Libye : La marche du maréchal Haftar vers Tripoli

À dix jours d’une “Conférence nationale” sur le sort de la Libye, le maréchal Khalifa Haftar avance militairement vers Tripoli. Il est déterminé à s’imposer dans l’ouest du pays au détriment du gouvernement d’union nationale.

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Des affrontements continuent d’avoir lieu au sud de Tripoli entre les forces du maréchal Khalifa Haftar et des milices soutenant le gouvernement d’union nationale présidé par Fayez al-Sarraj, notamment les brigades de Misrata. Le bilan actuel est d’au moins un mort. Comme le rapporte la chaîne de télévision Al-Jazeera, Haftar a annoncé hier, via un message audio, une “opération pour la libération de Tripoli” et demande aux milices pro-gouvernement qui défendent la ville de “lever le drapeau blanc”. En réaction, certaines d’entre elles ont déclaré la “guerre” à Haftar.

Quelques heures plus tôt, la communication de l’armée basée en Cyrénaïque, dans l’est du pays, annonçait que ses forces allaient se diriger vers l’ouest du pays et vers la capitale Tripoli pour “éliminer les groupes terroristes restant dans la région”, rapporte le site Libya Observer.

Le gouvernement d’union nationale, lui , qualifie ces annonces de “provocatrices” et estime qu’en exhortant l’armée à “libérer la capitale”, le maréchal Fahtar prive en fait la population libyenne de ses droits à la paix et à la sécurité, résume le site d’actualité.

Militaire vs politique

L’offensive d’Haftar survient moins d’un mois après une rencontre aux Emirats Arabes Unis avec Fayez al-Sarraj, le chef du gouvernement d’union nationale. Les deux responsables s’étaient mis d’accord sur la fin des opérations militaires dans le but de préparer les élections dans un cadre stable.

Le maréchal Haftar, devenu un acteur majeur du dossier libyen et crédible aux yeux de la communauté internationale grâce, notamment, au soutien qui lui est accordé par la France, a toujours proposé une solution militaire à la crise dans laquelle est englué le pays. Une approche qui n’est pas partagée par la communauté internationale concernée par l’état inquiétant du pays.

Dans un tweet publié hier matin, le secrétaire général de l’ONU António Guterres a fait part de son inquiétude face au “mouvement militaire” et au “risque de confrontation”. Pour lui, “il n’y a pas de solution militaire. Seul le dialogue interne peut résoudre les problèmes de la Libye”, faisant clairement référence à l’offensive militaire d’Haftar. Face à l’évolution rapide des événements et à l’inquiétude de la communauté internationale, il a déclaré ce matin, lors de sa visite dans le pays, dans un autre tweet: “je suis en train de voler de Tripoli à Tobruk et Benghazi. Mon objectif reste le même: éviter une confrontation militaire”.

Dans un autre tweet, l’envoyé spécial de l’ONU pour la Libye Ghassan Salamé a exprimé son soutien à la “solution politique” qui sera privilégiée lors de la “Conférence nationale” qui devrait se tenir entre le 14 et le 16 avril à Ghadames, au nord-ouest du pays. Promue par l’ONU, cette conférence accueillera des acteurs exclusivement libyens et est censée aboutir à un accord pour déterminer la tenue d’élections dans le pays. Mais celle-ci semble désormais hypothéquée. Aujourd’hui, le cas libyen sera aussi au centre des discussions du Conseil de Sécurité de l’ONU, lors d’une rencontre demandée par le Royaume-Uni.

Ne pas sous-estimer Haftar

A ce jour l’agenda ainsi que les invités de la conférence restent plutôt obscurs, tandis qu’Haftar se trouve dans les environs de la ville de Gharyan, à 80 km à sud de Tripoli. “Je ne suis pas convaincu que la conférence aura vraiment lieu. S’il est vrai qu’Haftar est en train d’avancer vers Tripoli, je ne sais pas comment cela va être possible. En plus, personne ne sait quels seront les arguments à l’ordre du jour ni qui va y participer. Tout le monde fait des hypothèses, mais rien n’est sûr. La stratégie de l’ONU n’est pas du tout transparente : ils disent que c’est fait exprès pour éviter que des acteurs puissent faire faillir la conférence avant même qu’elle commence, mais cette stratégie ne m’a pas l’air brillante”, nous déclare Karim Mezran, expert italo-libyen de l’Afrique du Nord, membre du Rafik Hariri Center for the Middle East.

Actuellement à Tripoli, il témoigne d’un calme général au sein de la ville : “personne n’est inquiet, tout est normal. Ce n’est pas une ville qui se sent assiégée. J’ai rencontré le ministre de l’Économie et d’autres officiels. Ils sont tous tranquilles. Et ça me rend encore plus perplexe si Haftar envisage vraiment d’entrer à Tripoli”.

Si l’expert ne se prononce pas sur les acteurs ou milices susceptibles de prêter allégeance à Haftar, car “ce ne serait que des hypothèses”, il affirme en revanche que “lorsque tout le monde dort en pensant à telle ou telle négociation, Haftar avance en silence. Le sous-estimer a été une grande erreur. Même lorsqu’il avançait vers le Fezzan on pensait qu’il n’aurait jamais pu y arriver. Et au final il l’a fait”.

En février dernier, l’homme fort de la Cyrénaïque s’imposait dans le Fezzan, une région stratégique du sud de la Libye, et s’emparait notamment du champ pétrolier de Sharara. “Il a acheté le soutien des tribus qui lui ont prêté allégeance”, explique Mezran. “A ce moment-là, comme aujourd’hui, il n’avait pas les moyens financiers ni militaires pour occuper la zone. Mais ses moyens lui suffisent pour avancer et consolider ses positions et c’est ce qu’il fera probablement à Tripoli”, poursuit-il.

Et si la Conférence nationale a vraiment lieu dans dix jours, “il va l’instrumentaliser s’il considère qu’elle peut lui être utile. Mais ce n’est pas sa priorité. Le processus mis en place par l’ONU ne l’intéresse pas. Il veut seulement le contrôle du pays, et il avance dans ce sens”, conclut l’expert.