Le 25 août 2020, un peu avant midi, un incendie s’est déclaré à l’oasis de Tighmert, située dans la province de Guelmim. Plusieurs familles en panique ont envahi le bitume qui relie l’oasis à la commune rurale d’Asrir pour fuir le feu et l’air toxique qui s’en dégageait, laissant derrière elles leurs maisons et des centaines de palmiers en proie aux flammes. Ce n’est pas le premier incident de ce genre qui touche cette paisible oasis située à 10 kilomètres de Guelmim, au sud du Maroc.
Depuis dix ans, les feux n’ont fait qu’augmenter d’année en année, mettant en péril un écosystème déjà très fragile. Les habitants, inquiets pour l’avenir de leur oasis, réclament une enquête pour identifier l’origine de ces incendies. “Avec ces feux à répétition, on pense sérieusement à quitter l’oasis pour protéger nos familles”, nous confie Brahim, un habitant de Tighmert.
Fin septembre, plus de quatre semaines après l’incendie, la société civile s’est organisée pour apporter un soutien aux familles les plus touchées en attendant l’aide des autorités. Plusieurs familles sont encore traumatisées par ce qu’elles ont vécu et par l’importance des dégâts occasionnés. Le feu a brûlé plusieurs habitations, des centaines de palmiers dattiers, des vergers, des potagers et tué plus de 400 têtes de bétail.
Silence, ça chauffe
En l’absence d’enquête et d’une réponse officielle convaincante, les habitants de l’oasis n’excluent aucune piste pour expliquer l’origine de l’incendie. Selon Mohamed, un autre habitant de Tighmert, plusieurs facteurs entrent en jeu : l’augmentation des températures ces dernières années, conséquence du réchauffement climatique, le stress hydrique, et la dynamique migratoire.
L’augmentation des températures et le stress hydrique impactent considérablement la végétation de l’oasis qui, asséchée, devient plus propice à prendre feu rapidement. La migration urbaine est aussi perçue comme un facteur indirect conséquent, car elle implique l’abandon et la dégradation de plusieurs terres agricoles.
L’absence d’arrosage constant des plantations les assèche et augmente le risque d’incendie quand il fait très chaud. Brahim se demande également si ce n’est pas un incendie criminel ou une politique de la terre brûlée, motivée par le lancement de projets immobiliers dans l’oasis.
Pour lui, la quasi-absence de coupe des feuilles mortes des palmiers est aussi un facteur à prendre en considération puisque la propagation du feu procède en grande partie en hauteur, entre les feuilles mortes des palmiers.
La société civile se mobilise
Au lendemain de l’incendie, les jeunes de Tighmert se sont mobilisés pour venir en aide aux familles les plus affectées. Un comité d’aide aux habitants s’est constitué, comme nous l’explique Ahmed, qui en est membre.
Un esprit solidaire et bienveillant règne dans le groupe, rappelant les valeurs ancestrales de l’oasis
“Il y a eu un épisode assez particulier à Tighmert en 2014, suite aux inondations survenues cette année-là. Le manque d’assistance pour reconstruire les maisons et aider les victimes des inondations nous a poussés à prendre les choses en main et nous nous sommes donné comme objectif de réparer les dégâts”, nous raconte-t-il. “Après tout, c’est ce que nous avons l’habitude de faire à chaque fois que nous vivons des catastrophes comme celle-là”, conclut Ahmed.
Sur place, les jeunes s’organisent par groupes pour nettoyer les allées, dégager les chemins, reconstruire les petits ponts, couper les palmiers brûlés et apporter un soutien moral aux familles touchées. Un esprit solidaire et bienveillant règne dans le groupe, rappelant ainsi les valeurs ancestrales pour lesquelles sont connus les habitants de l’oasis.
Mokhtar El Bellaoui, coordinateur de l’union d’Azouafite, une tribu présente dans différentes oasis de cette région, regrette que plusieurs projets et programmes avec des partenaires nationaux et internationaux pour préserver et protéger l’oasis, comme le programme Oasis Sud du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD), n’aient jamais eu d’impact réel sur le terrain, alors qu’ils auraient pu être bénéfiques pour éviter des catastrophes naturelles ou climatiques.
Autrement, il faudrait trouver des outils adaptés à l’écosystème oasien pour réagir rapidement à ce genre de catastrophe.
Oasis en péril
Les oasis font partie des écosystèmes les plus affectés par le changement climatique. Selon les chiffres officiels, le Maroc a perdu les deux tiers de ses 14 millions de palmiers au cours du siècle dernier.
Par conséquent, les oasis sont aujourd’hui “menacées d’extinction”, comme a averti en décembre 2019 l’organisation internationale de protection de l’environnement Greenpeace. Les oasis offrent un éclatant foisonnement de vie en plein désert aride.
Depuis des siècles, grâce aux routes commerciales transsahariennes, les oasis ont développé un important patrimoine architectural et culturel. Aujourd’hui, ces oasis marocaines abritent toujours plus de 2 millions d’habitants et contribuent au développement économique local et national.
Située dans un environnement aride et hostile, l’oasis constitue un écosystème original, fondé sur le juste équilibre de trois éléments : l’abondance de l’eau, la qualité du sol et la présence des palmiers dattiers dont le feuillage crée un microclimat.
Aujourd’hui, les oasis connaissent une profonde mutation à plusieurs niveaux, et il est urgent d’agir pour sauvegarder la vie, le patrimoine et les siècles d’histoire de ces terres millénaires.
Vous pouvez suivre ou soutenir la population de Tighmert affectée par l’incendie, via ce lien : https://www.facebook.com/soutenirtighmert