Khalid Chegraoui, chercheur : "L'appel de l'UE pour un partenariat euro-africain est un SOS"

Dans un discours prononcé le 12 septembre devant le Parlement européen de Strasbourg, Jean-Claude Juncker a appelé à la création d'une "nouvelle alliance" entre l'Europe et l'Afrique pour des "investissements et des emplois durables". Le chercheur à l'Institut des études africaines, Khalid Chegraoui, décrypte cette volonté de rapprochement européenne vis-à-vis du continent.

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Khalid Chegraoui, chercheur et professeur d'histoire et d'anthropologie politique à l’Institut des études africaines de Rabat.

Lors de son dernier discours de mandat au Parlement européen le 12 septembre, le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker a proposé de bâtir « un nouveau partenariat avec l’Afrique ». Selon le responsable luxembourgeois qui, « prône une Europe ouverte », l’Afrique « qui n’a pas besoin de charité », doit être traitée comme un « partenaire économique égal ». « 36% du commerce de l’Afrique se fait d’ores et déjà avec l’UE, mais les échanges commerciaux entre nous ne sont pas suffisants », a-t-il tenu à rappeler dans son allocution.

Des propos qui, dans un contexte marqué par le repli identitaire de certains pays de l’Europe et par l’intensification de la gestion des flux migratoires, conduisent à s’interroger sur la nature des relations entre Européens et Africains. Khalid Chegraoui, chercheur et professeur d’histoire et d’anthropologie politique à l’Institut des études africaines de Rabat, nous éclaire sur le sujet. Interview.

TelQuel :  Jean-Claude Juncker a exhorté à bâtir un nouveau partenariat avec l’Afrique. Qu’est-ce qu’on peut attendre d’une telle volonté de rapprochement ?  

Khalid Chegraoui : A partir du moment où l’Europe est déjà en relation avec des espaces bien déterminés en Afrique, je ne pense pas que l’on doit s’attendre à quelque chose d’extraordinaire. De la décolonisation jusqu’à aujourd’hui, l’Afrique s’est pleinement trouvée dans les rapports afro-européens. Mais, les modèles produits par ces rapports n’ont jamais pu faire sortir le continent africain de sa détresse économique et de sa déchéance politique. L’absence de bonne gouvernance a pu être soutenue et protégée par les régimes européens.

Aujourd’hui, cet appel constitue plus ou moins un cri de détresse de la part des Européens qui constatent que leurs espaces de prédilection en Afrique sont en train d’être occupés par de nouveaux acteurs. Avec la chute du mur de Berlin et le retour des pays d’Europe de l’Est dans le giron européen, l’Union européenne a davantage orienté sa politique vers ses frontières à l’est que vers celles liées à la colonisation.

Le fait que d’autres espaces et d’autres aires économiques s’intéressent à l’Afrique a-t-il poussé l’UE à revoir la nature de ses échanges avec le continent ? Peut-être pour un rapport moins inégal, moins condescendant ?

Aujourd’hui, la question est : qu’est-ce que l’Union européenne a à offrir à l’Afrique ? L’Europe a besoin de développer un espace de réflexion important en coordination avec les Africains. Il y a des demandes africaines et il faudra s’asseoir à la table afin de les écouter et de les respecter. L’Afrique est multiple, et ses modèles aussi.

Le Rwanda par exemple. Ce pays a changé son statut culturel de la francophonie à l’anglophonie et a opéré à une remise en ordre de manière révolutionnaire dans ses relations postcoloniales. Ce n’est pas mon propos, mais, quelle que soit la situation du pays sur le plan interne, le modèle de politique étrangère proposé par ce pays est à prendre en considération. Tout comme ceux du Nigéria, du Sénégal voire de l’Éthiopie, qui ont su imposer de nouvelles structures de collaboration dans l’espace de la corne d’Afrique.

Cette prise de conscience tardive de l’Union européenne traduit-elle une forte inquiétude vis-à-vis des avancées chinoises en Afrique ?

On peut l’expliquer de cette manière. Mais le grand problème est à voir au-delà des grands discours et des grandes déclarations. Il faut que l’Union européenne mette en place de véritables plans de coopération. Les Européens, par le biais de canaux officieux, sont en train de critiquer la présence chinoise sur le sol africain. Elle est évoquée comme un néo-colonialisme, qui appauvrirait l’Afrique et la pousserait au surendettement.

La critique peut aussi s’appliquer à la présence et aux politiques européennes sur le continent. Certes, la Chine n’est pas ici pour les beaux yeux des Africains : elle cherche et défend, elle aussi, ses intérêts. Mais le modèle proposé par la Chine à l’Afrique n’a rien à voir avec celui proposé par les Européens, qui jusque-là n’ont fait qu’appauvrir le continent.

En quoi le modèle proposé par la Chine de Xi Jinping semble différent ?

Dans ce modèle il y a, à mon sens, des aspects qui apparaissent positifs pour les pays africains. Il faut d’abord dire que les rapports sino-africains ne sont pas uniques. Il existe plusieurs modèles qui dépendent de chaque pays, de chaque région du continent. Dans certains pays le plan est axé sur la production, quand pour d’autres il est axé sur l’infrastructure.

Quel pourrait être la place du Maroc, en tant qu’interlocuteur, dans ce qui paraît se dessiner comme un nouveau contexte pour l’Afrique ?

La politique étrangère marocaine est une politique globale. Elle a toujours visé à avoir des relations multilatérales importantes, voire même bilatérales quand le multilatéral lui faisait défaut. C’est ce que l’on a pu constater lorsque le Maroc n’était plus membre de l’Organisation de l’unité africaine (de 1984 à 2017, ndlr). Sous Mohammed VI, ce qui a changé dans la diplomatie marocaine c’est la méthodologie. Elle est liée à une présence plus effective et personnelle du roi.

Le Royaume sait également faire l’équilibre entre des espaces importants et principalement dans des rapports tripartites. L’Europe reste un partenaire essentiel que le Maroc ne peut en aucun cas remplacer. Mais ça ne l’empêche pas de développer des relations, en termes d’équilibre politique et stratégique, avec d’autres espaces qui deviennent tous aussi importants.

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