseignement (CSE), le projet établissait en ses articles 2 et 31 “l’adoption de l’alternance linguistique”, introduisant l’enseignement des matières scientifiques en français.

L’article fait alors l’objet d’une forte opposition du PJD, ainsi que de l’Istiqlal, pour des raisons idéologiques. Ces derniers s’élevaient contre l’usage de la langue du “colon”, comme l’avait évoqué Abdelilah Benkirane lors d’une de ses prises de parole, appelant ses “frères” à voter contre. Il dira même au moment de l’adoption du projet de loi-cadre — “une catastrophe” — que ce vote est la “première erreur gravissime” commise par le PJD depuis son arrivée à la tête du gouvernement en 2011.

Placé entre le marteau et l’enclume, Saâd-Eddine El Othmani avait proposé de couper la poire en deux : que les élus du PJD votent pour le projet de loi-cadre dans son ensemble, en s’abstenant de voter les articles 2 et 31. Approuvé avec 241 voix favorables et quatre contre, seuls deux députés PJD et 16 frères se sont abstenus.

Au sein du parti, l’adoption du texte laissera des traces, au point de pousser Driss El Azami Idrissi à quitter la tête du groupe parlementaire du PJD, créant ainsi de nouvelles lignes de scission au sein du parti.

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3. Normalisation avec Israël, la couleuvre originelle

C’est certainement la “couleuvre” la plus difficile à digérer du dernier mandat islamiste. Et elle tient en un moment qui a fait date, le 22 décembre 2020, avec la signature devant le roi, par le chef du gouvernement, de la déclaration conjointe entre le royaume, les États-Unis et Israël, sous le sourire à peine déguisé du ministre des Affaires étrangères Nasser Bourita.

Saâd-Eddine El Othmani signant la déclaration conjointe Maroc-États-Unis-Israël, le 22 décembre 2020.Crédit: Capture d'écran

Quelques mois plus tôt, en août, lors du Forum national de la jeunesse du PJD, Saâd-Eddine El Othmani avait déclaré “refuser toute normalisation avec l’entité sioniste”. Une fois l’annonce de normalisation avec l’État hébreu tweetée par le président américain, le chef du gouvernement avait mis plusieurs jours avant de sortir de son silence.

Dans une interview accordée à Al Jazeera, il avait fini par déclarer que “les États sont, parfois, forcés de prendre des décisions difficiles”, sans quoi le rétablissement des liens avec Israël “n’aurait pas autant tardé”.

Côté partisan, la décision ne passe pas. Au terme du Conseil national du parti de la Lampe, l’organe décisionnel du PJD publie une déclaration dans laquelle les membres réitèrent leur “condamnation” et leur “rejet” absolus du deal, tenant El Othmani pour “responsable”.

4. Cannabis : le projet de loi de la discorde

C’est une certitude, le PJD n’a pas roulé en faveur du vote du projet de loi 13.21 relatif à l’usage thérapeutique et industriel du cannabis. Seul parti à s’être résolument opposé à l’adoption du projet, le PJD a une nouvelle fois joué la carte du blocage, considérant que le sujet est bien trop important pour passer par une simple procédure législative, notamment en pleine année électorale.

Après la normalisation avec Israël, le projet de légalisation du cannabis a détérioré davantage les rapports entre les cadors du PJD. Un projet de loi validé par Othmani, défendu par Ramid et rejeté par Benkirane.Crédit: Rachid Tniouni / TelQuel

Le texte finalement voté accentuera les dissensions au sein de la formation. Goutte d’eau de trop, le président du Conseil national, Driss Azami El Idrissi, a présenté fin février sa démission des instances du parti, avant de voir son départ refusé.

5. Quotient électoral, seul contre tous ?

Le PJD a abordé la saison électorale dans un contexte politique qui lui est hostile. En plus de la loi sur la légalisation du cannabis, qu’il assimile à une atteinte à ses fondements idéologiques, le parti au pouvoir voit sa domination dans les urnes directement menacée par la réforme du quotient électoral.

Jugeant la réforme anticonstitutionnelle, le PJD considérait que le nouveau quotient électoral constituait un “revirement politique incluant un désir de plafonner les résultats électoraux en distribuant à parts égales les sièges de la Chambre des représentants sur l’ensemble des partis politiques”.

La formation redoute un revers électoral. 104 députés du parti de la lampe (PJD) ont voté contre cette disposition et rejeté le projet de loi organique à la Chambre des représentants.