Golfe, Iran, Yémen, Sahara, UMA... Bourita fait le point sur Al Jazeera

Le ministre des Affaires étrangères, Nasser Bourita, était l'invité de l'émission Bila Houdoud (Sans frontières) diffusée par la chaîne d'information qatarie Al Jazeera ce mercredi 23 janvier. Il a abordé les dossiers chauds de la diplomatie marocaine, particulièrement dans la région du Moyen-Orient, avec la crise du Golfe, la guerre au Yémen et la rupture des relations diplomatiques avec l'Iran.

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Yassine Toumi/TelQuel

L’interview de 39 minutes s’est ouverte sur la récente participation de Nasser Bourita au Sommet économique arabe à Beyrouth, le 20 janvier dernier. Le ministre s’interroge sur l’intérêt actuel de la Ligue arabe. « Que veut-on en faire ? Les problématiques économiques et sociales représentent-elles la base de l’organisation arabe ou ne sont-elles que des affaires marginales ? », questionne-t-il, affirmant que « le Maroc – et le roi – y voit une condition fondamentale d’une organisation arabe forte ». « L’être humain arabe doit être au centre de nos préoccupations », a encore soutenu le ministre pour qui en somme, la Ligue arabe souffre d’un « manque de vision claire ».

Crise du golfe : « la neutralité ne signifie pas l’indifférence »

Répondant à une question sur l’attitude de « neutralité constructive » adoptée par le Maroc au déclenchement de la crise du Golfe en juin 2017, Nasser Bourita a assuré que le Royaume « s’est senti directement concerné par ce qui se passait dans la région, au vu des relations personnelles fortes du roi avec les dirigeants des pays du Golfe ». Revenant sur le communiqué du MAE en réaction au déclenchement de la crise, il a affirmé que « la neutralité ne signifie pas l’indifférence ». D’après lui, le Maroc a toujours fait preuve d’« indépendance » dans sa diplomatie. « Le rôle du Maroc n’est pas de s’aligner avec telle ou telle partie, mais de rapprocher les différents points de vue. Le monde arabe a besoin d’un Golfe intégré, et d’un retour à la normale au niveau du Conseil de coopération du golfe », a-t-il signifié.

Interpellé sur le vote saoudien et émirati en faveur de la candidature nord-américaine à l’organisation de la Coupe du monde 2026, ainsi que sur la tournée du prince héritier saoudien Mohammed Ben Salmane dans tous les pays du Maghreb sauf le Maroc, Nasser Bourita s’est contenté de souligner « l’historicité des relations entre les familles royales marocaine et saoudienne ». Il a confirmé au passage que le « Maroc figurait effectivement dans l’agenda » de visite du prince héritier saoudien qui n’est finalement pas venu en raison d’un « désaccord sur les dates ». « Il serait réducteur de mesurer les relations diplomatiques à des visites », a-t-il néanmoins déclaré.

Téhéran, pas assez franc aux yeux du Maroc

« Malheureusement notre relation avec la République islamique d’Iran oscille depuis longtemps. A chaque fois que nous trouvons des accords pour renforcer nos liens, des choses apparaissent et entachent ces compromis », a regretté Nasser Bourita, prenant l’exemple des menaces proférées par l’Iran contre le Bahreïn. « Le Maroc, en raison de sa proximité avec le Conseil de coopération du Golfe, y a vu un franchissement d’une ligne rouge, ce pour quoi nous avons coupé nos relations diplomatiques avec l’Iran. En 2014, nous les avons rétablies, mais une nouvelle fois, nous avons observé des choses qui portent atteinte aux intérêts du Maroc, particulièrement la question sensible du Sahara. D’abord à travers le soutien du Hezbollah à des éléments du Polisario qu’ils ont invités à des réunions au Liban, puis l’arrestation au Maroc d’une personnalité importante du Hezbollah et qui a été extradée aux Etats-Unis », explique Nasser Bourita.

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« Il était désormais question d’un soutien logistique, d’entraînements militaires, de visites de cadres du Hezbollah avec la coordination de l’ambassade iranienne en Algérie », dénonce le ministre. « Nous avons exposé tout cela aux dirigeants iraniens lors de ma visite à Téhéran, mais ceux-ci ont répondu que le Hezbollah n’avait aucune relation avec l’Iran. Pour l’instant l’Iran n’a pas nié une quelconque relation avec le Polisario, et n’a toujours pas reconnu la souveraineté marocaine sur le Sahara », conclut le ministre.

Au Yémen, la nécessité de la prise en compte de « l’aspect humanitaire »

Interrogé sur la guerre Yémen, Nasser Bourita a exprimé « la préoccupation du Maroc quant à la situation humanitaire dans ce pays », reconnaissant qu’il s’agit de « la pire crise humanitaire au monde ». Il a également déclaré que « le Maroc a fait évoluer sa participation » à la coalition menée par l’Arabie saoudite et les Emirats après la mort d’un pilote marocain en mai 2015.

Comment voit-il l’avenir de ce conflit ? « L’aspect humanitaire doit prendre plus d’ampleur, le peuple yéménite ne mérite pas cette souffrance. L’unité du Yémen doit être préservée, les différents acteurs yéménites doivent être inclus dans la recherche d’une solution qui assurerait une stabilité du pays ».

La table ronde de Genève, une « évolution »

Nasser Bourita estime par ailleurs que la réunion de Genève, qui a vu se réunir le Maroc, l’Algérie, la Mauritanie et le Polisario autour de l’ONU, « a permis de réunir toutes les parties concernées et à même de contribuer de par leur position et leurs responsabilités à trouver une solution ». Le ministre y voit une « évolution ».

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Pour Bourita, la réunion a permis au Maroc d’éclaircir sa position et de mesurer les réelles intentions des autres parties. « Sont-elles réellement prêtes à trouver une solution, ou vont-elles continuer à manœuvrer ? Aujourd’hui le contexte mondial ne permet pas d’entrer dans un jeu ou de cultiver des illusions », a-t-il déclaré.

L’Union du Maghreb arabe, des opportunités ratées

« Les problèmes que connait l’Union du Maghreb arabe (UMA) sont tributaires de la tension qui marque les relations bilatérales entre l’Algérie et le Maroc », a indiqué le ministre, notant qu’ « il n’y aura pas d’intégration régionale sans relations bilatérales et avec des frontières fermées ». Pour lui, « les pays de l’UMA ont raté plusieurs opportunités. Après 35 réunions des ministres des Affaires étrangères et 100 réunions des comités techniques, rien n’a été réalisé et le Maghreb arabe demeure aujourd’hui la zone la plus faible sur le plan de l’intégration économique. Une situation qui fait perdre annuellement à chacun de ses pays 2% du taux de croissance et affecte de 34% le PNB ».

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