Chronique d’un déconfinement. Jour 3

Le confinement a été levé lundi là où je suis. Ce sentiment étrange qui m’envahit depuis presque deux mois ne m’a pas quitté pour autant. L’angoisse non plus. Alors je continue de lire et de partager des poèmes.

Par

Mercredi, c'est poésie !

Mercredi 13 mai

Jour 3 de déconfinement

 

Parce que les mots peuvent apaiser, rassurer, faire rêver ou faire grandir. Parce que la littérature permet parfois de mieux lire le monde.

Donc mercredi, poésie !

 

Le voyage

Charles Baudelaire

 

Pour l’enfant, amoureux de cartes et d’estampes,

L’univers est égal à son vaste appétit.

Ah ! que le monde est grand à la clarté des lampes !

Aux yeux du souvenir que le monde est petit !

 

Un matin nous partons, le cerveau plein de flamme,

Le cœur gros de rancune et de désirs amers,

Et nous allons, suivant le rythme de la lame,

Berçant notre infini sur le fini des mers :

 

Les uns, joyeux de fuir une patrie infâme ;

D’autres, l’horreur de leurs berceaux, et quelques-uns,

Astrologues noyés dans les yeux d’une femme,

La Circé tyrannique aux dangereux parfums.

 

Pour n’être pas changés en bêtes, ils s’enivrent

D’espace et de lumière et de cieux embrasés ;

La glace qui les mord, les soleils qui les cuivrent,

Effacent lentement la marque des baisers.

 

Mais les vrais voyageurs sont ceux-là seuls qui partent

Pour partir, cœurs légers, semblables aux ballons,

De leur fatalité jamais ils ne s’écartent,

Et, sans savoir pourquoi, disent toujours : Allons !

 

Ceux-là dont les désirs ont la forme des nues,

Et qui rêvent, ainsi qu’un conscrit le canon,

De vastes voluptés, changeantes, inconnues,

Et dont l’esprit humain n’a jamais su le nom !