Selon les statistiques du ministère de l’Enseignement supérieur, 32.180 étudiants étaient inscrits dans un cycle de doctorat au Maroc sur l’année universitaire 2016-2017. La même année, seulement 1.931 personnes se voyaient diplômées, soit un taux de graduation (rapport du nombre de lauréats sur le nombre d’inscrits) de moins de 6%.
Si seuls les étudiants en dernière année de doctorats peuvent logiquement être diplômés, rares sont ceux qui arrivent jusque là. Selon Abdellatif Miraoui, président de l’université Cadi Ayyad de Marrakech, 90% des étudiants qui s’inscrivent en doctorat ne finissent pas leur cycle. Comment expliquer un tel taux de décrochage ?
Etudiants précaires
L’aspect financier et le faible nombre de bourses sont les raisons principales de la paralysie du cursus au Maroc. En effet, seuls quelque 300 étudiants par an, considérés comme les meilleurs profils, bénéficient d’une bourse mensuelle de 3.000 dirhams. Les autres doivent se débrouiller en ayant recours soit à la famille soit en exerçant une activité rémunérée en parallèle de leurs études.
Un étudiant en doctorat de la Faculté Hassan II de Casablanca nous explique qu’il est « quasiment impossible de faire son doctorat sans avoir un emploi à côté. Pour ce qui est des sciences humaines, il n’y a pas d’obligation d’assister aux cours et faire de la recherche au quotidien. Mais les étudiants dans les domaines scientifiques, eux, doivent être au laboratoire quotidiennement pour y mener leurs recherches. C’est injouable si vous avez un emploi ». Selon le Conseil supérieur de l’éducation, 44% des étudiants en doctorat travaillent en parallèle à leur recherche, pourtant censée se faire à temps plein.
Une doctorante en informatique de l’université Mohamed V de Rabat témoigne encore : « je suis salariée dans la banque et je fais mon doctorat en parallèle. Je trouve que c’est une mauvaise idée de devoir faire de la recherche à plein temps, car cela crée un fossé immense entre l’entreprise et l’académique. Les deux mondes n’ont rien à voir. Qui plus est, c’est impossible de faire de la recherche en permanence, à moins d’intégrer un centre de recherche qui rémunère très moyennement. Les gens s’orientent vers la recherche doctorale quand ils ne trouvent pas de travail ».
Selon le doyen de l’université Cadi Ayyad de Marrakech, « il est nécessaire de développer un Plan Marshall de la recherche. On a encore un vivier de professeurs d’excellente qualité, mais cela risque de ne pas durer si rien n’est fait. Il faudrait que les financements de thèse soient plus importants chez les doctorants pour faire de la recherche à plein temps. Le secteur privé est bien plus compétitif que nous en termes pécuniaires. Il faudrait que l’on soit au même niveau que le marché pour attirer les talents. Quand on a de bons doctorants, on a une bonne recherche. La recherche est un métier, mais ce n’est malheureusement pas très bien compris ».
Un suivi chaotique
Et le problème financier n’est pas le seul à bloquer les rouages de ce cycle universitaire. L’encadrement et les infrastructures jouent également un rôle dans l’échec des étudiants. Les chiffres du ministère de l’Enseignement supérieur sont éloquents. Des années universitaires 2011-2012 à 2018-2019, le nombre d’étudiants tous cycles confondus a augmenté de 93%. Sur la même période, le nombre de doctorants a augmenté de 41,5%.
Dans le même temps, le nombre d’enseignants n’a lui augmenté que de 18%. Il en résulte un manque d’effectif dont découlent un suivi défaillant et un sentiment d’abandon des doctorants qui se retrouvent pour certains « parachutés » dans un programme aux rouages qu’ils ne cernent pas. « J’ai effectué ma rentrée universitaire après avoir présenté mon projet de thèse. Une fois approuvé, j’ai acheté mes livres, pour la plupart d’entre eux à 400 dirhams chacun. Et voilà. Depuis, c’est un grand vide. Pas de réunion de suivi, rien. On ne sait pas comment on doit faire pour articuler la thèse, il n’y a ni conseil, ni encadrement», nous confie un doctorant casablancais.
La même source pointe un autre dysfonctionnement du système dans le cycle du doctorat, les ressources pédagogiques. « Il y a une pénurie de bibliothèques et d’ouvrages qui permettent de faire notre travail de recherche. Nous avons un nombre minimum de publications à assurer pour obtenir le doctorat, mais c’est très compliqué, car personne ne nous aide à y parvenir », poursuit notre interlocuteur.
A l’Université Cadi Ayyad de Marrakech, il y a par exemple 1.500 enseignants-chercheurs pour 115.000 étudiants. « C‘est un taux d’encadrement qui est presque 10 fois inférieur à la France, l’Espagne ou la Turquie », déplore Abdellatif Miraoui. Dans ces conditions, les doctorants se détournent massivement de leurs formations en se dirigeant vers le secteur privé, bien plus compétitif financièrement.
La bombe à retardement
Selon les chiffres du ministère, cette tendance ne fera que s’accentuer dans les années à venir. Près de 7.000 départs à la retraite d’enseignants universitaires seront enregistrés entre 2018 et 2030, contre 1.013 départs enregistrés entre 2010 et 2018. La recherche marocaine sera donc confrontée à un problème complexe de renouvellement des effectifs. Compte tenu des désistements de doctorants, pourrait-elle relever le défi ? Le président de l’université Cadi Ayyad de Marrakech explique: « notre principal problème est désormais d’arriver à faire rentrer un flux d’étudiants de qualité à plein temps… Faute de moyens, nous n’attirons pas les ingénieurs et les étudiants issus des grandes écoles, car même s’ils veulent faire de la recherche, ils doivent faire vivre leurs familles et la recherche ne leur permet pas de faire ça. Faute de mieux, nous employons des doctorants qui ont fait un cursus de recherche à temps partiel, mais cela ne comblera pas les départs à la retraite ».
Aussi le doyen marrakchi n’est pas optimiste pour l’avenir : « D’ici 10 ans, nous allons perdre presque 50% de nos enseignants-chercheurs. Cette vague de retraite concerne en plus des enseignants d’excellente qualité qui ont bénéficié d’une formation souvent à l’étranger, et qui ont effectué de la recherche à plein temps. La jeune génération n’est pas dans ce cas de figure. Ils n’ont pas franchi tous ces caps, car le secteur n’est plus aussi attirant qu’avant ».