A la tête du gouvernement depuis près de sept mois, Hassan Diab doit s’adresser à la nation à 19 h 30 locales (16 h 30 GMT) pour annoncer la démission de son équipe contestée. Durant une réunion du cabinet, “la plupart des ministres étaient en faveur d’une démission”, selon Vartiné Ohanian, ministre de la Jeunesse et des Sports.
Cette démission ne devrait cependant pas satisfaire le mouvement de protestation populaire qui réclame le départ de toute la classe politique accusée depuis des mois de corruption et d’incompétence.
La catastrophe de trop
La déflagration gigantesque qui a fait au moins 160 morts, plus de 6000 blessés et a détruit une partie de la ville de Beyrouth le 4 août était la catastrophe de trop dans un pays mis à genoux par une crise économique inédite aggravée par l’épidémie de Covid-19.
“Tous veut dire tous”, ont clamé ces deux derniers jours les manifestants, appelant au départ de tous les dirigeants
Six jours après ce drame, les autorités n’ont toujours pas répondu à la principale question : pourquoi une énorme quantité de nitrate d’ammonium était entreposée au port, au beau milieu de la ville ? C’est un incendie dans l’entrepôt où étaient stockées 2750 tonnes de nitrate depuis six ans “sans mesures de précaution”, de l’aveu même de Hassan Diab, qui a provoqué l’explosion. Le président Michel Aoun, lui-même contesté, a rejeté une enquête internationale. Et les autorités n’ont pas communiqué sur le déroulement de l’enquête locale.
Depuis dimanche et face aux protestations d’une population éreintée, quatre ministres ont déjà présenté leur démission : celui des Finances Ghazi Wazni, celle de la Justice Marie-Claude Najm, celle de l’Information Manal Abdel Samad et celui de l’Environnement Damianos Kattar.
Le cabinet de Hassan Diab avait été formé en janvier après la démission de celui de Saad Hariri sous la pression d’un mouvement de contestation populaire inédit. Samedi 8 août, Diab avait indiqué qu’il était prêt à rester dans ses fonctions pendant deux mois, jusqu’à l’organisation d’élections anticipées dans un pays dominé par le mouvement armé du Hezbollah, un allié de l’Iran et du régime de Bachar al-Assad en Syrie.
Lors des manifestations samedi et dimanche, réprimées par les forces de sécurité, les protestataires ont appelé à la “vengeance” et réclamé des comptes à une classe politique totalement discréditée et qui n’a apporté aucune aide significative à la population après l’explosion. Les élections anticipées ne sont pas une des principales revendications de la rue, car le Parlement est contrôlé par les forces traditionnelles qui ont élaboré une loi électorale calibrée pour servir leurs intérêts.
“Tous veut dire tous”, ont clamé ces deux derniers jours les manifestants, appelant au départ de tous les dirigeants. Des effigies de nombre d’entre eux, dont Michel Aoun et Hassan Nasrallah, ont été accrochées à des cordes de pendus lors des rassemblements. “Il y a une seule personne qui contrôle ce pays, c’est Hassan Nasrallah”, a affirmé l’un des neuf députés ayant annoncé leur démission, Nadim Gemayel. “Pour élire un président, désigner un Premier ministre (…), il faut le feu vert et l’autorisation de Hassan Nasrallah.”
Aucun espoir de retrouver des survivants
Alors que les Libanais continuent d’enterrer leurs morts, les secouristes ont désormais perdu tout espoir de retrouver des survivants de l’explosion. Au grand désespoir des familles des disparus qui accusent les autorités d’avoir tardé à organiser les recherches. Moins de 20 personnes sont toujours disparues, selon les autorités.
“Nous réclamons la poursuite des recherches”, a lancé sur les réseaux sociaux Emilie Hasrouty, dont le frère serait enseveli sous les décombres. Dimanche soir, des habitants ont allumé des bougies sur une corniche surplombant le port, pour rendre hommage aux victimes.
Dans le même temps, des heurts ont opposé dans le centre-ville pour la deuxième journée consécutive des manifestants aux forces de sécurité qui ont tiré gaz lacrymogènes et balles en caoutchouc. Le drame a relancé la contestation populaire déclenchée le 17 octobre 2019 pour également dénoncer la corruption des dirigeants, mais qui s’était essoufflée avec la pandémie de coronavirus.
La communauté internationale, qui depuis des années réclame au pouvoir libanais des réformes et une lutte contre la corruption, a bien montré, lors d’une visioconférence dimanche co-organisée par la France et l’ONU, qu’elle ne lui faisait plus confiance.
Elle a annoncé qu’elle allait “directement” distribuer à la population les 252,7 millions d’euros d’aide aux victimes de l’explosion. Et elle a exigé une enquête “transparente” sur les causes de la catastrophe qui a fait près de 300.000 sans-abri, auxquels le gouvernement n’a fourni aucune aide.