Lors de la réunion trimestrielle du conseil de Bank Al Maghrib, Abdellatif Jouahri a réagi aux principales problématiques liées à l’économie nationale, parmi lesquelles les prévisions de croissance pour l’année en cours. Pour le wali, la prévision de croissance du PIB de 2,7% en 2019 reste insuffisante. “Ce n’est pas avec ce taux-là que nous pouvons régler nos problèmes sur le plan non seulement de la croissance, mais aussi du taux de chômage et de l’emploi des jeunes,” a estimé Jouahri.
Pour le wali, la banque centrale “fait son maximum” pour relancer la machine économique, notamment à travers “une politique non conventionnelle”. Cette politique consiste, selon le wali, à “prendre dans notre portefeuille les effets des PME. Nous avons même indiqué que nous allons faire un programme spécifique pour ces PME, notamment dans le secteur l’industrie et l’exportation, pour lesquelles nous allouons 30% des liquidités sur le marché monétaire”.
“Nous sommes allés plus loin. Nous avons dit que nous allons favoriser les banques qui sont dynamiques dans l’octroi des crédits de façon globale. Et nous sommes allés encore plus loin en disant que nous rémunérons la réserve monétaire pour les banques qui participent à l’augmentation des crédits,” a détaillé le wali de Bank Al Maghrib qui a aussi affirmé que l’un des piliers de Stratégie nationale d’inclusion financière était les TPME. Le rôle de la banque centrale s’arrête néanmoins là, car pour le wali “ce sont les politiques qui commandent tout.”
Evoquant le sentiment de sinistrose touchant les acteurs économiques du Royaume, le patron de la banque centrale a affirmé que “l’opérateur économique a besoin de visibilité, de confiance, de savoir où on va. Mais comment voulez-vous qu’il prenne des risques lorsqu’il voit que l’on se crêpe le chignon sur les choses essentielles et sur le plan politique ?”. “C’est cette situation qui a poussé sa majesté à demander le réexamen du modèle (de développement, ndlr),” a-t-il “Nous restons tributaires des conditions climatiques qui tirent le niveau de la croissance,” a fait remarquer le wali, en appelant à développer l’économie marchande.
Prudence
Évoquant la situation de l’économie marocaine au mois de janvier dernier, le Haut-commissaire au plan Ahmed Lahlimi avait appelé à la mise en place d’une “une politique économique plus audacieuse, qui dérange un peu” pour dépasser la “croissance faible” que connaît le pays. Un avis que ne partage pas Ahbdellatif Jouahri pour qui une politique monétaire “prudente” est nécessaire alors que Bank Al Maghrib a décidé de maintenir le taux de directeur à 2,25%.
Si pour certains cette mesure bride la croissance, le patron de la banque centrale estime qu’un changement à ce niveau pourrait impacter les “conditions dans lesquelles [les banques] rémunèrent l’épargne” et, à plus grande échelle, “la transmission des décisions de la banque centrale concernant la politique monétaire”.
Abdellatif Jouahri en a aussi profité pour rappeler comment est fixé ce taux directeur. “Nous avons des modèles sur le court-terme, le moyen-terme et le long-terme, ce qui nous permet de savoir quel est le taux directeur compatible avec l’ensemble des éléments qui sont dans le modèle. A cela s’ajoute une analyse du point de vue des experts,” détaille le wali. Pour lui, la baisse du taux directeur ne donne pas forcément les résultats escomptés. Il donne ainsi comme exemple “la FED ou de la BCE qui, malgré la baisse des taux, n’arrivent pas à redémarrer la machine.”
Fitch et « liste grise »
Dans un rapport publié le 9 mars , l’agence de notation Fitch estimait que “la qualité des actifs et le niveau des fonds propres des banques marocaines étaient faibles.” Un constat que le wali rejette d’un revers de la main. “J’ai envoyé une lettre au président de Fitch hier. Argument par argument, nous maintenons notre position et faisons le benchmark international pour expliquer que ce qu’ils disent n’est pas vrai,” a-t-il expliqué.
“Nous n’avons pas une banque centrale bananière, nous savons de quoi il en retourne, comment il faut se défendre et ils le savent,” a poursuivi M. Jouahri. Il a ensuite détaillé les contre-arguments au constat de Fitch : “D’abord, ça ne fait que deux ans que Fitch a commencé à s’intéresser à l’économie nationale. Deuxièmement, nous leur avons signalé qu’ils étaient en contradiction totale avec non seulement les autres agences de notation, mais aussi avec les autres organisations internationales : FMI, Banque Mondiale…,” a expliqué le wali.
Pour ce qui est de la décision de l’Union européenne de maintenir le Maroc dans la liste grise, le wali s’est dit “heureux que le Maroc ne figure pas parmi les pays ayant basculé dans la liste noire.” Il a aussi estimé que l’inclusion dans cette liste était une question politique : “On doit globaliser les discussions : on collabore avec eux sur des dossiers importants comme le terrorisme l’immigration clandestine. Il faut bien que le package soit revu globalement.”
Une flexibilité qui se fera attendre
Pour le passage à la phase II de la flexibilité du dirham, Jouahri a jugé que, malgré l’insistance du FMI, ce passage se fera lorsque “les prérequis seront réunis.” Parmi ces prérequis : “Les réserves de change, la soutenabilité budgétaire, la situation des banques et leur résilience, la profondeur du marché.” “Il faut que nous soyons convaincus que les opérateurs économiques, comme les PME en relation avec le marché extérieur, aient assimilé la réforme, et sont capables d’utiliser l’ensemble des outils mis à leur disposition,” a-t-il expliqué. Il a aussi annoncé que la décision se basera sur les résultats de la réunion entre la BAM, les banques et la CGEM programmée pour le 18 avril.
Enfin, concernant la levée de fonds à l’internationale prévue dans le cadre de la loi de Finances 2019, Abdellatif Jouahri a expliqué que cette opération visant à emprunter 22 milliards de dirhams se déroulera sur deux ans. “Au bout de la première levée de 11 milliards de dirhams en 2019, il faut observer ce qui peut se concrétiser, comme un don des pays du golfe. Il faut aussi faire un arbitrage entre le marché intérieur et extérieur, et décider des conditions applicables en termes de durée, de taux …,” a-t-il estimé.